H.
Les relations de face-à-face entre acteurs en Afrique du Sud :
devoir de mémoire et droit au souvenir
Peu
avant la fin de l'Apartheid, des négociations sont menées en
Afrique du Sud. Elles ont duré quatre ans et l'étaient entre
l'ANC et le PN. Sandrine Lefranc résume ainsi la situation :
« Pour passer de la négation radicale de tout statut
d'acteur politique à l'opposant, réifié par presque
cinquante années de régime d'apartheid et plusieurs
siècles de discrimination, à un dialogue permanent des
négociations sur les structures politiques, il était
nécessaire, pour les membres du gouvernement, de faire connaissance avec
leurs anciens ennemis »164(*).
Les
relations entre ces acteurs constituent le point crucial du devenir de la
nation arc-en-ciel. Le rythme, le sens, et l'étendue donnée aux
discussions marquent un tournant décisif dans la
réécriture de l'histoire nationale. Pour le PN, il était
important de permettre l'auto détermination des groupes peu ou prou
volontairement constitués comme tels dans le domaine des own
affairs. La deuxième grande idée tenait à la forme de
l'Etat. Pour ses leaders, il fallait un partage de pouvoir pour les general
affairs ; ce qui devait aboutir, à terme, à une
fédération. Sur le plan économique, le PN pense que
l'Afrique du Sud doit s'inscrire dans l'économie libérale. Il
propose enfin que le pouvoir constituant dérivé soit
mobilisé non par une assemblée constituante, mais plutôt
par une convention de plusieurs parties165(*).
L'ANC,
pour sa part, a préconisé la création d'un Etat unitaire
et d'une économie mixte. En février 1993, les deux partis
s'entendent sur les modalités de power sharing pendant une
période quinquennale. Ils mettent en place un Conseil exécutif de
transition qui avait pour mandat d'organiser la consultation populaire relative
à la constitution. Cette constitution sera promulguée le 27 avril
1994. Sandrine Lefranc est restée pessimiste quant à la
volonté réelle des acteurs d'aller vers ce processus. Elle
soutient en effet : « Il fallut donc plus de quatre pour
qu'une « logique consensuelle » s'impose, produite
par le hasard des négociations plus que par la volonté des
protagonistes... »166(*). Nous ne partageons pas cet avis, pour trois
raisons : D'abord le temps mis pour forger un consensus aussi visqueux ne
représente rien à l'échelle du temps des violences du
système apartheid. Autrement dit, l'ampleur des divisions entre noirs et
blancs et la gravité des violations des droits de l'homme en une
quarantaine d'années au moins, représente à peine les
débats pendant une durée de quatre ans. Ensuite, les
négociations menées n'ont pas été un hasard, mais
bien au contraire. Elles ont été le fruit d'un agenda politique
interne négocié entre acteurs de la réconciliation.
Enfin, ne pas reconnaître la volonté, ne fusse que symbolique, de
certains protagonistes est une entreprise amnésique pour l'histoire. Une
cécité volontaire ou inconsciente qui cache l'idéal
porté par Mandela167(*) et l'élite dirigeante du PN. Tout comme
l'expérience rwandaise, l'Afrique du Sud a pu tourner une page de son
histoire grâce aux négociations des acteurs. Le contexte de
celles-ci doit être pris en compte pour comprendre les significations
élaborées par les différents acteurs pendant leurs
interactions. L'on est par conséquent au coeur de la vision
interactionniste.
Sur
la question des amnisties, le PN soutenait une absolution totale et
inconditionnelle des opérateurs de la violence d'Etat. Finalement, la
Constitution intègrera cette nécessité d'amnistier,
néanmoins encadrée. Le 13 janvier 1995, le fait pour le
Président De Klerc d'amnistier unilatéralement 3500 personnes
n'était pas conforme au consensus arrêté. Et Sandrine
Lefranc de souligner : « Le ministre de la justice Dullah
Omar, affirmant qu'il n'avait pas été informé de ces
mesures, précisa immédiatement qu'il n'en reconnaissait pas la
validité »168(*).
La
philosophie de l'Ubuntu précédemment
évoquée canalise la construction de la réconciliation par
l'ensemble des acteurs impliqués. Les leaders noirs et blancs se sont
assis ensemble, ils ont discuté des orientations futures à donner
au pays pour tourner définitivement la page des années sombres.
Le plus important a été la diffusion des orientations au niveau
des populations qui ont dû renoncer à l'esprit de vengeance. C'est
à ce niveau que des acteurs de la société civile ont
joué un rôle déterminant en relayant le discours positif de
la classe politique. Comme les acteurs du pardon, ceux de la justice ont aussi
eu des échanges construits.
* 164 Sandrine Lefranc,
Les politiques du pardon, op.cit ; p.52.
* 165 Idem, pp.52-53.
* 166 Idem, pp 53-54.
* 167 Le 10 mai 1994, dans un
discours, il supplia la foule, presque totalement constituée de noirs,
de pardonner et proposa que les criminels soient amnistiés.
* 168 Sandrine Lefranc,
op.cit ; p. 57.
|