Paragraphe 1. Dynamiques internes des acteurs du
pardon
Un
fois encore, nous déclamerons la situation existante non seulement au
Rwanda, mais aussi en Afrique du Sud.
A.
Les rapports inter acteurs endogènes au Rwanda : des interactions
entre conflit et compromis
On
peut retrouver les traces du fondement juridique de cette relation dans la
constitution rwandaise du 04 Juin 2002. Dans l'un de ses principes en effet, il
est énoncé que la recherche du dialogue sera primordiale dans la
résolution des conflits passés. Cette évocation du
dialogue n'est pas neutre lorsque explicitement insérée dans la
norme fondamentale. Elle révèle tout au moins l'affirmation d'une
politique publique du pardon. L'Etat, en tant que personnalité morale,
veillera à l'accomplissement de cet objectif.
Les
traces de cette option sont déjà perceptibles dans les
négociations de 1993 à Arusha. Il s'agissait d'ouvrir les voies
de la réconciliation entre Tutsi vivant en exil et hutu au pouvoir
à Kigali. Au terme de ce processus, le cessez-le-feu a pu être
obtenu de même que l'agrément de la partie hutu sur le retour de
la diaspora tutsi majoritairement installée en Ouganda. Comme il sera
observé par la suite, le consensus fragile d'Arusha sera violé.
Le rapprochement entre adversaires politiques ethniquement structurés
aura été de courte durée, et le reste est connu...
Les
`'têtes brûlées'' apparaissent ici comme des acteurs qui
rament à contre courant de l'initiative officielle. Il s'agit pour eux
d'instrumentaliser la différence en exacerbant le critère de la
division161(*). Dans ce
contexte, les interactions demeurent davantage conflictuelles entre acteurs du
pardon, ce qui éloigne la perspective de la réconciliation.
`'Radio Milles collines'' est l'une des têtes
brûlées les plus féroces dans l'histoire du Rwanda en
période de génocide. Quand on sait que certains hutu, au coeur
de la haine meurtrière, ont ouvert leurs coeurs à la coexistence
pacifique avec leurs frères tutsi, on est loin d'imaginer leur
capacité de résistance à l'idéologisation du
différentiel pathologique portée par cette radio162(*). Celle-ci devient ainsi le
porte-parole de la propagande anti tutsi dans le pays. Elle donnait des
détails sur leur emplacement, relayait les messages des planificateurs,
et informait sur l'étendue des tueries dans le reste du territoire,
permettant ainsi à la virilité masculine de rivaliser
d'intensité de violence. En 1994, c'est cette radio qui annonce
l'attentat contre l'avion présidentiel tout en indexant les soldats
belges de la MINUAR. En représailles, des hutu furieux abattent 9
soldats belges.
Les acteurs au plan interne ont dû reconstruire cette renaissance
psychologique qui leur a permis de s'accepter comme membre de la famille
humaine. Les victimes ont ré humanisé leurs bourreaux. Ceci
était important dans la mesure où il s'agit de l'une des
conditions du pardon. En affrontant très souvent leurs tortionnaires,
ennemis d'hier, les victimes et les coupables ont écrit, ensemble,
l'histoire non falsifiée du génocide, gage d'une
société qui s'est relativement réconciliée avec
elle-même. Le discours dominant de l'ordre dirigent permet ou non
d'emphaser ce mouvement. Comme l'écrit en d'autres circonstances le
philosophe libéral John Rawls, « Les vertus de la
coopération politique qui rendent possible un régime
constitutionnel sont ainsi des vertus supérieures. J'entends par
là, par exemple, les vertus de tolérance, le fait d'être
prêt à rejoindre les autres à mi-chemin, la vertu de
modération et le sens de l'équité. Ces vertus constituent
le capital politique de la société »163(*).
Il
reste néanmoins que le processus rwandais enregistre des contre courants
visibles. Quelle est en effet la place accordée à ces multiples
Rwandais qui, fuyant les hostilités, ont acquis le droit d'asile
à l'étranger ? Plusieurs d'entre eux font toujours l'objet
des poursuites judiciaires au Rwanda. Contrairement à l'Afrique du Sud,
la clause amnistiante n'a pas été constitutionnalisée et,
a fortiori, à leur bénéfice. La réconciliation
véritable devrait donc, selon nous, passer par une procédure
inclusive de l'ensemble des acteurs internes dont les Rwandais de
l'extérieur font partie. Des appels dans ce sens ont été
formulés par l'élite politique de Kigali, mais restent
marqués du sceau de la suspicion. Cette situation ne se démarque
pas complètement de l'environnement sud africain.
* 161 Le concept est de
Everett L. Worthington, un psychologue. A l'opposé, l'auteur propose la
figure des `'têtes froides'' dont le rôle est opposé aux
premiers. Cité par Bole et alié, op.cit, p.36.
* 162 Lire à cet
égard l'historien Jean Pierre Chrétien, « Presse libre
et propagande raciste au Rwanda », Politique africaine,
n°42, juin 1991.
* 163 Op.cit ; p.271.
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