IIème partie : Reconfiguration imparfaite de la
sociabilité post conflit par les acteurs et institutions du pardon et de
la justice
La
configuration, en tant qu'elle rend compte de la structuration, de la
disposition ou de l'articulation, informe le caractère mouvant et
relatif des acteurs et des institutions de la justice et du pardon dans la
réconciliation en Afrique. Caractérisé par la logique du
pluriel, cet agencement institutionnel et actanciel traduit l'expression de la
difficile fabrication du consensus social et politique, quant aux voies de
sortie de crise préconisées. Une deuxième
difficulté consiste notamment à poser le dedans et le dehors non
en termes de désunion, mais plutôt d'union complémentaire.
Le chapitre suivant vise à examiner les défis que pose cette
articulation. Nous essayerons de montrer que l'orientation duale n'efface pas
l'orientation duelle, en ce sens que les institutions et acteurs du dedans
peuvent mobiliser des ressources potentiellement conflictuelles avec celles du
dehors (chapitre 3). Dès lors que le pardon et la justice sont
posés en termes d'alternatives pour la sortie de crise, quelle est leur
efficacité réelle dans la consolidation de la
réconciliation ? La mémoire des victimes
résiste-t-elle à ces deux mécanismes (chapitre
4) ? Sur le plan théorique, l'interactionnisme viendra en appui
à notre démonstration, ainsi que certains concepts des
théories précédemment usitées, notamment ceux du
constructivisme.
CHAPITRE 3 : LA RECOMPOSITION DES SOCIETES POST CONFLITS
A L'EPREUVE : ANALYSE DES INTERACTIONS PLURIELLES DU SYSTEME ACTANCIEL ET
INSTITUTIONNEL
« Et
il n'a jamais été question, pour des raisons
politiques
et logistiques évidentes, que la communauté
internationale se substitue entièrement aux autorités
nationales... pour juger les personnes s'étant
rendues responsables de violations
du droit international... »160(*)
Parvenu à ce stade de notre réflexion, il importe de jeter un
regard rétrospectif sur les acquis. D'une part, une gamme variée
d'acteurs et institutions ont joué leur rôle dans la partition de
la justice dans les deux pays où nous expérimentons nos
hypothèses. D'autre part, le pardon politique s'est
révélé saisissable dans la mesure où sa mise en
scène et sa mise en oeuvre ont traduit l'implication des victimes et
bourreaux. Des résultats palpables sont perceptibles, dans les deux
sociétés post conflits, relativement à la question de la
réconciliation. Cela peut aussi s'expliquer à l'aune des rapports
non lisses entre les logiques internes dans un premier niveau, et entre ces
dernières et les logiques internationales dans un second niveau. Au plan
interne, nous serons particulièrement enclins à ressortir
l'esprit qui guide la collaboration ou le défi. Dans bien des cas en
effet, il apparaît que bourreaux et victimes se sont retrouvés
dans des situations à la fois d'expiation du mal et de construction de
l'avenir. Au plan externe, la réflexion devra être attentive
à l'intérêt de départ de la communauté
internationale dans des questions qui ressortissent d'abord de la
compétence des Etats souverains. L'interactionnisme symbolique constitue
le support théorique de ce chapitre. Nous montrerons en quoi ce dernier
est valide pour rendre compte des situations qui sont étudiées.
Cette analyse distinguera tour à tour les rapports de face-à-face
au niveau actanciel et au niveau institutionnel.
Section 1. Les acteurs : un agencement pacifique
potentiellement problématique dans la réconciliation
L'analyse
pourrait avoir plus de saillance si elle s'attache à dégager la
richesse des rapports entre les différents acteurs du pardon au plan
strictement interne. L'examen de l'articulation entre ceux de la justice du
dedans et du dehors est éclairant sur leurs priorités
distinctes.
* 160 Frédéric
Mégret, Le tribunal pénal international pour le Rwanda,
Paris, Pedone, 2002, p. 81.
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