G.
Du parlementarisme traditionnel à la solidarité
discursive
La
finalité des juridictions gacacas était de suivre l'orientation
générale en matière de répression du
génocide et des infractions connexes au Rwanda. Leur caractère
extra judiciaire n'a pas pour autant empêché qu'elles ne
s'appuient sur la loi n° 08/96 du 30/08/1996 portant organisation et
répression du crime de génocide et des massacres ou des crimes
contre l'humanité. Il a même existé une collaboration entre
ces tribunaux et les parquets modernes. Toutefois, l'autorité
législative a voulu donner la plénitude de la compétence
aux juridictions ordinaires dans les crimes relevant de la
1ère catégorie. Pour le Rwanda, il est important
d'allier la vocation réconciliatrice à l'impératif
juridico historique. Ceci se justifie par la nature du crime commis : le
génocide. Il a surtout été question de s'appuyer sur la
tradition pour y trouver des valeurs exportées vers la modernité
juridique, à l'effet de stigmatiser ce `'crime contre la
société '' rwandaise en particulier.
La mise à jour des faits permet à l'ensemble des juridictions
« gacacas » de contribuer à l'écriture
collective de l'histoire du génocide. Ce processus de publicisation de
la violence a, à rebours, une fonction d'aseptisation de la
société. Les « gacacas » ont consisté
en cette mise en scène des massacres. Il s'agissait en clair d'entrer
dans l'intimité du crime pour en dégager le mode
opératoire, les mobiles et les remords de ceux qui les ont commis. Une
fois par semaine au moins, les membres d'une communauté (cellule,
secteur, etc) se retrouvaient pour les audiences publiques137(*). Le but recherché
était non seulement de reconstituer les faits, faciliter le jugement des
responsables en éradiquant l'impunité, mais aussi
réconcilier les Rwandais. Dans ce sens, des personnes appelées
à témoigner au cours des procès publics ont souvent
été des hutu modérés ayant aidé les tutsi
pourchassés. Le système permettait à l'auditoire de
s'exprimer. Ainsi, des faits nouveaux pouvaient jaillir d'une intervention
tierce à charge ou à décharge du prévenu. Lorsqu'un
prévenu avouait le crime, il bénéficiait d'une
réduction de peine. Le procédé fonctionnait
ainsi138(*) :
1er
cas : Lorsque la personne n'a pas avoué ou que son aveu a
été rejeté la peine capitale ou à
perpétuité était requise.
2e
cas : Lorsque l'aveu intervient avant la publication du nom d'un
prévenu sur la liste de 1ère catégorie, il encourt 25 ans
d'emprisonnement ou la perpétuité.
3e
cas : Lorsque l'aveu arrive après accusation et rangement sur la
liste faite par la juridiction « gacaca » de la Cellule, la
peine est de 12 à 15 ans d'emprisonnement. La moitié est
purgée en prison, pendant que l'autre est commuée en prestation
des travaux d'intérêt général.
4e
cas : Si l'aveu arrive avant l'accusation et le rangement sur la liste
faite par la juridiction « gacaca » de la Cellule, 7
à 12 ans d'emprisonnement sont prononcés. La moitié de la
peine est purgée en privation de liberté et l'autre
commuée en prestation des travaux d'intérêt
général.
5e
cas : Si la personne n'a pas avoué ou son aveu a été
rejeté, elle écopait de 5 à 7 ans d'emprisonnement. La
moitié de la peine est passée en prison, et l'autre
commuée en prestation des travaux d'intérêt
général.
6e
cas : Si l'aveu est postérieur à l'accusation et au
rangement sur la liste faite par la juridiction « gacaca »
de la Cellule, 3 à 5 ans d'emprisonnement sont décidés.
Une partie de la peine est passée en prison, l'autre commuée en
prestation des travaux d'intérêt général.
7e
cas : Quand l'aveu intervient avant le rangement sur la liste faite par la
Juridiction « Gacaca » de la Cellule, la personne est
condamnée à 3 ans d'emprisonnement. La moitié de la peine
purgée en prison ferme et l'autre commuée en prestation des
travaux d'intérêt général.
Les
cellules ont connu des crimes de la 4e catégorie ainsi que
des oppositions aux jugements rendus par elles en l'absence de prévenus.
Les secteurs étaient compétents dans les crimes de 3e
catégorie et les oppositions aux jugements rendus par eux en l'absence
de prévenus. Les districts avaient une compétence étendue
à la 2e catégorie tandis que les provinces
connaissaient des appels contre les jugements des districts de leurs ressorts.
Au
plan institutionnel, la création des gacacas a entraîné
celle d'une 6e chambre auprès de la Cour Suprême,
spécialement chargée de suivre leur travail. Mais, avec les
réformes subséquentes dans son organisation ultérieure,
cette chambre est supprimée au profit d'un Service national
chargé du suivi, de la coordination et la supervision des
activités des « gacacas ».
Le
travail effectué par ces tribunaux a été
déterminant pour réconcilier hutu et tutsi. L'évocation
par les bourreaux des crimes commis a permis à bon nombre de Rwandais
d'accepter de pardonner. Ce pardon faisait suite à la manifestation des
remords par les génocidaires. Les gacacas ont permis, malgré un
manque de professionnalisme dans leur fonctionnement, de désengorger les
tribunaux classiques. Le travail de collecte des informations à
différents niveaux locaux a permis d'aider la justice ordinaire dans la
formulation des incriminations et la formalisation des qualifications des
crimes. Il est éclairant de voir que ces tribunaux ont permis de
réécrire l'histoire du génocide. Une histoire authentique
a germé des récits des acteurs, et une flopé
d'informations ont été récoltées, pour pouvoir
servir de référence à la prévention
d'éventuels actes de violences similaires. Des institutions ont
été créées pour coordonner l'activité des
« gacacas ». Cette réalité a
témoigné de la volonté d'institutionnaliser ces cadres de
justice non classiques qui s'appuyaient pourtant sur des provisions
destinées à être appliquées par la justice
ordinaire. La CVR procède d'une toute autre logique.
* 137 Pour une critique des
gacacas, lire Filip Reyntjens, «Le gacaca ou la justice du gazon au
Rwanda», Politique Africaine, «Le Droit et ses
Pratiques», n°. 40, décembre 1990, pp. 31-44
* 138 Voir le site officiel du
département « gacaca » au ministère de la
justice, op.cit.
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