F.
Le pardon comme empreinte d'acteurs individuels : des rôles
variables
Au
Rwanda, il est incontestable que la figure de Kagame mérite une
attention particulière123(*). A l'âge de quatre ans, il quitte sa famille
en 1961, suite au premier massacre des tutsi en 1959. Il vit en exil en
Ouganda. Après la suspecte mort de son ami Fred Rwigema le 02 octobre
1990, il prend la direction du FPR. Paul Kagame va négocier les
Accords d'Arusha avec Habyarimana. Son rôle dans le processus de
construction du pardon est capital. De l'avis de plusieurs observateurs, il
serait l'un des commanditaires de l'assassinat du Président Habyarimana.
Il est vice-Président du Rwanda et ministre de la défense le 19
juillet 1994. Le 17 avril 2000, il devient Président de la
République, suite à une élection. C'est lui qui va
proprement impulser la reconstruction du Rwanda où 91% de tutsi
présents au pays furent tués en 1994. On lui prêtera aussi
un rôle dans le renversement de Mobutu et l'arrivée au pouvoir de
Laurent désiré Kabila. Les anciens éléments des FAR
et les milices interahamwes s'y étant réfugiés, les
troupes de l'APR les y ont débusquées. En 1997, il est
accusé d'ingérence dans les affaires intérieures du Congo.
11 ans plus tard, il est soupçonné de soutenir la milice tutsi de
Laurent Nkunda. Kagamé va gracier l'ancien Président, le pasteur
Bizimungu en 2006, soit trois ans après sa condamnation à 15 ans
d'emprisonnement fermes. Au-delà de la volonté de cet acteur de
maîtriser toute la chaîne du pouvoir dans son pays, il est clair
que c'est aussi lui le catalyseur du processus de réconciliation au
Rwanda.
Le
pasteur Bizimungu a aussi été un acteur de poids124(*). Président rwandais
dans le gouvernement de transition, celui-ci est un hutu modéré
proche du FPR. Sa présence auprès de Kagamé est donc un
argument de réconciliation entre les hutu dont il est issu, et les tutsi
qui sont les nouveaux acteurs dominants du champ politique rwandais. Il sera
Président pendant 6 ans. Après sa démission de la
tête de l'entreprise publique Electrogaz en 1990, il avait accusé
le Président Habyarimana d'encourager les tensions communautaires dans
le pays. Par réalisme politique, il rejoint les rangs du FRR en Ouganda
et en devient porte parole. Il en sera d'ailleurs le chef de
délégation aux négociations d'Arusha en Août 1993.
Les premières réformes judiciaires sont lancées pendant
son mandat, de même que les procès des génocidaires devant
les juges nationaux et le TPIR. En mars 2000, il démissionne de ses
fonctions de Président de la République et fonde en 2002 un parti
politique : le PDR. Cette audace politique lui coûtera un
procès expéditif et une condamnation. Abordons à
présent le cas de trois figures déterminantes en Afrique du Sud.
Nelson
Mandela est né le 18 juillet 1918 à Mvézo, un bantoustan
du Transkei (il correspond à l'actuel Cap Oriental). Il intègre
l'ANC en 1944. A partir de 1948, il participe à la lutte non violente
contre l'apartheid. Devant la radicalisation de la politique de la
minorité blanche, il créé la branche militaire de l'ANC,
le Umkhoto we Sizwe, en 1961. Il est président de la
représentation de son parti au Transvaal en 1952 et
Vice-Président au plan national. Il organise, avec ses compagnons de
lutte (à l'instar de Olivier Tambo), le « Defiance
Campaign » du 06 avril 1952, à l'occasion de la
célébration du 300e anniversaire de la création
du Cap et de la 1ère institution blanche d'Afrique du Sud.
8500 noirs sont arrêtés sur près de 10000 manifestants.
Mandela en fera partie ; sera jugé en 1953 et condamné
à 9 mois d'emprisonnement avec sursis et résidence
surveillée. En 1956 il est accusé de trahison. En 1961, il est
arrêté et jugé deux ans plus tard, à l'âge de
45 ans. Il sera condamné à la prison à vie d'où il
en sortira le 11 février 1990. A sa sortie, il déclara :
« J'ai combattu la domination blanche et j'ai combattu la
domination noire. J'ai rêvé de l'idéal d'une
société libre et démocratique où tout le monde
vivrait en harmonie avec des chances égales. C'est un idéal pour
lequel je veux vivre et que je veux réaliser. Mais, s'il le faut, c'est
aussi un idéal pour lequel je suis prêt à
mourir »125(*).
Desmond
Tutu est né le 07 octobre 1931 à Klerksdorp. Ordonné
prêtre en 1961, il est fait aumônier de l'Université qui
accepte des étudiants noirs pendant la période de
ségrégation : Fort Hare. Il s'est dès lors
très vite engagé dans des prêches qui participaient du
réveil de la conscience des noirs, sur leur dignité et leur non
infériorité vis-à-vis des blancs. A la mort de Steve
Bico126(*) en 1977, il
est choisi pour lire l'oraison funèbre. Il participait à des
réunions secrètes du mouvement créé par ce dernier
ainsi qu'aux activités de la Black Theology qui popularisa les vertus de
l'Ubuntu. Il milita pendant des années pour le
décloisonnement social dans son pays, ce qui sera couronné par un
Prix Nobel de la paix le 16 octobre 1984. Desmond Tutu sera fait
Président de la Commission vérité et réconciliation
créée pour permettre aux Sud africains d'écrire ensemble
leur histoire.
Frédérik
Willem de Klerk a joué un rôle de premier plan dans la
réconciliation entre blancs et noirs. Né le 18 mars 1936 à
Johannesburg, c'est lui qui conduisit les réformes qui mirent fin
à l'apartheid en 1991. La légalisation de l'ANC est
marquée de son empreinte tout comme les négociations entre le PN
et son éternel adversaire politico idéologique. Après la
victoire de Mandela, il devient, avec Thabo Mbéki, l'un des deux
vice-Présidents du pays. En 1993, il reçoit le prix Nobel de la
paix avec Mandela. Il quitte la direction du PN en 1997 et se retire de la vie
politique. En 2000, il crée une Fondation chargée de promouvoir
la paix dans les Etats multi raciaux.
Ici,
il convient de noter l'opérationnalité relative du néo
institutionnalisme. En avançant que l'analyse part des institutions et
non des acteurs, les néo institutionnalistes ont affirmé que
l'action est conditionnée par les institutions. Dans le domaine du
pardon par contre, la volonté des acteurs est la clé de sa
portée. Au vrai, ce sont plutôt les acteurs qui vont
déterminer et donner de la substance aux institutions. On pourrait donc
dire que, contrairement au néo institutionnalisme du choix rationnel,
l'action est déterminée par les acteurs. Tous ces acteurs ont
joué un rôle de premier plan dans la construction du pardon et
dans les deux pays, soit par le haut, soit par le bas.
* 123 Voir sa bibliographie
dans
www.wikipedia;org/wiki/paul_kagame+bibliographie+be+paul+kagame,
consulté le 11 septembre 2009.
* 124 Pour aller plu loin,
voir
http://fr.encarta.msn.com,
`'Bizimungu pasteur'' Encyclopedia Microsoft, en ligne, consulté le 11
septembre 2009.
* 125 Ces mots sont
exactement ceux qu'il prononça 28 années auparavant, lorsqu'il
fut condamné à perpétuité.
* 126 Celui-ci était
notamment le fondateur du `'Black Consciousness Movement''.
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