Paragraphe 1 : Un processus civilisateur entre
acteurs passifs et acteurs actifs
De manière fondamentale, nous pensons que l'on peut
distinguer les acteurs passifs des acteurs actifs.
A. Les acteurs actifs du pardon : les victimes
Bole et alie reconnaissent que les victimes sont les
premiers agents du pardon en Afrique102(*). Par victime il faut entendre la partie qui subit la
violence. Il s'est agi des tutsi pour le Rwanda et des noirs pour l'Afrique du
Sud.
Le génocide rwandais a lieu du 06 avril 1994 au 4
juillet de la même année. En trois mois, 800000 tutsi (selon
l'ONU) ont été massacrés, ainsi que des hutu dits
`'modérés''. Ces derniers seraient ceux qui apportaient du
soutien à des voisins tutsi, amis, et familles pourchassées.
Après la mort du Président Habyarimana, un gouvernement
intérimaire est mis sur pied. Le colonel Bagossora en sera le leader.
C'est sous sa houlette qu'une véritable stratégie
d'élimination des `' cafards103(*) `' va être exécutée, comme en
témoignent ces crânes d'êtres humains.
Source :
http://wikipedia.org/w/index.php ?
La stratégie consistait à traquer, puis éliminer,
grâce à un réseau informationnel très puissant, tous
ceux qui avaient des caractéristiques physiologiques des tutsi. Les
armes utilisées étaient rudimentaires : machettes
principalement, houes, et gourdins. Un système inique d'incorporation
des représentants de l'administration fut établi, à tel
point que des barrages étaient dressés par ceux-ci, sous le
prétexte de protection par regroupement dans des lieux publics104(*). Le rapport sur la situation
des droits de l'homme au Rwanda, présenté par Réné
Degni-Ségui, en application du paragraphe 20 de la résolution
S-3/1 du 25 mai 1994, est sans équivoque dans ses points dix et
onze:
« 10.
Les atrocités se révèlent davantage dans la manière
de donner la mort aux Tutsi: ceux-ci sont le plus souvent
exécutés à l'arme blanche; ils sont frappés
à coups de machette, de hache, de gourdin, de barre de fer ...
jusqu'à ce que mort s'ensuive.
11.
De plus, ces massacres sont systématiques, n'épargnant personne,
même pas les bébés. Et les victimes sont
pourchassées jusque dans leur dernier retranchement : orphelinats,
hôpitaux et églises ».
La
violence a donc atteint un degré inimaginable. Des femmes tutsi
étaient éventrées lorsque enceintes, à l'effet de
tuer les foetus `'cafards''. Les opérateurs des tueries prenaient
plaisir à faire `'le travail'' en regroupant les membres d'une
même famille tutsi. Le père devait alors assister au
viol105(*) de sa fille,
son épouse, avant d'être lui-même
égorgé106(*). Le Colonel Bagossora en personne coordonnait les
opérations. Devant cette stratégie ordonnée, les tutsi qui
réussissent à s'échapper ou ceux qui
bénéficient de l'aide des hutus modérés vont se
réfugier dans des pays voisins jusqu'à la prise de pouvoir par le
FPR le 4 juillet.
En Afrique du Sud, les noirs pourtant majoritaires107(*) ont été les
victimes de l'Apartheid. A la différence du génocide, ici ce qui
constitue l'objet de haine et de discrimination c'est la couleur de la peau. Si
au Rwanda les violences contre les tutsi ont été
perpétrées en 3 mois seulement, en Afrique du Sud par contre
elles l'ont été de 1948 jusqu'en 1991, soit 43 années
d'abus multiformes. Dès la victoire du Parti National, la politique de
ségrégation raciale est mise en marche dans ce pays par Daniel
François Malan. En réaction, l'ANC dénonce cette politique
et finit par lancer une lutte armée. Des manifestations sont
organisées, suivies des répressions et d'emprisonnement. Le
massacre des noirs de Sharpeville en est l'exemple emblématique de
même que les émeutes de Soweto. Des militants noirs sont
arrêtés et jetés en prison.
Ces acteurs sont considérés comme actifs dans la mesure
où l'initiative du pardon part de leurs consentements. C'est en effet
aux victimes de décider en priorité de la nature et de
l'étendue du pardon. Parce que ce sont elles qui ont subi les violences,
c'est à elles d'accepter leurs oppresseurs comme appartenant à la
famille de l'humanité civilisée, et de choisir de cohabiter avec
eux. Comme le dit Desmond Tutu, « Nous aurions très bien
pu faire justice, nous faire justice, et nous retrouver dans une Afrique du Sud
qui ne serait plus que cendres... »108(*).
L'option pacificatrice et réconciliatrice des victimes de l'apartheid
est impulsée par les leaders noirs, à l'instar de Mandela. Des
partis politiques comme l'ANC ont accepté de négocier la paix et
de pratiquer l'ubuntu109(*). Les relations entre les acteurs actifs et les
acteurs passifs ont permis de consolider cette idée. Qui d'autre que les
victimes du génocide peut pardonner à leur place ? L'un des
éléments du pardon étant la renonciation à la
vengeance, c'est la raison pour laquelle victimes et bourreaux doivent se
regarder en face pour tenter de reconstruire la relation sociale brisée.
* 102 Bole, Christiensen,
Hennemeyer, Le pardon en politique internationale, un autre chemin vers la
paix, op.cit ; p. 76
* 103 Les tutsi
étaient effectivement assimilés aux cafards et donc, ils devaient
être exterminés.
* 104 Il s'agit des stades,
des écoles, des Eglises, etc.
* 105 Le viol a
été en effet reconnu comme un crime contre l'humanité,
dans l'affaire LE PROCUREUR contre JEAN PAUL AKAYESU (affaire N.ICTR-96-4-T) de
septembre 1998. Le TPIR a défini le viol comme une forme d'agression,
manifestée par une pénétration sexuelle non consensuelle
commise sur la personne d'autrui. Il peut consister en l'introduction d'objets
quelconques dans les orifices du corps d'autrui. Ceux-ci ne sont pas
considérés comme ayant une vocation sexuelle intrinsèque
et /ou l'utilisation de tels orifices dans un but sexuel. Il est
utilisé à des fins de dégradation, d'humiliation et de
discrimination, de sanction et de contrôle ou de destruction d'une
personne. Un viol est donc une invasion physique de nature sexuelle sous
l'empire de la contrainte. Dans le cas d'espèce, l'accusé avait
ordonné aux Interhamwe de déshabiller une élève et
de la forcer à faire la gymnastique toute nue devant une foule. Des
actes de viol multiples furent commis sur des dizaines de filles et femmes
près d'un bureau communal. Ces femmes étaient par la suite
tuées. Lire par ailleurs Bolya, La profanation des vagins. Le viol
comme arme de destruction massive, Paris, Edition du Rocher, 2005.
* 106 Juste à titre
de panorama des événements et du rôle de l'ONU, lire le
témoignage de Roméo Dallaire alors représentant militaire
de l'Onu au Rwanda au moment des faits ; pendant que le Camerounais
Jacques Roger Booh Booh était responsable diplomatique de la
MNUAR : J'ai serré la main du diable, la faillite de
l'humanité au Rwanda, Paris, Libre expression, 2003.
* 107 Dans une population de
48,7 millions d'habitants en 2008, les noirs représentent 79,2%, les
blancs 9,2%, les métis 9% et 2,6% pour les indiens.
* 108 Desmond Tutu, Il
n'y a pas d'avenir sans pardon, Paris, Albin Michel, 2000, p. 30.
* 109 Elle renvoie à
la qualité propre au fait d'être un être humain, une
pratique de l'humanité mutuelle. Voir R Porteilla, « Afrique
du Sud, dix ans de démocratie, entre rêve et
réalité », Consulté en ligne,
www.institudrp.org, le 15
Août 2009.
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