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Le pardon et la justice post conflits en Afrique. Etude comparative des dynamiques des acteurs et des institutions du dedans et du dehors (Afrique du Sud, Rwanda)

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par Alain-Roger Edou Mvelle
Université de Yaoundé 2 - DEA 2008
  

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Paragraphe 1 : Un processus civilisateur entre acteurs passifs et acteurs actifs

De manière fondamentale, nous pensons que l'on peut distinguer les acteurs passifs des acteurs actifs.

A. Les acteurs actifs du pardon : les victimes

Bole et alie reconnaissent que les victimes sont les premiers agents du pardon en Afrique102(*). Par victime il faut entendre la partie qui subit la violence. Il s'est agi des tutsi pour le Rwanda et des noirs pour l'Afrique du Sud.

Le génocide rwandais a lieu du 06 avril 1994 au 4 juillet de la même année. En trois mois, 800000 tutsi (selon l'ONU) ont été massacrés, ainsi que des hutu dits `'modérés''. Ces derniers seraient ceux qui apportaient du soutien à des voisins tutsi, amis, et familles pourchassées. Après la mort du Président Habyarimana, un gouvernement intérimaire est mis sur pied. Le colonel Bagossora en sera le leader. C'est sous sa houlette qu'une véritable stratégie d'élimination des `' cafards103(*) `' va être exécutée, comme en témoignent ces crânes d'êtres humains.

Source : http://wikipedia.org/w/index.php ?

La stratégie consistait à traquer, puis éliminer, grâce à un réseau informationnel très puissant, tous ceux qui avaient des caractéristiques physiologiques des tutsi. Les armes utilisées étaient rudimentaires : machettes principalement, houes, et gourdins. Un système inique d'incorporation des représentants de l'administration fut établi, à tel point que des barrages étaient dressés par ceux-ci, sous le prétexte de protection par regroupement dans des lieux publics104(*). Le rapport sur la situation des droits de l'homme au Rwanda, présenté par Réné Degni-Ségui, en application du paragraphe 20 de la résolution S-3/1 du 25 mai 1994, est sans équivoque dans ses points dix et onze:

« 10. Les atrocités se révèlent davantage dans la manière de donner la mort aux Tutsi: ceux-ci sont le plus souvent exécutés à l'arme blanche; ils sont frappés à coups de machette, de hache, de gourdin, de barre de fer ... jusqu'à ce que mort s'ensuive.

11. De plus, ces massacres sont systématiques, n'épargnant personne, même pas les bébés. Et les victimes sont pourchassées jusque dans leur dernier retranchement : orphelinats, hôpitaux et églises ».

La violence a donc atteint un degré inimaginable. Des femmes tutsi étaient éventrées lorsque enceintes, à l'effet de tuer les foetus `'cafards''. Les opérateurs des tueries prenaient plaisir à faire `'le travail'' en regroupant les membres d'une même famille tutsi. Le père devait alors assister au viol105(*) de sa fille, son épouse, avant d'être lui-même égorgé106(*). Le Colonel Bagossora en personne coordonnait les opérations. Devant cette stratégie ordonnée, les tutsi qui réussissent à s'échapper ou ceux qui bénéficient de l'aide des hutus modérés vont se réfugier dans des pays voisins jusqu'à la prise de pouvoir par le FPR le 4 juillet.

En Afrique du Sud, les noirs pourtant majoritaires107(*) ont été les victimes de l'Apartheid. A la différence du génocide, ici ce qui constitue l'objet de haine et de discrimination c'est la couleur de la peau. Si au Rwanda les violences contre les tutsi ont été perpétrées en 3 mois seulement, en Afrique du Sud par contre elles l'ont été de 1948 jusqu'en 1991, soit 43 années d'abus multiformes. Dès la victoire du Parti National, la politique de ségrégation raciale est mise en marche dans ce pays par Daniel François Malan. En réaction, l'ANC dénonce cette politique et finit par lancer une lutte armée. Des manifestations sont organisées, suivies des répressions et d'emprisonnement. Le massacre des noirs de Sharpeville en est l'exemple emblématique de même que les émeutes de Soweto. Des militants noirs sont arrêtés et jetés en prison.

Ces acteurs sont considérés comme actifs dans la mesure où l'initiative du pardon part de leurs consentements. C'est en effet aux victimes de décider en priorité de la nature et de l'étendue du pardon. Parce que ce sont elles qui ont subi les violences, c'est à elles d'accepter leurs oppresseurs comme appartenant à la famille de l'humanité civilisée, et de choisir de cohabiter avec eux. Comme le dit Desmond Tutu, « Nous aurions très bien pu faire justice, nous faire justice, et nous retrouver dans une Afrique du Sud qui ne serait plus que cendres... »108(*).

L'option pacificatrice et réconciliatrice des victimes de l'apartheid est impulsée par les leaders noirs, à l'instar de Mandela. Des partis politiques comme l'ANC ont accepté de négocier la paix et de pratiquer l'ubuntu109(*). Les relations entre les acteurs actifs et les acteurs passifs ont permis de consolider cette idée. Qui d'autre que les victimes du génocide peut pardonner à leur place ? L'un des éléments du pardon étant la renonciation à la vengeance, c'est la raison pour laquelle victimes et bourreaux doivent se regarder en face pour tenter de reconstruire la relation sociale brisée.

* 102 Bole, Christiensen, Hennemeyer, Le pardon en politique internationale, un autre chemin vers la paix, op.cit ; p. 76

* 103 Les tutsi étaient effectivement assimilés aux cafards et donc, ils devaient être exterminés.

* 104 Il s'agit des stades, des écoles, des Eglises, etc.

* 105 Le viol a été en effet reconnu comme un crime contre l'humanité, dans l'affaire LE PROCUREUR contre JEAN PAUL AKAYESU (affaire N.ICTR-96-4-T) de septembre 1998. Le TPIR a défini le viol comme une forme d'agression, manifestée par une pénétration sexuelle non consensuelle commise sur la personne d'autrui. Il peut consister en l'introduction d'objets quelconques dans les orifices du corps d'autrui. Ceux-ci ne sont pas considérés comme ayant une vocation sexuelle intrinsèque et /ou l'utilisation de tels orifices dans un but sexuel. Il est utilisé à des fins de dégradation, d'humiliation et de discrimination, de sanction et de contrôle ou de destruction d'une personne. Un viol est donc une invasion physique de nature sexuelle sous l'empire de la contrainte. Dans le cas d'espèce, l'accusé avait ordonné aux Interhamwe de déshabiller une élève et de la forcer à faire la gymnastique toute nue devant une foule. Des actes de viol multiples furent commis sur des dizaines de filles et femmes près d'un bureau communal. Ces femmes étaient par la suite tuées. Lire par ailleurs Bolya, La profanation des vagins. Le viol comme arme de destruction massive, Paris, Edition du Rocher, 2005.

* 106 Juste à titre de panorama des événements et du rôle de l'ONU, lire le témoignage de Roméo Dallaire alors représentant militaire de l'Onu au Rwanda au moment des faits ; pendant que le Camerounais Jacques Roger Booh Booh était responsable diplomatique de la MNUAR : J'ai serré la main du diable, la faillite de l'humanité au Rwanda, Paris, Libre expression, 2003.

* 107 Dans une population de 48,7 millions d'habitants en 2008, les noirs représentent 79,2%, les blancs 9,2%, les métis 9% et 2,6% pour les indiens.

* 108 Desmond Tutu, Il n'y a pas d'avenir sans pardon, Paris, Albin Michel, 2000, p. 30.

* 109 Elle renvoie à la qualité propre au fait d'être un être humain, une pratique de l'humanité mutuelle. Voir R Porteilla, « Afrique du Sud, dix ans de démocratie, entre rêve et réalité », Consulté en ligne, www.institudrp.org, le 15 Août 2009.

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