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La lutte contre le terrorisme en droit international( Télécharger le fichier original )par JEAN-PAUL SIKELI Université d'Abidjan-Cocody - DEA droit public 2006 |
(article 51 de la Charte des Nations Unies)La notion de « légitime défense » a de l'importance dans les communautés juridiques où la protection du droit (entendez droit objectif) et des droits (entendez droits subjectifs) est une fonction exclusive d'organes appropriés et où il est interdit aux membres de ces communautés de se faire justice eux-mêmes. Cette institution apparaît alors comme une exception vivante de l'exclusion du recours à la justice privée, à la force dans le commerce juridique, là où le droit est amené à reconnaître et à régler bien parfois la question de l'autoprotection des sujets2(*)21. C'est d'une façon générale le cas dans les relations internationales où un sujet de droit international, notamment un Etat, peut être victime d'une agression armée. Il est alors tentant de se demander ce qui pourrait advenir en pareille occurrence, en terme de réaction de la part de la victime. La réponse à cette interrogation nous est fournie par les termes de l'article 51 de la Charte des Nations Unies2(*)22 qui fait de la légitime défense un droit naturelou inhérent (dans la version anglaise). La victime d'une attaque est donc fondée à réagir tout naturellement sur la base de la légitime défense en guise de riposte. Cet article permet l'emploi de la force armée seulement en réaction à une agression armée et à condition que soient observées les normes de procédure qui prescrivent que le Conseil de sécurité soit « immédiatement » informé de l'action armée en légitime défense. Il apparaît donc clairement que la condition de fond de mise en oeuvre de la légitime défense est la constatation d'une « agression armée » (armed attack » dans la version anglaise), c'est-à-dire le recours à la force armée d'un type caractérisé. L'utilisation de la contrainte physique est donc exigée, excluant la controverse sur l'agression idéologique ou économique2(*)23. L'article 51 semble en outre imposer que l'agression soit réalisée, c'est-à-dire qu'il ne couvre a priori pas la menace d'agression. La difficulté réside dans le fait que la notion d'agression elle-même n'est pas définie dans la Charte, bien qu'elle s'y trouve employée à plusieurs reprises. Une définition nous est, en revanche, fournie par l'AGNU dans sa Résolution 3314 (XXXIX), adoptée par consensus le 14 décembre 1974. L'article 1er prévoit que l'agression « (...) est l'emploi de la force armée par un Etat contre la souveraineté, l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique d'un autre Etat2(*)24, ou de tout autre manière incompatible avec la Charte des Nations Unies (...) »2(*)25. De façon stricte l'agression armée est donc le fait d'un Etat contre un autre Etat2(*)26, et la légitime défense apparaît comme relevant d'un rapport interétatique. Cette solution trouve une confirmation dans un avis récent de la CIJ d'un intérêt très particulier pour notre étude, en ce qu'il concerne des actes terroristes : « L'article 51 de la Charte reconnaît ainsi l'existence d'un droit naturel de légitime défense en cas d'agression armée par un Etat contre un autre Etat (...) »2(*)27. Il s'ensuit logiquement qu'un acte de terrorisme, quelle qu'en soit la gravité, ne saurait en principe, selon la théorie classique, déclencher la légitime défense, à moins d'être directement imputable à un Etat. La condition de procédure tient, quant à elle, à l'obligation d'informer « immédiatement » le Conseil de sécurité. L'information du conseil de sécurité qui ne peut s'analyser en une demande d'autorisation préalable, s'expliquerait par la préférence pour une réponse multilatérale institutionnalisée à la réaction unilatérale décentralisée de l'Etat victime de l'agression2(*)28. La lecture de l'article 51 de la Charte donne à constater que la réaction en situation de légitime est rigoureusement enfermée dans des limites de deux ordres : temporel et matériel. Ratione temporis, il ne fait l'ombre d'aucun doute que la légitime défense ne peut être mise en oeuvre, en principe, qu'à partir du moment de la réalisation de l'agression armée2(*)29. On peut le noter, elle a un caractère provisoire et subsidiaire dans la mesure où son maintien n'est en réalité subordonné qu'à l'impossibilité pour le Conseil de sécurité de prendre les mesures qui lui semblent nécessaires aux fins de rétablissement de la paix et de la sécurité internationales. Autrement dit, un Etat est en situation de légitime défense « jusqu'à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales ». Ce qui signifie a contrario, que la réaction en légitime défense doit normalement s'estomper si le Conseil de sécurité décide de régler lui même, de quelque manière qu'il juge nécessaire le problème. La clarté de la mention n'occulte pas cependant les difficultés d'interprétation de l'expression « mesures nécessaires ». Que faut-il entendre par « mesures nécessaires » ?, ou plutôt dans quelle mesure le Conseil prend-il des mesures « nécessaires » ?. Toutes les mesures qu'il peut adopter sont considérées comme nécessaires, ou cela doit-il s'apprécier dans chaque espèce ? Toutes ces interrogations se justifient au regard de la réaction américaine aux attentats du 11 septembre 2001. En effet, on se souvient que les mesures américaines mises en oeuvre au titre de la légitime défense n'ont pas été levées malgré la Résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité, adoptée sous le Chapitre VII et imposant de strictes obligations aux Etats pour lutter contre les terroristes coupables. Ces mesures, pour nécessaires qu'elles étaient, paraissaient suffisantes2(*)30 pour interrompre les droits des Etats-Unis d'Amérique de recourir à la force armée en Afghanistan ? Pourtant le Conseil de sécurité y « réaffirmant le droit naturel de légitime défense (...) » dans le préambule2(*)31, celui-ci semble ne pas avoir suspendu le droit de légitime défense nonobstant l'adoption de mesures d'une portée juridique certaine. On peut le penser, il y a ici une juxtaposition de deux catégories de mesures différentes, la légitime défense d'une part, et d'autre part les mesures nécessaires prises dans le cadre de la monumentale Résolution 1373. Cette situation a d'ailleurs été dénoncée par Monsieur Luigi CONDORELLI qui estime qu'« (...) il y a simultanément prise de mesures par le Conseil et reconnaissance de la persistance du droit de légitime défense » ce qui constitue une « anomalie »2(*)32 évidente. De plus, il est à noter que les opérations militaires américaines se sont poursuivies en Afghanistan même après l'adoption par le Conseil de sécurité des résolutions 1368 (2001) et 1390 (2002), cette dernière Ayant pourtant mis en place une opération de maintien de la paix2(*)33. Ratione materiae la réaction en légitime défense est sujette à deux autres limites : il s'agit de la nécessité de la réaction et de sa proportionnalité2(*)34. En vertu du critère de nécessité, l'emploi de la force armée ne doit être justifié que par la nécessité pour l'Etat de se protéger. En effet, l'agression armée est une violation manifeste et caractérisée des droits souverains de la victime, laquelle en ayant recours à la légitime défense, ne fait rien d'autre que d'agir pour la réalisation de ses droits. Ceci implique qu'une fois l'agression armée repoussée, la légitime défense tombe en caducité, elle doit donc cesser d'exister. En conséquence, la victime de l'agression ne doit pas occuper le territoire de l'agresseur, à moins que cela ne soit strictement nécessaire pour l'empêcher de continuer l'agression avec d'autres moyens, en tout cas jusqu'à ce que cesse un tel danger imminent et grave. Ainsi pour Monsieur Antonio CASSESE, l'article 51 de la Charte ne permet pas une action militaire qui aille au-delà de ce qui est nécessaire pour repousser l'agression2(*)35 ; il s'agirait donc ici d'une interdiction implicite qui est faite à l'agressé, d'occuper militairement et de façon prolongée le territoire de l'agresseur, a fortiori de l'annexer2(*)36. En vertu du critère de proportionnalité, les mesures de l'Etat victime d'une agression ne doivent pas être disproportionnées, car la légitime défense ne relève pas d'une logique de vengeance mais d'ultime protection. La légitime défense apparaîtra alors ici, rarement comme un droit que possède « naturellement » l'Etat pour lutter contre le terrorisme. Un pont s'établit à coup sûr entre l'institution de la légitime défense en tant que moyen militaire de faire face à une agression armée et les mesures de contraintes militaires de l'article 42 de la Charte des Nations Unies.
B- Les mesures de contrainte militaire ( de l'article 42 de la Charte des
* 221 Voir Antonio CASSESE , « Commentaire de l'article 51 » in Jean-Pierre COT ; Alain PELLET; Mathias FORTEAU (dir.), La Charte des Nations Unies : Commentaire article par article, 3ème édition, Économica, Paris 2005, p.1328 * 222 Nous citons in extenso « Aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations Unies est l'objet d'une agression armée, jusqu'à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales. Les mesures prises par des membres dans l'exercice de ce droit de légitime défense sont immédiatement portées à la connaissance du Conseil de sécurité et n'affectent en rien le pouvoir et le devoir qu'a le Conseil, en vertu de la présente Charte, d'agir à tout moment de la manière qu'il juge nécessaire pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales ». * 223 Voir Antonio CASSESE, « Commentaire de l'article 51 de la Charte des Nations Unies », in Jean-Pierre COT et al. (dir.pub.), La Charte des Nations Unies, Commentaire article par article, 2ème édition, Economica, Paris, pp. 789-790. 224 C'est nous qui mettons en italique * 225 Il ne s'agirait là que d'une « interprétation authentique de la Charte des Nations Unies », voir J. ZOUREK, « Enfin une définition authentique de l'agression, AFDI, 1974, p. 28. On peut considérer que la Résolution en question a une valeur coutumière : voir CIJ, Aff. Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, 27 juin 1986, Rec. CIJ, 1986, p.103 § 195. 226 Cf. Jean SALMON, Dictionnaire de droit international public (dir.), op.cit, p. 52 227 Cf. Avis du 9 juillet 2004 relatif aux Conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé, Rec. CIJ, 2004, p.194 § 139. * 228L'article 51 précise d'ailleurs que les mesures prises par l'Etat « n'affectent en rien le pouvoir et le devoir qu'a le Conseil, en vertu de la présente Charte, d'agir à tout moment de la manière qu'il juge nécessaire pour maintenir et rétablir la paix et la sécurité internationales ». 229 Et pourtant, plusieurs Etats ont prétendu recourir à la force armée au titre de la légitime défense préventive. C'est principalement le cas d'Israël qui s'en est prévalu à plusieurs reprises, en 1967 contre l'Egypte, en 1975 contre le * Liban, en 1981 contre l'Irak (réacteur nucléaire) ; c'est aussi le cas des USA, qui ont invoqué le concept au soutien à leurs offensives contre le Soudan et l'Afghanistan, en 1998, et tout récemment contre l'Irak en 2003 s'est forgé le doctrine de la préemption ou preemptive self defense (sous le prétexte fallacieux de la détention d'armes de destruction massive par l'Irak). Nous y reviendrons dans les développements ultérieurs. * 230 La Résolution 1373 est à notre sens un catalogue inédit de règles en matière de lutte contre le terrorisme. Voir ladite résolution en Annexe. * 231 Résolution 1373, préambule, § 5 232 Voir Luigi CONDORELLI, « Les attentats du 11 septembre et leurs suites : où va le droit international? RGDIP, 2001, p. 841. * 233 Voir Patrick DAILLIER, « Les Nations Unies et la légitime défense », in Rostane MEHDI, Les Nations Unies et l'Afghanistan, 11èmes Rencontres internationales d'Aix-en-Provence, Pedone, Paris, 2003, p. 117 et en particulier note 42, cité par Jean-Christophe MARTIN op.cit, p. 292. L'auteur estime que l'autorisation d'exercer la légitime défense s'éteint juridiquement avec la Résolution 1390 et souligne l'ambiguïté des relations entre les forces armées américaines et la Force internationale d'assistance et de sécurité. * 234 Voir Antonio CASSESE, op.cit, pp 1328 et s. La CIJ a noté dans plusieurs affaires (notamment dans son arrêt du 27 janvier 1986 relatif aux Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci : CIJ. Rec., 1986, * p.103, §194, son avis consultatif de 1996 relatif à La licéité de la menace ou de l'emploi de l'arme nucléaire : CIJ. Rec. 1996 (I), p. 245, § 41, et son arrêt du 6 novembre 2003 relatif à l'Affaire des plates-formes pétrolières : CIJ. Rec. 2003, pp. 35-37, § 73-77) que l'exercice de la légitime défense est soumis, en vertu du droit international coutumier, aux doubles critères de nécessité et de proportionnalité. * 235Ibid. * 236 En 1975, le délégué israélien avait soutenu la thèse contraire, lors d'une intervention au Conseil de sécurité, en affirmant, après avoir cité l'article 51de la Charte qu': « Aucun principe ou disposition de la Charte n'interdit des changements de frontières, en particulier après le recours à la force en vertu du droit de légitime défense et tout particulièrement lorsqu'il n' y a pas de frontières internationales sûres entre la victime de l'agression et les Etats qui n'ont cessé depuis 25 ans, de se livrer à la guerre contre elle, en violation de la Charte ». (s/ 1733ème Séance, 20 juillet 1973, § 75). Antonio CASSESE y répond, estimant que cette thèse est sans fondement, ce qui explique qu'elle ait été rejetée par la quasi totalité des Etats (ibid. pp. 1333-1334).
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