2.1.5 L'approche par les facteurs socioculturels
Les facteurs socioculturels interviennent aussi dans
l'explication de la demande d'éducation. Ils pourraient notamment
expliquer certaines méfiances voire réticences observées
vis-à-vis de l'éducation formelle.
a- Un aperçu sur l'importance du concept de «
socioculturel » en démographie
La prise en compte des caractéristiques
socioculturelles est nécessaire pour une compréhension globale
des phénomènes démographiques, notamment en Afrique
où les traditions, les coutumes et les perceptions anciennes seraient
encore vivantes bien que l'urbanisation tend à favoriser un brassage
culturel18. Mais, d'après certains auteurs comme
Sala-Diakanda (1980), le mélange de population dans un espace
géographique ne traduit pas toujours une acculturation19 des
comportements des uns et des autres : « Tout se passe comme si les
représentants d'une tribu emportent avec eux les tares inhérentes
à leur milieu d'origine et les perpétuent à
l'intérieur de leur groupe dans le nouveau milieu de résidence
». Autrement dit, la cohabitation ou la co-existence de plusieurs
groupes culturels n'impliquent pas une homogénéisation des
comportements comme le renchérit Evina (1989) en ces termes : «
[...] Les considérations qui précèdent montrent que
les relations entre certains facteurs démographiques, médicaux ou
socioculturels ne sont pas mécaniques ; elles restent tributaires pour
une large part de la façon de vivre de chaque population. On a ainsi
remarqué que le particularisme tribal permet à des groupes [...]
de coexister sans se mélanger ».
Ainsi une non prise en compte du contexte socioculturel
pourrait provoquer une saisie partielle de la réalité
sociodémographique car « Presque certainement,
certaines
18 Voir SALA-Diankanda, M. «»Le concept
Ethnie, une réponse à E. NGWE», Département de
Démographie, UCL., Document de recherche N°16, janvier 1979, 7 p.,
Papier présenté au colloque de démographie africaine,
Abidjan, 22-26, janvier 1979.
19 Acculturation : « ensemble des
phénomènes qui résultent d'un contact direct et continu
entre les groupes d'individus de cultures différentes et qui
entraînent des changement dans les modèles culturels initiaux de
l'un ou des deux groupes » (Lexique de sociologie, 2005, p. 1)
variations démographiques importantes qui ont
été attribuées aux facteurs socioéconomiques ou
géographiques sont en réalité, au moins en partie
d'origine ethnique (culturelle) » (F. O. Okediji et
al.)20.
Cependant, les caractéristiques socioculturelles posent
plus de difficultés de définition, donc de compréhension
que les variables sociodémographiques et socioéconomiques. Il est
notamment difficile, sinon délicat de distinguer parmi elles, celles qui
relèvent du culturel de celles qui renvoient au social. Plusieurs
auteurs considèrent l'ethnie comme la principale fonction du culturel
(Evina, 1989 et Akoto, 1993). En revanche, « la religion sera par
conséquent une variable d'identification sociale importante à
prendre en compte » (Evina, 1989). Tandis que « Les
modèles culturels étant des entités non observables, ni
mesurables, nous allons les approcher par l'Ethnie » (Evina,
1989).
En somme, nous comprenons que la réalité
ethnique n'est pas inexistante en démographie, bien que sa perception
soit parfois différente d'un individu à un autre (SalaDiakanda,
1980). Nous admettons de ce fait que la définition du socioculturel
reste encore difficile. Toutefois cette entreprise parait indispensable pour
une explication globale des phénomènes démographiques dont
les indicateurs occultent très souvent des inégalités
socioculturelles. Pour une compréhension des comportements
éducatifs, Marc Pilon (1995 : p71 5) propose que : « En tant
que référent historique et socioculturel, l'ethnie peut
constituer un angle spécifique d'analyse des stratégies
éducatives »
b- L'impact des facteurs socioculturels sur
l'éducation
Les facteurs socioculturels regroupent l'ensemble des
éléments qui agissent sur les valeurs, les normes et les
perceptions sociales des parents et des communautés vis-à-vis de
l'école et de la scolarisation des enfants. Que ce soit pour l'ethnie ou
la religion, les différences en matière de scolarisation peuvent
s'expliquer surtout par des raisons historiques ou culturelles de refus ou
d'exclusion de certains groupes de l'école comme le souligne Mulusa
(1992, p. 187) en ces termes : « L'éducation est devenue une
arme importante dans la propagation du christianisme. Les communautés
qui se ralliaient à l'église dominante étaient admises
dans les écoles parrainées par celle-ci tandis que les individus
et les groupes qui restaient attachés à leurs croyances
traditionnelles ou qui nouaient des relations avec des églises moins
influentes en étaient exclus ».
20 Cité par Akoto (1993).
· Les facteurs religieux
Selon la littérature, « la contrainte
sociocentrique de participer à l'élan collectif d'islamisation
peut influencer la scolarisation de l'enfant » (Gérard, 1993,
p.144). La religion constitue donc souvent une menace à
l'épanouissement de l'éducation formelle. En effet, il est
fréquent que des pratiques de l'école moderne soient contraires
à celles traditionnelles. L'enseignement coranique est «
parfaitement modelé sur les besoins éducatifs tels que ressentis
par la société traditionnelle et il est organisé en
harmonie avec les normes de cette dernière. A contrario, le
système d'enseignement `'moderne» est très récent et
peu implanté dans la société traditionnelle dans laquelle
il a pris le caractère d'une institution extérieure, d'un
appendice de l'Etat `'moderne» » (Rwehera, 1999, p. 206)
Ainsi le choix entre la modernité et la tradition
renvoie à faire un choix entre l'éducation familiale,
l'école coranique et l'éducation formelle. Mais la scolarisation
est souvent mal perçue surtout en milieu rural. En région rurale
au Niger, la préférence pour l'école coranique constitue
près de 20% des raisons de la non inscription des enfants de 7 à
9 ans à l'école classique (Rwehera, 1999). Il arrive que dans
certains pays, les autorités arrivent à combiner les deux types
d'enseignements dans une seule forme d'école. Ce sont les écoles
franco-arabes dans lesquelles les écoliers apprennent les deux langues
avec la possibilité de les approfondir plus tard.
Des études menées au Cameroun ont montré
que le risque de déperdition est plus rapide chez les filles musulmanes
que chez leurs consoeurs chrétiennes. En effet, elles ont
révélé que 50% des filles musulmanes arrêtent leur
scolarité à 14 ans contre 16 ans pour la même proportion
chez les filles chrétiennes du même âge (Guison, 2004).
D'après une étude au Nord du Nigeria (Hydre, 1993 cité par
Kobiané, 2002), « l'école classique et les valeurs
occidentales qu'elle véhicule sont considérées comme une
menace aussi bien pour les valeurs de l'islam que pour celles de l'ethnie
Haussa (ethnie majoritaire) et leur influences affectera davantage les
femmes». La littérature réserve souvent des surprises
de la sorte que le fait d'être un chef de ménage musulman a une
influence plus faible que le fait d'être chrétien, alors qu'on
aurait pu croire que ces premiers auraient une attitude plus conservatrice
envers leurs filles (Guison, 2004). Cependant, Diallo (1997) trouve que
l'appartenance à la religion musulmane et dans une moindre mesure
à la religion protestante, est moins favorable à la scolarisation
des enfants à Abidjan que l'appartenance à la religion
catholique.
De la littérature, il ne ressort pas de lien
très clair entre la religion et la scolarisation, toutefois nous pouvons
noter que très souvent, l'appartenance à la religion musulmane
influence négativement la scolarisation.
· Les facteurs ethniques
L'influence des caractéristiques ethniques n'est pas
facile à établir et à généraliser car chaque
pays a des groupes ethniques qui lui sont propres. Cependant, nous constatons
que l'attachement aux valeurs traditionnelles et la réticence à
la modernité constituent des handicaps sérieux à la
scolarisation. Ces attitudes remontent à des faits historiques, sont
généralement liées aux types de relations entretenues avec
les colonisateurs et dépendent de la vision que portent les ethnies sur
l' `'école des blancs». L'exemple illustratif est le cas des Lobi
du Sud-ouest du Burkina Faso qui correspond à un cas de refus dans la
mesure où, les Lobi sont connus pour s'être farouchement
opposés à la colonisation et jusqu'à nos jours, ils
manifestent une certaine méfiance face à tout ce qui provient de
l'administration. M. Père (1995, p. 160-161)21 rappelle que
cette résistance des Lobi à la colonisation a été
telle que les responsables de l'époque avaient fait le serment
sacré « qu'aucun de leurs enfants ne suivra, de quelque
manière que ce soit et sous peine de malédiction et de mort, la
`'voie des blancs», la `'mauvaise voie des étrangers»
», dont l'école était par excellence l'empreinte.
(Kobiané, 2002)
Cela montre qu'au delà des us, coutumes et des moeurs,
l'histoire d'une ethnie peut aussi influencer son attitude vis-à-vis de
la scolarisation. Certaines ethnies seront donc moins perméables que
d'autres à la scolarisation. En étudiant la
déscolarisation des filles au Burkina Faso, Guison (2004) a
trouvé que le fait d'être né dans une famille Senoufo,
Gourounsi, Bobo, et dans une moindre mesure Samo, réduit les chances
d'abandonner lorsque l'on est une fille par rapport à une fille Mossi.
Elle trouve aussi que les filles peuhls et Dioula sont les plus sujettes
à l'abandon, de même que les fillettes Gourmantché.
L'approche socioculturelle pourrait donner une explication de
la sous scolarisation des filles. Dans la société, du fait de la
division sexuelle du travail, la femme est perçue comme n'ayant pas les
mêmes droits que l'homme (statut de la femme dans la
société). Dans cette optique elle est appelée à
apprendre les tâches domestiques alors que le garçon doit aller
à l'école pour augmenter ses chances de réussite sociale
et professionnelle. Percevant l'école de cette manière, les
parents sont plus enclins à envoyer les garçons à
21 Cité par Kobiané, (2002).
l'école plus que les filles, surtout dans un état
de méconnaissance de l'éducation formelle et des ses atouts.
· L'influence du niveau d'instruction des
parents
D'une manière générale, plus le niveau
d'instruction d'un individu est élevé, plus il est ouvert
à la modernité et plus il est favorable à
l'éducation formelle. Cela se constate aussi par l'acceptation de la
scolarisation et souvent par un relâchement des valeurs traditionnelles.
Selon plusieurs auteurs, le niveau d'instruction des parents a une influence
notable sur le type d'éducation à donner à leur enfant
(Kouadio, 2001). Ainsi, un niveau d'instruction élevé des parents
les prédispose à une meilleure scolarisation (Lloyd et Blanc,
1996). Les auteurs prouvent aussi que l'abandon scolaire est plus important
avec les parents analphabètes. La littérature montre
également qu'avec des parents de niveau d'éducation primaire, la
scolarisation est assurée de façon plus égalitaire entre
les filles et les garçons. Cela prouve que les discriminations en
matière de scolarisation et plus simplement la sous scolarisation des
filles sont dues, en plus des considérations économiques, au
faible niveau d'instruction des parents et à leurs attachements aux
valeurs traditionnelles qui encourage la réussite sociale du
garçon.
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