la société anonyme à directoire et à conseil de surveillance en tunisie(étude comparative France -Tunisie)( Télécharger le fichier original )par Kais Ben Saida Université de perpignan - master en droit privé et sciences criminelles 2005 |
CHAPITRE II : LA DUALITE FONCTIONNELLEA la distinction entre le directoire et le conseil de surveillance s'ajoute dans la société de type nouveau, une plus nette séparation des pouvoirs. En effet, dans la nouvelle structure, la volonté de séparer s'est traduite non seulement du point de vue des missions conférées aux nouveaux organes. C'est ainsi que le législateur a doté chaque organe de pouvoirs et d'attributions propres147(*). Dans ce cadre, la répartition des fonctions148(*) entre la direction et le contrôle constitue le propre de la société anonyme dualiste. Les deux fonctions demeurent cependant complémentaires afin d'assurer un meilleur contrôle et une meilleure gestion. Investis de pouvoirs propres, les organes de la S.A ne reçoivent pas leurs fonctions des mandats ou des actionnaires, mais c'est plutôt la loi qui fixe les prérogatives de chaque instance. La société n'est plus un contrat. Par ailleurs, dans la société anonyme dotée d'un directoire et d'un conseil de surveillance, la situation est différente puisque la séparation est nette entre un conseil de surveillance chargé du contrôle de la gestion, et un directoire chargé de la direction. Il s'agit donc de deux organes qui agissent dans deux sphères de compétences distinctes, ce qui mène à étudier d'une part le fonctionnement du directoire (section 1ère), et d'autre part le fonctionnement du conseil de surveillance (section 2ème). SECTION I : LE FONCTIONNEMENT DU DIRECTOIRELe directoire est en principe une équipe chargée collectivement de la direction des affaires sociales et qui est investie des pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes circonstances au nom de la société149(*). La loi semble cependant distinguer entre les pouvoirs de direction à l'intérieur de la société et ses pouvoirs à l'extérieur de celle-ci. Paragraphe I : les fonctions du directoire dans l'ordre interneDans la société anonyme à directoire, les fonctions de direction générale et d'administration, d'une part, et celles de contrôle, d'autres part, sont confiées respectivement au directoire et au conseil de surveillance. S'agissant du directoire, il convient de distinguer dans ses attributions, les pouvoirs généraux qui relèvent de la direction générale de la société, des pouvoirs spécifiques qui ressortissent à l'administration interne de la société. A- Le pouvoir général de directionL'art. 229 CSC dispose dans son alinéa 1er et 2ème : « le directoire est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes circonstance au nom de la société, il délibère et prend ses décisions selon les conditions fixées par les statuts. Le directoire exerce ses pouvoirs dans les limites de l'objet social et sous réserve de ceux expressément attribués par la loi au conseil de surveillance ou aux assemblées générales ». La lecture de ses dispositions permet de dégager le contenu concret du pouvoir général de direction et son étendu qui y sont apportés. En effet, l'art. 225 CSC dispose dans son 1er alinéa qu : « la société anonyme est dirigée par un directoire qui assume la responsabilité de sa direction et exerce ses fonctions sous le contrôle d'un conseil de surveillance ». Il ressort de cette disposition, que comme la direction vise la fonction de conduite d'un ou de plusieurs affaires d'un groupe en assurant au plus haut niveau la responsabilité de cette charge150(*), l'article 225 CSC réduit les pouvoirs du directoire à ceux inhérents à la qualité de chef d'entreprise en matière d'activité technique, commerciale ou financière. Cependant, le fait que le rôle du directoire ne s'arrête pas là rend cette conception assez réductrice des pouvoirs à cet organe, d'autant plus que ramener les pouvoirs du directoire, par rapport à la société, en une direction est difficilement conciliable avec la hiérarchie des organes sociaux puisque « le directoire qui dirige l'entreprise serait d'une certaine matière la société qu'elle dirige l'entreprise. » En outre, l'art. 235 CSC utilise un terme plus neutre en disposant dans son alinéa 1er que « le conseil de surveillance exerce le contrôle permanent de la gestion de la société par le directoire ». Le contexte de l'utilisation du thème gestion dans l'article 235 CSC porte en lui-même des indices de son étendue par rapport à celui de direction. En effet, en disposant que le conseil de surveillance exerce le contrôle permanent de la gestion de la société par le directoire, cet article semble faire de la gestion un complément de contrôle ; il serait de ce fait erroné de donner une quelconque conséquence à cette utilisation et ce en limitant les pouvoirs de contrôle du conseil de surveillance à la gestion et non à la direction151(*). De ce fait, le terme gestion se présente comme le plus neutre et en même temps en lui-même assez réducteur des pouvoirs du directoire. Donc, d'une part, le terme gestion et par opposition au terme de direction- par référence à une conception civiliste qui distingue entre un acte de disposition et acte d'administration- conduit à dire que le directoire n'accomplit que les seuls actes ordinaires d'exploitation152(*). D'autre part, le terme gestion peut se révéler réducteur des pouvoirs par la distinction qui peut être faite entre ce terme et celui de direction, le premier vise la nature des actes accomplis et leur importance quant à la vie de l'entreprise, le second traduit le pouvoir de décision de celui qui accomplit de tels actes153(*). En réalité, dans la société anonyme à directoire l'absence d'attributions concurrentielles entre le directoire et le conseil de surveillance atténue l'intérêt de la distinction ces deux notions de gestion et de direction. Une telle distinction revêt une importance capitale dans les sociétés anonymes de type classique, puisque c'est en termes presque identiques que la loi identifie les compétences du conseil d'administration chargé de la gestion et de son président chargé de direction. Dans ce cas le problème est de déterminer où s'arrête le pouvoir de gestion et ou commence le pouvoir de direction. Toute l'ambiguïté est de trouver des critères pour départager deux organes dotés séparément des mêmes pouvoirs154(*). La doctrine soutient que dans la conduite des affaires sociales que le directoire réunit les pouvoirs qui sont répartis dans la société anonyme de type classique entre le conseil d'administration et son président. En d'autre termes, le directoire réunit ou concentre aussi bien les pouvoirs de direction que les pouvoirs d'administration. Compétant, pour conduire les affaires sociales, le directoire a incontestablement un large pouvoir d'action au nom de la société impliquant l'accomplissement d'une très grande diversité d'actes et d'opérations, cependant ce pouvoir ne saurait sans limites. En outre, il dispose d'un domaine d'action assez large qu'il est difficile de contourner, du moins dans l'abstrait dans une définition positive, le recours aux limites des pouvoirs tel qu'énumérées par la loi peut aider à délimiter, du moins négativement les pouvoirs de cet organe. En effet, selon l'article 229. alinéa 2 « le directoire exerce ses pouvoirs dans la limite de l'objet social et sous réserve de ceux expressément attribués, par la loi au conseil de surveillance et aux assemblées générales ». Ainsi, les pouvoirs du directoire sont limités par le principe de la spécialité statutaire et par le principe de la spécialisation organique. L'art.9 en tant que disposition commune à toute société, impose de préciser l'objet social dans les statuts. Par objet social, il faut entendre l'entreprise ou le but en vu duquel les parties se sont associées, c'est-à-dire le genre d'activité de la personne morale, et la nature des opérations où elle va rechercher la source des bénéfices. Cette détermination de l'objet social permet de délimiter le cadre de l'activité sociale et par la suite la compétence des organes de gestion. En ce sens que tout acte accompli par un dirigeant social au nom et pour le compte de la société, et qui ne rentre pas dans le cadre de l'objet social peut engager la responsabilité de son auteur à l'égard de la société et des associés. Ainsi, l'objet social apparaît comme un élément important, non seulement dans la détermination du domaine d'action de l'organe de direction, mais aussi dans la délimitation de celui de la personne morale elle même155(*). L'intérêt de la notion est donc le contournement de l'action de l'organe de gestion en sanctionnant toute transgression. En d'autres termes, si l'acte dépasse l'objet social il faut décider que le dirigeant cesse d'être compétent et que l'acte ne peut être décidé que par l'assemblée générale156(*). A l'égard des tiers, la société est engagée même par les actes du directoire qui ne relèvent pas de l'objet social selon l'article 229 al 3 CSC , sauf si elle prouve que le tiers avait connaissance de ce dépassement, ou qu'il ne pouvait l'ignorer selon l'art.229 al.4 CSC. Cette inopposabilité est de nature à assurer la protection du tiers de bonne foi. Mais au cas où l'acte est manifestement sans rapport avec l'objet social, l'acte serait nul dans tous las cas. En outre, le directoire ne doit pas empiéter sur les compétences des autres organes à savoir le conseil de surveillance et l'assemblée générale. Par exemple, le directoire ne peut pas prendre de décision en ce qui concerne les pouvoirs du conseil de surveillance à savoir la désignation du président du directoire, la décision d'autoriser les conventions de l'art. 248 CSC, et de décider de déplacer le siége social.157(*) Pour ce qui est des limitations statutaires, la loi a permis dans l'al. 4et 5 de l'art. 229 CSC, aux rédacteurs des statuts et au conseil de surveillance de limiter le cas échéant les pouvoirs du directoire. Ainsi, les statuts peuvent limiter les pouvoirs du directoire, par exemple en subordonnant certaines opérations, autres que celles qui sont prévues par la loi, à l'autorisation préalable du conseil de surveillance158(*). Le conseil de surveillance peut lui aussi, et conformément à l'art.229 al.4 CSC, prendre des décisions pour limiter les pouvoirs du directoire cette compétence reconnue au conseil de surveillance est typique au droit tunisien dans la mesure ou le droit français n'a pas prévu une telle disposition159(*). En droit français, il revient seulement au pacte social à coté de la loi, le pouvoir de « brider » l'indépendance du directoire dans la gestion de la société et d'en restreindre ses pouvoirs160(*). En conséquence, les limitations apportées par les rédacteurs des statuts et par le conseil de surveillance peuvent poser le risque de laisser le conseil de surveillance s'immiscer dans la gestion de la société, par exemple dans le cas ou une clause exige l'autorisation du conseil de surveillance pour les actes du directoire. Cependant, l'intention du législateur est que le directoire doit assumer « sans partage la gestion de la société »161(*) . Il se trouve qu'il a adopté la règle de l'inopposabilité des limitations comme précaution. Ainsi, et selon l'art.229 al.4 CSC : « les stipulations statutaires ou les décisions du conseil de surveillance qui limitent les pouvoirs du directoire sont inopposables aux tiers », et l'al.5 du même article reprend de façon supplémentaire presque la même inopposabilité : « les stipulations statutaires limitant les pouvoirs du directoire sont inopposables aux tiers ». Peut être que par cette répétition le législateur veut insister sur l'idée d'inopposabilité. Donc, ces limites n'ont de valeur que dans l'ordre interne, alors que dans l'ordre externe et pour ses rapports avec le public, le directoire sauvegarde toujours sa plénitude de compétence. Au sein de la société seulement les attributions du directoire pourront être rognées. Donc, les pouvoirs et les actes du directoire sont absolus envers les tiers du moment ou elles répondent à deux conditions. D'abord, qu'elles entrent dans l'objet social, et ensuite qu'elles n'empiètent pas sur les attributions des autres organes. Il dépend donc des statuts de ne pas revoir dans le directoire un conseil d'administration déguisé, et qui ne se reconstitue pas dans les faits la distinction faite dans la société anonyme moniste entre l'administration exercée par le conseil d'administration et la direction générale confiée au président directeur général. « C'est donc des statuts que dépendra finalement l'équilibre des pouvoirs au sein de la société dualiste162(*) ». Il serait aussi souhaitable que le législateur intervienne pour limiter le pouvoir du conseil de surveillance prévue à l'al.4 de l'article 229 CSC, malgré que le pouvoir de ce dernier n'ait pas d'effet sur le plan externe, même au niveau interne, le directoire doit pouvoir exercer pleinement ses fonctions sans se voir reprocher pour violation des statuts ou, non respect d'une décision du conseil de surveillance. * 147-M. KCHAOU et S. FETOUI, intervention : les assemblées générales et le conseil d'administration dans la S.A, (en arabe), p.46. * 148-« Cette structure est directement inspirée de la séparation des pouvoirs effectuée par la loi allemande entre le Vorstand etl'Aufsichstrat » selon l'expression de RIPERT et ROBLOT ? , op. . Cit. n°1311, p. 964, duquel s'est inspiré le législateur tunisien. * 149-Art. 229 al.1 CSC. * 150-Cette définition a été emprunté à M.G. Cornu : Vocabulaire juridique, travaux .Ass ; H. Capitant P.U.F 1997 p. 277(Direction). * 151-Ahmed Omrane. Cours de D.E.A en 2001. * 152-G. CORNU. Op. Cit. n°27. * 153-J.L Rives langes : la notion de dirigeants de fait...D. 1975, n°16, p.41. * 154-J.Hémard, F. Terré et P. Mabilat : Sociétés Commerciales tome I Dalloz.1972 spé.n°1094. * 155-J.Paillusseau : La société anonyme : technique de l'organisation de l'entreprise. B.D.C. tome 18 lib.Sirey1967, P.163. * 156-Selon M.M.G.Ripert et R. Roblot, op.cit.n°1294. Dans certains cas de figures, il est difficile d'établir l'atteinte à cet objet social, notamment dans le cas de cession globale d'actif par la vente du seul fonds de commerce de la société, ou la décision du conseil d'administration ou du directoire d'autoriser une cession d'action ayant pour conséquence de transférer le contrôle de la société à un autre groupe aboutissant entre autres à la modification du mode d'exploitation de l'objet social. * 157-Art. 230 CSC. * 158- En droit français, les statuts peuvent subordonner à l'autorisation préalable du conseil de surveillance la conclusion des opérations qu'ils énumèrent (art.128 al 2 de la loi de 1966). Cette clause statutaire s'appelle « catalogue », et cette appellation est inspirée du droit allemand. En droit tunisien, on n'a pas un texte analogue à l'al2 de l'art128. * 159-En effet, l'art.124 de la loi française de 1966 ne contient pas une disposition analogue à l'al.4 de l'art.229 CSC, alors que les autres dispositions sont identiques. * 160-H.LABORD, op.cit. p.52, dans ce sens aussi J.J.Caussain, J-CL, Fasc.133-C, n°138, p28. * 161-J.BURGARD, art. Précité, p.250. * 162-J.BOUCOURECHLIEV. « La pratique de la société anonyme à directoire », Etude du centre de la recherche sur le droit des affaires, Litec, Paris. |
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