Connaissance, Développement, division internationale du travail. Quelle place pour les pays émergents? Le cas de la Chine et l'Inde( Télécharger le fichier original )par Erick ATANGANA Université Paris 1 Panthéon Sorbonne - Master Economie de l'industrie et des services 2006 |
1.1.2.2 La récupération d'avantages comparatifs et relocalisationsLa théorie du cycle de vie de Vernon (1966) identifie quatre étapes entre la création et la disparition d'un produit : la phase de lancement, la phase de croissance et de développement, la phase de maturité et la phase de déclin. La phase de lancement est le résultat de l'innovation. L'entreprise dispose d'un avantage compétitif et lance le produit sur le marché. Pendant la phase de développement de nouveaux concurrents apparaissent sur le marché en essayant d'imiter la technologie de l'entreprise leader dans la fabrication du produit. La phase de maturité correspond à la phase de banalisation. Elle est marquée par une pression fortement concurrentielle (baisse des prix, dépenses publicitaires...), dans laquelle les entreprises essayent de maintenir leurs parts de marché. Une fois de plus l'innovation pourrait être la réponse appropriée : l'entreprise va développer de nouveaux produits pour maintenir son avantage compétitif. Sur le plan de la division internationale du travail, les pays du Nord délocalisent la production vers le Sud lorsque le produit parvient à son stade de maturité. Ainsi les pays du Nord peuvent se consacrer au développement de nouveaux produits, qui arrivés à leur phase de banalisation seront délocalisés à leur tour. Les pays du Nord innovent et les pays du Sud imitent avec peut-être l'espoir de combler leur vide technologique. Quelques contributions ont été apportées par les économistes au sujet de la récupération des avantages comparatifs. Des auteurs ont montré qu'il est possible de récupérer des avantages comparatifs perdus par le Nord, suite à une banalisation et une imitation d'un produit par le Sud. Grossman et Helpman (1991) proposent un modèle d'une économie mondiale avec deux pays à capacités technologiques différentes. Les producteurs du Sud sont des imitateurs des produits découverts par le pays du Nord, et les producteurs du Nord peuvent innover dans la fabrication de ces mêmes produits. Le produit arrive à maturité, et à ce niveau sa banalisation fait qu'il est parfaitement imité par le pays du Sud, alors qu'il a été inventé par le pays du Nord. On assiste à une perte d'avantage comparatif. Mais le modèle montre que le pays du Nord accomplit ses efforts d'innovation pour le récupérer et donc le rapatrier, car il possède les compétences initiales (ressources cognitives) et les activités de R&D très développées. Et aussi, les politiques de subvention à la recherche dans le pays du Nord augmentent le montant des ressources consacrées à cette activité et donc la probabilité d'innover. Ceci exerce un effet négatif sur l'activité d'imitation du pays du Sud. Le pays du Nord parvient alors à récupérer des avantages perdus sur les produits parvenus à maturité dans le cycle du produit et à consolider leurs avantages technologiques de long terme. L'analyse de Mouhoud (1993) permet de mieux percevoir le phénomène de récupération des avantages comparatifs. Il considère deux biens, et deux pays, l'un développé et l'autre en développement. La production du premier bien est intensive en capital, facteur abondant dans le pays développé. La production du second bien est intensive en travail, facteur abondant dans le pays en développement. On suppose que le pays développé maîtrise les nouvelles technologies et les introduit dans le processus de production, et le pays en développement ne pourra y accéder que dans le long terme. Il maintient donc les techniques anciennes dans son processus de production. Le pays développé se spécialisera dans le premier bien et le pays en développement dans le second. La maîtrise des nouvelles technologies par le pays développé fait que le pays en développement perd son avantage comparatif en termes d'abondance relative en travail pour le second bien. Puisque l'introduction et la diffusion des nouvelles technologies par le pays développé vont pallier son désavantage comparatif en travail. En effet, dans le pays développé, l'introduction du changement technique se diffuse dans les deux biens. Ce qui rend aussi la production du second bien intensive en capital. Le pays en développement ne peut se reporter sur le premier bien puisqu'on suppose qu'il demeure intensif en capital. Le pays développé grâce à l'introduction des nouvelles technologies à la possibilité d'innover et de produire différentes variétés du premier bien considéré comme intensif en capital. L'intensité capitalistique ne se modifie pas pour le premier bien, par contre pour le second bien, le rapport capital/travail s'inverse au profit du capital. L'inversion du rapport capital/travail sur le second bien, permet au pays développé de procéder aussi à une innovation de produit sur celui-ci. Le pays développé a alors la possibilité de produire différentes variétés du premier bien et différentes variétés du second bien. Le prix du second bien produit par le pays développé devient inférieur ou égal au prix du même bien importé en provenance du pays en développement. Le pays développé va donc arbitrer entre le retour de la production du second bien dans son territoire, et la délocalisation dans le pays du Sud. Si le gain de délocalisation est inférieur au coût d'introduction de nouveaux procédés technologiques, il décidera de cesser de l'importer, de le fabriquer lui-même et de l'exporter, on parle de relocalisation. Il est important de rappeler que, le retour de l'avantage comparatif du Sud vers le Nord est possible à la fois grâce aux innovations de produit et aux innovations de procédés. Ces innovations proviennent de l'avantage absolu en termes de ressources cognitives et de politique de subvention à la recherche que le Nord détient sur le Sud6(*). Le pays du Nord a donc une capacité d'innovation largement plus forte que le pays du Sud. Cette capacité d'innovation interne élevée rend un peu plus obsolète l'activité d'imitation du pays du Sud, et le pays du Nord parvient à récupérer des avantages perdus sur des produits parvenus à maturité dans le cycle de produit. Le Nord détient un avantage absolu qui lui permet de renouveler en permanence, le produit imité. En effet, les avantages issus de la spécialisation sur des blocs de compétences et des ressources cognitives, et ceux qui découlent des ressources naturelles ou de la disponibilité en main d'oeuvre abondante à faible coût ont des trajectoires différentes dans le temps. Les premiers sont appelés à se renouveler continuellement à cause de l'effort de recherche, les seconds ont une nature éphémère à cause du caractère permanent de l'innovation technologique dans le Nord, et du cycle innovation-imitation7(*). On parle d'avantages comparatifs longs et d'avantages comparatifs courts (Mouhoud, 1995). Ce phénomène de récupération d'avantages comparatifs a été surtout remarqué ces dernières années dans le secteur des biotechnologies8(*). Le renforcement des droits de propriété intellectuelle et l'extension du brevet dans le domaine du vivant ont joué un très grand rôle dans la reconquête par le Nord des avantages comparatifs même dans les secteurs intensifs en travail9(*). En effet, les DPI dont l'objectif principal est de combattre le « passager clandestin ». C'est-à-dire empêcher un agent n`ayant pas participé au financement d'un bien d'y bénéficier sans contrepartie, se présente comme un compromis nécessaire entre incitation à l'innovation et diffusion des connaissances. L'argument le plus mis en avant pour justifier les DPI dans le domaine scientifique est le niveau très élevé des dépenses de R&D par les entreprises dans la phase amont de la recherche. L'élargissement et le prolongement des DPI, en accordant pour les brevets une protection pour une période de temps limitée, seraient alors la condition essentielle pour permettre aux firmes d'amortir leurs coûts de R&D. Ce système participe de manière active à la marginalisation des pays du Sud, dans l'économie de la connaissance, il favorise un transfert de ressources du Sud vers le Nord. Les savoirs et connaissances du Sud qui ne bénéficient d'aucun système de protection sont captées par le Nord par l'intermédiaire des DPI. Il existe une appropriation gratuite des savoirs traditionnels du Sud. « Par ailleurs le brevetage des savoirs traditionnels et des ressources issues de la biodiversité se traduit par l'interdiction d'utiliser les semences agricoles brevetées. La propriété intellectuelle peut en fait permettre à une entreprise multinationale de s'approprier d'un savoir traditionnel non protégé, en imposant ensuite son monopole sur la commercialisation des semences, y compris aux agriculteurs qui pratiquaient cette culture depuis des siècles » (Vercelone, 2004)
La relocalisation, c'est-à-dire le retour vers le Nord d'activités qui auparavant avaient été délocalisées vers des pays à faibles à coûts salariaux, est l'une des conséquences de ce phénomène de récupération d'avantages comparatifs. En effet des facteurs tels que : la diffusion rapide des nouvelles technologies, les régimes d'innovation, les changements organisationnels, la versatilité et l'instabilité de la demande, l'incapacité pour le pays hôte de fabriquer des produits adaptés à une demande de plus en plus exigeante, les comportements opportunistes des sous-traitants, les droits de propriété intellectuelle etc....sont des déterminants de la relocalisation des firmes multinationales. Le cas des firmes allemandes dans le milieu des années 80 est assez illustratifs : Grundig, notamment, qui avait délocalisé à Taiwan sa production de TV, hi-fi et autres produits de l'électronique grand public en 1977, a relocalisé en Allemagne en 1983. Idem pour Siemens, déménagement à Maurice en 1977, rapatriement en Allemagne en 1981(Mouhoud, 1992). Plus récemment encore, en septembre 2006, la société néerlandaise Samas, leader européen de l'ameublement de bureau a rapatrié à Noyon dans l'Oise son activité de fabrication de caisson de bureau. Cette activité avait été délocalisée en Chine en 2000. De même l'entreprise Atol a relocalisé dans le Jura la fabrication d'une gamme de produits précédemment fabriqués en Chine10(*). * 6 Système national d'innovation solide (niveau d'éducation élevé, droit de propriété intellectuelle, fonds publics pour la recherche...) * 7 « L'avantage de localisation du produit se modifie en fonction du cycle d'innovation - imitation mais l'avantage long sur des compétences permet des retours des avantages comparatifs révélés sur les produits. Le cycle du produit ne constitue en fait qu'un moment dans la dynamique d'évolution des connaissances issues d'un secteur donné. Les spécialisations sur les blocs de compétences relèvent bien de la logique des avantages absolus tandis que les spécialisations par produits d'avantages comparatifs éphémères » (Mouhoud, 1995) * 8 « Par exemple, le Royaume-Uni produit et exporte des palmiers-dattiers vers le Moyen-Orient, grâce aux nouvelles biotechnologies. Le paradoxe ici étant que le Royaume-Uni avait une indisponibilité absolue dans ce type de biens avant cette innovation technologique et l'importation du moyen qui, lui, possède un avantage naturel absolu. La substitution de la production de biens issus des progrès technologiques aux importations en provenance des pays qui en disposent naturellement affecte un grand nombre de matières agricoles et minérales » (Mouhoud, 1995). * 9 « Ce processus de substitution des importations provenant du Sud repose en partie sur le phénomène de la bio-piraterie des ressources et du patrimoine culturel et intellectuel du tiers-monde. On peut songer à ce propos, à titre d'exemple à la manière, dont les Etats-Unis ont construit une économie du riz états-unien d'exportation à partir de l'utilisation de variétés de riz Basmati sélectionnées à l'origine par des paysans Indiens, et sur lesquelles ensuite des firmes Américaines, comme Rice Tec ou Pepsi, ont revendiqué des droits de propriétés intellectuels au moyen de brevets et/ou des marques. Ainsi le 02 septembre 1997, Rice Tec a obtenu un brevet sur les semences et le patrimoine génétique du riz Basmati. Or comme le souligne à juste titre V. Shiva (2002), le type de riz breveté par la Rice Tec possède les mêmes qualités que les variétés Indiennes et donc ne devrait pas être considéré comme étant une nouveauté brevetable. » (Vercelone, 2004) * 10 Source : http://obouba.over-blog.com/article-5541065-6.html |
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