3.4.4 L'Homme et son image fantasmée
Puisque c'est l'Homme qui est à penseron peut tout
à fait créer un corpus qui étudierait cet objet devenu
sémiologiquece que nous avons fait selon une approche qui est celle de
l'évolution. Et comme nous le confirme Claude Louis Gallien la question
des origines (de l'Univers ou de l'Homme) est une préoccupation
permanente dans lhistoire de l'humanité. Ainsi,
« Chaque groupe humain, chaque culture, chaque
civilisation sest efforcée et s'efforce de résoudre à sa
manière, par le mythe la religion ou la science, ce qui demeure
fondamentalement une énigme [] Bien entendu la science n'est jamais
totalement neutre, indépendante de la société dans
laquelle elle se développe, et ses analyses tendent à faire
référence au cadre de pensée préfiguré par
les religions et les philosophies dominantes»25
Or, si l'on en croit Nietzsche dans Ainsi parlait
Zarathoustra, Dieu étant mort, l'Homme est devenu sont unique solution.
Il se considère donc aussi comme incarnant le pouvoir absolu. Nous
sommes donc dans cette idéologie de la < <suprématie de
lHomme> > sur ce qui l'entoure. Pour autant, et la recrudescence du
créationnisme nous le confirme, l'Homme lutte à se
détacher de ses acquis religieux. Etdans le discoursscientifique et
artistique, nous avons pu montrer à travers nos deux corpus comment le
corps de lHomme souffre d'une représentation fantasméeLHomme
représenté cest lHomme à limage de Dieu, c'est l'homme
athlétique et musclé de la RenaissanceCar toute autre image est
tout à fait dérangeante. Nous prenons pour exemple cette citation
de François René de Chateaubriand (1768- 1848) dans le
Cénie du christianisme, publié en 1802, qui déplore :
24, p 97.
25 ?? ??t, p 58.
« [...1 de trouver aujourd'hui l'Homme mammifère
rangédaprès le systèmede Linnaeus, avec les singes, les
chauves-souris et les paresseux.Ne valait-il pas autant le laisser à la
tête de la création, où l'avaient placé Moïse,
Aristote, Buffon et la Nature? Touchant de son me aux cieux et de son corps
à la terre, on aimait à le voir former, dans la chaîne des
êtres lanneau qui lie le monde visible au monde invisible, le temps
à léternité»26
Il s'agit donc d'introduire la théorie dite des faces
développée par Brown et Levinson s'inspirant de Goffman chaque
individu possède une face positive qui correspond à a
façade sociale, à l'image valorisante de soi que l'on sefforce de
présenter à lextérieur Et une face négative qui
correspond au territoire de chacun et qui relève du corps et de
l'intimité. L'enjeu de toute communication étant de
préserver ses propres faces sans menacer celle des autres. Il nous
semble important de montrer comme limagede lHomme doit être positive,
elle doit préserver limage valorisante de soi-même. Pour la
religion, cette image valorisante est celle de l'Homme (mais en fait homme)
créé à limage divine. Pour la science, cette image
valorisante passe par la dévalorisation de tout ce qui nest pas Homo
sapiens.
Ainsi, la mise en scène de l'Homme et de son
évolution donne-t-elle lieu à une scénographie
particulière. Dominique Maingueneau27 développe
l'idée selon laquelle « chaque texte est la trace d'un discours
où la parole est mise en scène »Il différencie la
scène englobante qui renvoie au type de discours, la scène
génériqne qui renvoie au genre du discours et introduit la notion
de scénographie qui est la scène construite par le texte
lui-même. Or ceci est un apport majeur puisque finalement chaque
énonciations'efforce de mettre en place son propre dispositif de
parole« La scénographie légitime un énoncé
qui, en retour, doit la légitimer. »La scénographie peut
sappuyer sur des scènes validées c'est-à-dire
déjà inscrites dans notre mémoire collective (=
stéréotype autonome, décontextualisé disponible
pour être réinvesti par des archétypes popularisés)
Comme nous e rappelle Maingueneau,
« Enoncer, ce n'est pas seulement avancer des
idéescest aussi essayer de mettre en place, de légitimer le cadre
de son énonciation »
La scénographie de notre corpus donne à voir
lévolution de lHommetel quIl se l'envisage et tel qu'Il se fantasmeOn
assiste à la réalisation dune parole particulière. Comme
nous le rappelle Ruth Amossy28, toute prise de parole implique la
construction d'une image de soi, souvent à l'insu de
l'énonciateurDucrot différencie donc les instances internes au
discours qui sont fictionnelles (L) de lêtre empirique ( ë) qui se
situe hors du langage. Peut-on comprendre l'ethos comme étant
dépendant de (L) et lethos pré discursif comme étant
dépendant de (ë)? Dominique Maingueneau élargit la notion
d'ethos qui selon lui n'appartient pas seulement à largumentation mais
doit être rattaché
26Claude Louis Gallien, Op. cit, p 87.
27.
28.
plus largement à tout processus de persuasion et
dadhésion du sujet à certaines positions discursives. Maingueneau
insiste sur le fait que ce que lefficacité de lethostient « qu'il
enveloppe en quelque sorte lénonciation sans être explicite dans
lénoncé Ainsi, l'ethos mis en place dans le discours scientifique
et artistique concernant lHommeet son évolution regorge d 'insus
anthropocentristesethnocentristes, sexistes et parfois même racistes.
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