Section 2- La protection d'acteurs faibles.
Les pouvoirs privés économiques s'adressent aux
divers acteurs de taille et d'importances variées. Ils s'adressent en
premiers aux destinataires de leurs prestations : les consommateurs (§1).
Ils s'adressent en second lieu aux divers investisseurs (§2).
§1- La protection des consommateurs.
Les consommateurs sont pour les pouvoirs privés
économiques ce que sont les contribuables pour les pouvoirs publics. Le
postulat économique est celui de la « souveraineté du
consommateur », ce qui en substance n'est que de l'affichage51.
Mais ne disposant pas formellement de prérogatives de
prélèvement autoritaire que l'on attache aux caractères de
l'impôt, les pouvoirs privés économiques vont avoir recours
aux mécanismes d'incitation à la consommation. C'est ainsi que
l'essentiel de leur budget est consacré à la publicité et
au marketing en tout genre destinés à susciter l'adhésion
des consommateurs à leurs produits. En un mot, ils créent des
besoins de consommation.
Mais ces procédés sont régulés
pour éviter toute dérive, tout abus. Car les abus ne manquent
pas. Le consommateur étant un acteur fragile et faible du droit
économique, il n'est pas excessif de le comparer à un enfant
émerveillé par tout ce qui lui est proposé, étourdi
par la multitude des produits et la rutilance de leur présentation,
anesthésié par l'envie de posséder tout ce qui lui est
offert52. Mal ou non informé, le consommateur se procurera
des denrées ou des services inadéquats, voire complètement
inutiles. Le meilleur moyen de lui faire garder raison est de l'informer
correctement : il n'y a de vrai consentement que parfaitement
éclairé. À cet effet, le droit pénal vient au
secours du Code de la consommation en sanctionnant les abus portant atteinte
à l'obligation positive d'informer et surtout l'obligation
négative de ne pas mal informer.
Cette obligation d'informer est d'autant plus importante que
le cadre contractuel tel que le voulaient les rédacteurs du Code civil
n'est plus substantiellement le mrme. Les contrats de consommation ont de nos
jours tous les caractères d'un règlement administratif.
Véritables contrats d'adhésion, les consommateurs ne font
qu'adhérer aux conditions préfixées par les prestataires
sans aucun pouvoir de renégociation des clauses. C'est pour
52 W. JEANDIDIER, op. cit., p 471.
prévenir tout abus que le droit pénal punit
d'amendes dissuasives les pratiques de nature à vicier le consentement
du consommateur53. C'est le mrme souci qui anime le
législateur quand il sanctionne l'inobservation de
l'obligation de ne pas mal informer. Car ce n'est pas tout d'informer le
consommateur, il faut en outre le faire correctement et surtout ne pas lui
nuire.
C'est par une loi du 3 janvier 2008 « pour le
développement de la concurrence au service des consommateurs», dite
loi Chatel, transposant la directive 2005/29/ CE du 11 mai 2005, modifiant
ainsi les articles L 121-1 et suivants du Code de la consommation que le
législateur a sévi pour assainir les pratiques publicitaires des
pouvoirs privés économiques. Aussi dans la même logique, la
loi du 4 Août 2008 dite « loi LME » vient de créer une
série de pratiques commerciales trompeuses. Ces deux textes ont pour
conséquence d'élargir le champ de la répression
pénale et constitue une protection accrue pour le consommateur contre
les pratiques abusives.
Le résultat de ces deux textes en est que le
délit de publicité mensongère disparaît au profit
d'une incrimination plus vaste. L'expression « publicité fausse
ou de nature à induire en erreur » disparaît pour une
incrimination plus vaste : les « pratiques commerciales
trompeuses». La loi nouvelle opère une distinction entre deux
manières de tromper : celle résultant d'une action (article
L121-1, I) et celle consécutive à une omission (article L121-1,
II).
Dans la première catégorie on retrouve trois
types d'infractions trompeuses : celles qui créent une confusion avec un
autre bien ou service, celles qui reposent sur des allégations,
indications ou présentations fausses ou de nature à
induire en erreur et celles où la personne pour le compte de laquelle
elle est mise en oeuvre n'est pas clairement identifiable. La
seconde est constituée par l'omission ou la dissimulation d'informations
essentielles. Autrement dit, aujourd'hui comme par le passé, l'acte
incriminé continue de pouvoir être constitué, au premier
chef, par une publicité, même si, en outre, l'incrimination peut
s'étendre à d'autres pratiques. Le délit de pratiques
commerciales trompeuses reste une infraction non intentionnelle,
constituée par une imprudence ou négligence, sans qu'une
volonté de tromper soit requise. À la suite de l'article L. 121-1
du Code de la consommation qui définit les pratiques commerciales
trompeuses, la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de
l'économie a créé un article L. 121-1-1 du Code de la
consommation décrivant vingt-deux situations constituant des
présomptions de telles pratiques. Sont visés, notamment, le
fait
53 Art. L.214-2, al.1 du Code de consommation
d'afficher un certificat, un label de qualité ou un
équivalent sans avoir obtenu l'autorisation nécessaire, le fait
de déclarer faussement qu'un produit ou un service ne sera disponible
que pendant une période très limitée ou qu'il ne sera
disponible que sous des conditions particulières pendant une
période très limitée afin d'obtenir une décision
immédiate et priver les consommateurs d'une possibilité ou d'un
délai suffisant pour opérer un choix en connaissance de cause, le
fait d'affirmer d'un produit ou d'un service qu'il augmente les chances de
gagner aux jeux de hasard ou encore le fait d'affirmer, dans le cadre d'une
pratique commerciale, qu'un concours est organisé ou qu'un prix peut
être gagné sans attribuer les prix décrits ou un
équivalent raisonnable. Toutes ces interdictions visent à
restaurer la morale et le sens de la responsabilité dans
l'activité spéculative en tant que celle-ci a comme levier le
consommateur.
Dans la même logique protectrice du consommateur,
l'incrimination de l'abus de faiblesse a pour objectif de protéger le
consommateur des abus des pouvoirs privés économiques. Ainsi,
s'appropriant l'incrimination de l'article 223-15-2 du Code
pénal54, le code de la consommation punit
sévèrement l'abus de faiblesse : « Quiconque aura
abusé de la faiblesse ou de l'ignorance d'une personne pour lui faire
souscrire, par le moyen de visites à domicile, des engagements au
comptant ou à crédit sous quelque forme que ce soit sera puni
d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 9 000 euros ou de l'une de
ces deux peines seulement , lorsque les circonstances montrent que cette
personne n'était pas en mesure d'apprécier la portée des
engagements qu'elle prenait ou de déceler les ruses ou artifices
déployés pour la convaincre à y souscrire, ou font
apparaître qu'elle a été soumise à une contrainte
»55.
On constate que la répression pénale par des
peines d'emprisonnement est à la mesure de l'ampleur des abus dont se
rendent régulièrement coupables certains pouvoirs privés
économiques. La répression pénale de ces abus est
l'expression, à n'en point douter, d'un
54Cf., (Loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 art. 20
Journal Officiel du 13 juin 2001)
Est puni de trois ans d'emprisonnement et de 375 000 euros
d'amende l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de
faiblesse soit d'un mineur, soit d'une personne dont la particulière
vulnérabilité, due à son âge, à une maladie,
à une infirmité, à une déficience physique ou
psychique ou à un état de grossesse, est apparente et connue de
son auteur, soit d'une personne en état de sujétion psychologique
ou physique résultant de l'exercice de pressions graves ou
réitérées ou de techniques propres à altérer
son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou
à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables. Lorsque
l'infraction est commise par le dirigeant de fait ou de droit d'un groupement
qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer,
de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique des
personnes qui participent à ces activités, les peines sont
portées à cinq ans d'emprisonnement et à 750000 euros
d'amende..
55 Pour une application jurisprudentielle, Crim.,
1er Fév. 2000, Gaz. Pal. N° 217, pp. 18-19
encadrement répressif des pouvoirs privés
économiques. Même si la portée territoriale de
l'incrimination est un signe de l'essoufflement du droit pénal dans une
économie de plus en plus mondialisée. Mais la loi pénale
reste le dernier rempart contre les atteintes à la confiance,
plate-forme sur laquelle repose le marché et en particulier
l'investissement.
§ 2- La protection des investisseurs.
Les personnes morales sont des instruments
privilégiés de l'économie en ce sens qu'elles mobilisent
l'épargne et l'investissement. L'importance du phénomène
de mobilisation du capital, qui semble irréversible au regard de la
concentration croissante des entreprises, est l'emblème même des
pouvoirs privés économiques. En effet, la liberté de
constitution et de fonctionnement des sociétés a permis de
mobiliser l'épargne des particuliers au service de la grande
entreprise56. L'épargne ainsi mobilisée a permis la
croissance des entreprises et provoqué des changements tant qualitatifs
que quantitatifs dans la gestion des entreprises. C'est ainsi que certains
actionnaires, contrôlaires, ont accaparés la gestion de
l'entreprise disposant de toutes les prérogatives de
propriétaire. C'est pour cela qu'on a pu parler de véritables
pouvoirs privés économiques disposant d'un pouvoir de
décision unilatéral comparable à celui de la puissance
publique.
Gestionnaires attitrés du patrimoine d'autrui, les
pouvoirs privés économiques représentent un risque
réel pour les épargnants. C'est pour cela que le droit
pénal s'est intéressé à eux, notamment en
réprimant les abus de marché. En effet, la prolifération
des entreprises sous forme de réseau et la propension des
sociétés autonomes à s'intégrer dans les groupes de
sociétés ne facilitent pas la protection des épargnants
par le droit commun du marché. C'est à cette fin que le
législateur a entendu doter de sanctions répressives les
règles de formation, de fonctionnement, de financement et de dissolution
du droit des sociétés, mais surtout la diffusion de fausses
informations aux investisseurs et la manipulation des cours boursiers par les
initiés. Bien que décrié par une doctrine dominante et les
milieux d'affaires, il ne faudrait pas perdre de vue l'objectif de ces
incriminations. Le législateur a entendu parer par la dissuasion
pénale toute tentative de fraude préjudiciable aux
épargnants, ici apporteurs en sociétés ou obligataires.
56 L. Boy, Droit économique,
1ère éd.2002. L'Hermès, p. 101
Le législateur américain a eu recourir pendant
longtemps à la sanction pénale pour répondre à la
tromperie des investisseurs57. De même, en 2002, afin de
restaurer la confiance des investisseurs après la débkcle
d'Enron, le Congrès des Etats-Unis a adopté la loi
Sarbanex-Oxley (SOX) qui s'applique à toutes les
sociétés cotées en bourse aux États-Unis. Cette loi
punit de lourdes peines de prison la présentation de comptes frauduleux
en prévoyant jusqu'à 20 ans d'emprisonnement dans certains
cas.
C'est ainsi qu'en garantissant la transparence dans la
constitution, le fonctionnement, le financement et même la dissolution
des entreprises, le droit pénal se présente comme le gage de la
confiance58 et l'instrument ultime dont disposent les pouvoirs
publics pour faire en sorte que le marché ne soit pas une jungle. Au
cours des dernières années, de nombreux crimes à col blanc
ont eu lieu dans le monde des affaires et les montants des fraudes se sont
avérés très importants, se chiffrant en termes de
milliards de dollars. Tous ces crimes nuisent à l'efficacité des
marchés financiers et rendent les investisseurs plus craintifs. À
un certain moment, on croyait que les fraudes dans le cadre des entreprises
d'envergure internationale étaient limitées à
l'Amérique du Nord, avec d'énormes scandales tels qu'Enron,
Worldcom et Nortel. Certains dirigeants obnubilés par le pouvoir et la
richesse manipulent les chiffres comptables pour embellir les états
financiers de leurs entreprises, sans penser aux conséquences
désastreuses à long terme pour les investisseurs. Sans une
dissuasion répressive, les épargnants ne seraient jamais à
l'abri de tels scandales dont le plus récent est celui du financier
Bernard MADOFF59.
Ces développements attestent que les pouvoirs
privés économiques, quelles que soient leurs formes, groupes de
sociétés ou entreprises multinationales représentent des
risques potentiels pour les investisseurs. La preuve en est donnée par
le comportement de certains dirigeants qui se rendent coupables des
délits d'initié en utilisant les informations
privilégiées
57 C'est ainsi qu'en réponse au crash boursier de 1929
et à la grande crise qui s'ensuivait, le congrès américain
a adopté la première loi relative aux titres immobiliers : le
securities act de 1935
58C. FRIED, Libéralisme et droit
pénal, In « Les enjeux de la pénalisation de la vie
économique » sous la direction d'A.-M. FRISON-ROCHE, Dalloz
1997, p. 101. Pour le professeur de la Harvard Law school, la
confiance est le sol fertile sur lequel le marché prospère,
permet l'accumulation de la richesse et assure la promotion des conditions de
son échange. La loi garantit la confiance parce qu'elle est la
plate-forme sur laquelle repose le marché. Et l'utilisation de la
coercition, afin d'assurer les conditions de la liberté ne
contrevient pas à la liberté, mais le sert en mrme temps qu'elle
est requise par elle.
59 L'escroquerie dont le financier Bernard MADOFF
est accusé aurait coûté entre 25 et 50 milliards de dollars
à ses clients. Des investisseurs parmi les plus riches et puissants de
la planète auraient été dupés, pendant des
années parfois, par le gérant financier le plus en vue de New
York, est accusé d'avoir mis en place une gigantesque fraude pyramidale.
Il a été condamné à 150 ans d'emprisonnement ferme
en instance le 29 juin 2009. Il a écopé de la peine maximale.
pour faire prévaloir leurs intérêts
personnels sur ceux des épargnants60. L'article L. 465-3 du
Code monétaire et financier stipule que les personnes morales peuvent
être aussi déclarées responsables pénalement de
délit d'initié dans les conditions prévues par l'article
12 1-2 du Code pénal. Les affaires en cours tout comme celles
définitivement jugées témoignent de l'importance de la
protection pénale des épargnants61. Le droit
pénal est une fois de plus l'ultime voire l'unique gage de la
transparence et de la confiance dans les marchés financiers et de OE
mobilisation de l'épargne populaire au service de la grande
entreprise.
Ces enjeux justifient à suffisance que le domaine
d'encadrement répressif des pouvoirs privés économiques
soit judicieusement défini.
60 Voir art. L. 465-1 du Code monétaire et
financier « est puni de deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 1
500 000 € dont le montant peut rtre porté au-delà de ce
chiffre, jusqu'au décuple du montant du profit éventuellement
réalisé sans que l'amende puisse rtre inférieure à
ce mrme profit pour les dirigeants d'une société
mentionnée à l'article L 225-109 du Code de commerce, et pour les
autres personnes disposant à l'occasion de l'exercice de leur profession
ou de leurs fonctions d'informations privilégiées sur les
perspectives ou la situation d'un émetteur dont les titres sont
négociés sur un marché réglementé ou sur les
perspectives d'évolution d'un instrument financier admis sur un
marché réglementé, de réaliser ou de permettre de
réaliser, soit directement, soit par personne interposée, une ou
plusieurs opérations avant que le public ait connaissance de ces
informations... »
61 Un exemple d'affaire en cours, celle dans
laquelle certains dirigeants de AEDS sont poursuivis pour «
délit d'initié recel de délit d'initié et
diffusion d'informations fausses trompeuses au marchés financiers
». Il convient aussi de citer l'affaire Péchiney pour
illustrer ce risque pour les investisseurs.
|