Section II : L'opportunité des mesures de
substitution à la sanction pénale.
Face à l'inadéquation de certaines sanctions
pénales en matière de groupes, notamment en droit de la
consommation, il serait loisible d'opter pour les autres types de sanction,
civile ou administrative. La responsabilité civile pourrait être
substituée à la responsabilité pénale, à
l'égard des actes qui constituent plus des erreurs de gestion que des
actes délibérément malhonnêtes et des fautes non
intentionnelles. Le droit pénal serait recentré sur des actes
malhonnêtes et graves. Les fautes non frauduleuses pourraient relever de
la responsabilité civile.
C'est ainsi que l'action de groupe pourrait convenir à
sanctionner certaines inobservations du droit de la consommation (§ 1) et
que certaines sanctions de natures administratives pourraient être
revigorées (§ 2).
§ 1 : L'introduction de l'action de groupe au profit
du consommateur.
La particularité de l'action publique, action pour la
mise en oeuvre du droit pénal, est qu'elle a pour objet de
rétablir le trouble qu'a souffert la société, les victimes
directes de l'infraction ne sont prises en compte par la procédure
pénale qu'à titre subsidiaire. Or, il a été
démontré que les agissements inadmissibles des pouvoirs
privés économiques contre lesquels se déploie le droit
pénal portent gravement atteinte au bien-être individuel et
collectif des consommateurs, destinataires directs des prestations des acteurs
économiques. De même, les sanctions pénales, bien que
dissuasives et exemplaires à l'endroit des opérateurs
économiques, ne sont pas toujours à la mesure des
préjudices soufferts par les consommateurs. C'est le problème de
l'efficacité mrme de la sanction pénale qui ne remplit pas la
fonction expiatoire du droit pénal lorsqu'elle s'attache aux
délits économiques.
L'introduction des recours de nature civile, mais de nature
expiatoire, serait plus efficace pour la répression de certains types de
comportements inadmissibles et la réparation des préjudices
sanitaires du fait des produits délictueux préjudiciables aux
consommateurs. Les recours de nature civile seraient même plus
appropriés pour la sanction des infractions non intentionnelles. Le
droit pourrait céder le terrain à ce niveau à ces types de
sanctions ou réguler concurremment avec elles, pour ne pas laisser en
marge de la réprobation pénale certains comportements dont le
caractère frauduleux peut être avéré. Il a
été démontré que la décision des agents
économiques, rationnels et maximisateurs, de recourir aux comportements
injustifiables et inadmissibles pour faire du profit repose sur une analyse
coût-avantage entre le coût certain de la condamnation et
l'espérance de gain liée à une
non-condamnation122. Or si les consommateurs avaient une action leur
permettant de rétablir par voie contentieuse l'équilibre entre
eux et les professionnels rompu par les contrats d'adhésion, la
dissuasion serait accrue. C'est ainsi que l'introduction de l'action de groupe
en droit français constituerait l'aboutissement nécessaire et
logique de la législation favorable au consommateur entamée par
la Loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 dite « loi Scrivener ».
L'action de groupe ou « class action » dans la
terminologie américaine, est une voie de droit ouverte par la
procédure civile, permettant à un ou plusieurs personnes
d'exercer, au nom d'une catégorie de personnes (classe) une action en
justice. Il a pour but d'organiser le rééquilibrage par la voie
judiciaire, des rapports entre le faible et le fort. A ce titre, elle
122 T. KIRAT et F. MARTY, Economie du droit et de la
règlementation, Gualino Eds, 2007, p. 90
constitue un nouvel instrument de régulation des
puissants acteurs économique, qu'il convient de placer parfois devant
leurs responsabilités. De nombreux pays européens comme
l'Angleterre, le Portugal, le Pays de Galles ou la Suède disposent
déjà d'une action de groupe qui a fait ses preuves.
L'action de groupe permet ainsi à un ensemble de
victimes de comportements fautifs, illégaux ou contraires aux contrats
conclus, d'obtenir la juste réparation du préjudice subi. Le
formalisme du droit pénal ne permet pas au juge répressif de
prendre en considération le préjudice subi par tous les
consommateurs ou une partie importante d'entre eux. Il est limité dans
son action par les principes de proportionnalité, de
légalité, de personnalité de la peine. Il ne peut pas
s'autoriser l'audace nécessaire de réparer les préjudices
subis par les milliers, voire les millions de consommateurs, victimes de
comportements fautifs des professionnels, ce qui a pour effet de laisser entre
leurs mains le bénéfice des comportements illégaux. Cela
est justifié par l'objet mrme de l'action publique. De mrme, l'absence
d'accès gratuit à la justice, la complexité de la
procédure, le coût de la justice et la technicité des
règles juridiques conduisent généralement le consommateur
isolé à renoncer à toute action, abandonnant ainsi au
professionnel le bénéfice de son infraction. Ce qui constitue une
atteinte inacceptable à l'état de droit.
L'exemple de l'entente anticoncurrentielle et illégale
entre les opérateurs de téléphonie mobile est
éclairant. Cette entente a été sévèrement
condamnée par voie d'amende par le Conseil de la concurrence puisque
près de 20 millions de personnes ont été
déclarées victimes par cette Autorité administrative
indépendante. L'association de consommateurs UFC-Que Choisir a
engagé une action au nom de l'intérrt collectif des consommateurs
et a proposé aux victimes de se joindre à sa procédure.
Elle a affecté un personnel spécifique pour aider les
consommateurs à constituer leurs demandes de réparation. 300.000
personnes se sont inscrites sur le site Internet créé à
cet effet ; après 10 mois de travail, et 500.000 euros de frais de
gestion, seulement 12.521 dossiers ont pu rtre finalisés et
acheminés par camion jusqu'au tribunal chargé de trancher
l'affaire. 12.521 demandeurs sur près de 20 millions de victimes, c'est
0,06 % des victimes qui seront peut-rtre indemnisées. C'est une rente
inacceptable accordée aux opérateurs économiques ne
respectant pas volontairement l'état de droit123.
Mis à part les effets pervers que cette action seraient
susceptible d'engendrer et son impact négatif sur la
compétitivité des firmes et l'incitation à l'innovation,
elle présente
123 Voir exposé des motifs de la proposition de Loi
N° 324 enregistrée à la présidence de
l'Assemblée Nationale le 24 Octobre 2007 et relatif à
l'introduction en France de l'action de groupe, présenté par le
député Arnaud Montebourg et le groupe socialiste.
l'avantage d'inciter les consommateurs s'estimant victimes
d'un comportement fautif de la part d'un professionnel et inefficacement
réprimé par le droit pénal, d'ester en justice et de faire
condamner le professionnel. L'action de groupe serait une voie ouverte aux
consommateurs pour rééquilibrer leurs rapports avec les
professionnels, déséquilibrés du fait de nombreux contrats
d'adhésion qui ne sont en substance pas des contrats, mais des «
règlements privés ». L'équilibre mis à mal
pourrait rtre rétabli grkce aux larges pouvoirs qu'offre cette action au
juge. Il exerce généralement un contrôle étroit sur
la procédure et dispose d'une importante marge de manoeuvre sur la
recevabilité de l'action et exerce un contrôle sur les
transactions qui peuvent être conclues, le plus souvent par une
procédure d'homologation. Le droit pénal devrait prendre en
considération ces expériences pour se repositionner et
céder certains terrains aux procédures plus efficaces, surtout
que cette procédure contraint les pouvoirs privés
économiques à respecter la loi mrme en l'absence d'incrimination
pénale.
De même, face à la lenteur de la justice
pénale et l'absence d'incrimination suffisante en d'autre matière
importante comme le droit de l'environnement, les sanctions de nature
administratives devraient être utilisées pour faire cesser
certains agissements condamnables que n'appréhende pas le droit
pénal.
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