L'ordre public pénal et les pouvoirs privés économiques( Télécharger le fichier original )par Joseph KAMGA Université de Nice Sophia Antipolis - Master 2 recherche en droit économique 2008 |
INTRODUCTION.Au contact des affaires, les interdits de nature répressive ont été généralement ressentis par les acteurs du jeu économique comme une agression des pouvoirs publics. Destinés à renforcer les règles ordinaires applicables au jeu économique, ils sont cependant fortement influencés par l'ordre public économique autour duquel est construit le droit économique et dont on doit la systématisation à M. Gérard FARJAT1. L'ordre public économique est la manifestation même de la place du droit en économie de marché, fondée sur l'auto ajustement de l'offre et de la demande par les prix. Pour assurer le respect effectif des dispositions de cet ordre public économique, le législateur a fait recours aux dispositions de nature pénale. C'est la raison d'être du droit pénal économique. On en est arrivé à la coexistence de deux ordres publics en droit économique : l'ordre public économique et l'ordre public pénal. Ces deux catégories sont destinées en économie de marché à l'encadrement d'une catégorie particulière d'acteurs économiques : les pouvoirs privés économiques. Ces derniers constituent l'un des pôles les plus actifs de l'économie mondialisée. L'ordre public économique est considéré comme le siège des valeurs qui, en raison de leur caractère fondamental, sont soustraites aux initiatives individuelles des acteurs du marché2. C'est le moyen par lequel l'Etat intervient dans l'économie en réprimant les conventions qui portent atteinte à ses intérêts essentiels et à ceux du marché, tout en faisant prévaloir l'intérJt général économique sur les intérr~ts particuliers des différents acteurs économiques. Il convient de noter que l'ordre public économique revr~t le caractère d'une règle d'exception en économie de marché. Le principe étant toujours la liberté du commerce et de l'industrie consacrée par le décret d'Allarde des 2 et 17 mars 1791 qui dispose qu' « il sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d'exercer telle profession, art ou métier qu'elle trouvera bon ». #172;~ l'intérieur de cet ordre public, on distingue l'ordre public économique de direction et l'ordre public économique de protection. Le premier a pour objet l'orientation de l'activité économique dans le sens qui paraît conforme à l'utilité sociale3 et le second a pour finalité la protection du contractant faible. L'ordre public économique consiste en somme surtout à interdire l'organisation de l'économ ie par les acteurs privés. 1 G. FARJAT, L'ordre public économique, Paris, LGDJ. 1963 2 M. M. MOHAMED SALAH, Les transformations de l'ordre public économique : vers un ordre public régulatoire ?, in Mélanges FARJAT, Paris, éd. Frison-Roche, 1999, p.261 3 F. TERRÉ, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil, spéc. n° 358, cité par M.M. MOHAMED SALAH, op. cit., p.262 L'ordre public pénal quant à lui, est considéré en droit économique comme le garant de l'effectivité de l'ordre public économique. Il représente l'ensemble des mesures prises par le législateur pour le maintien de cet ordre public. C'est ainsi qu'il s'attache aux conséquences du non respect des prescriptions de l'ordre public économique en sanctionnant les écarts et les manquements préjudiciables à l'économie. L'ordre public pénal se manifeste principalement à travers le droit pénal économique dont il est donc difficile de donner une définition synthétique. On le considère comme la branche répressive du droit économique. Le droit pénal serait donc un outil, un instrument du droit économique. Mais le droit pénal est une branche autonome du droit. Il faudrait que le droit économique renvoie lui même à quelque chose de précis, à une prescription impérative, pour que le droit pénal sanctionne les manquements y relatifs. Quant aux pouvoirs privés économiques, expression qui n'est pas consacrée en droit positif et dont on attribue la paternité à M. Gérard FARJAT, il s'agit en fait de simples personnes privées disposant d'un pouvoir de décision unilatéral, analogue au plan substantiel à celui de la puissance publique4. Cette expression renvoie à l'ensemble des acteurs du marché qui, par le truchement de l'outil contractuel et à la faveur de la concentration du capital, organisent l'économie à leur guise. Ce sont des acteurs organisateurs de l'économie de marché, de l'économie mondialisée. On les reconnaît par les instruments juridiques qu'ils utilisent pour encadrer leurs relations avec leurs partenaires, professionnels ou non : les contrats d'adhésion ou contrats dirigés5. Leur existence bouleverse, selon M. Gérard FARJAT, les représentations juridiques traditionnelles, notamment le statut juridique des personnes privées. Mais, actuellement, c'est sur la scène internationale qu'ils paraissent sous le jour le plus cru6. C'est ici que leur influence est irrésistible dans la mesure où ils orientent le sens de la mondialisation et effritent la souveraineté des États7. Le procès de Pretoria en est la saillante illustration8. L'expression « pouvoirs privés économiques » renvoie donc dans le 4 G. FARJAT, Droit économique, 1ère éd., Paris, PUF Thémis, 1971, p. 119 5 L. JOSSERAND, « Le contrat dirigé », D.H. 1933.89 6 G. FARJAT, « Les pouvoirs privés économiques » in Souveraineté étatique et marchés internationaux à la fin du 20ème siècle, Mélanges Ph. Kahn, Litec, 2001, p. 613 7 Nul ne peut nier aujourd'hui le fait que les entreprises orientent le sens et le contenu des normes juridiques, surtout les grands traités internationaux dont on pourra prendre les accords ADPIC comme l'exemple le plus saisissant. 8 On se souvient, le 19 Avril 2001, 39 compagnies pharmaceutiques avaient abandonné le procès intenté trois ans plutôt au gouvernement sud-africain avec la volonté de faire annuler la loi sud- africaine destinée à diminuer le prix des médicaments afin de favoriser l'accès aux antirétroviraux destinés à soigner la maladie du sida. cadre de cette étude, aux entreprises multinationales, aux entreprises transnationales et aux grands opérateurs économiques disposant des capacités d'organisation et de contrôle de l'économie. On pourra citer comme exemples, les groupes pétroliers, les groupes de communication et d'information et plus généralement les groupes de sociétés. De mrme, il est constaté un déplacement de la production, de l'émission des normes et de leur interprétation vers cette catégorie d'acteurs. Les Codes de conduite privés, les contrats de souveraineté ou contrat d'État et le recours généralisé à la juridiction des arbitres en matière de commerce international en sont une parfaite illustration. Les pouvoirs privés économiques, en dépit du fait qu'il ne leur est pas reconnu une personnalité internationale, se présentent donc sur la scène internationale comme des partenaires directs des États souverains. Le droit a été obligé de trouver une catégorie particulière de contrat pour régir leur relation avec les personnes publiques : le contrat d'État. Généralement utilisé dans le cadre d'un investissement international, c'est une convention entre un État et une personne privée étrangère qui se caractérise par la soustraction totale ou partielle à l'ordre juridique de l'État contractant.9 C'est l'influence de ces nouveaux pouvoirs qui aurait poussé M. Gérard F ARJAT à s'interroger sur leur caractère hérétique10 . En dépit de la robustesse et du statut de pouvoir des acteurs économiques, il se trouve qu'ils sont des sujets de droit et devraient en toute logique être assujettis à des interdits sociaux, incarnés par le droit pénal dont il a été précisé l'utilité en droit économique. Les pouvoirs privés économiques sont donc des sujets de droit pénal, d'où l'intitulé de ce sujet : « l'ordre public pénal et les pouvoirs privés économiques ». Il a été démontré que l'ordre public pénal est en fait l'ensemble des dispositions de nature répressive qui s'applique en réaction à la méconnaissance des prescriptions de l'ordre public économique par un acteur du marché. Etant donné que les pouvoirs privés économiques sont les acteurs du marché les plus en vue, ils devront faire l'objet d'une attention particulière, surtout en cette période de déterritorialisation des activités de production et de mondialisation de l'économie. Confrontés donc au droit pénal, les pouvoirs privés économiques redeviennent des sujets de droit comme les personnes physiques et sont par principe susceptibles d'rtre sanctionnés pénalement. La règle étant la responsabilité pénale générale des personnes morales. 9 J.-B. RACINE et F. SIIRIAINEN, Droit du commerce international, Dalloz-Sirey, 2007, p. 138, n° 212 10 G. FARJAT, « Les pouvoirs privés économiques » in Souveraineté étatique et marchés internationaux à la fin du 20ème siècle, Mélanges Ph. Kahn, Litec, 2001, p. 615. L'auteur poursuit en disant qu'ils sont hérétiques dans le système politique (la démocratie), dans le système économique (le marché) et dans le système juridique (l'autonomie de la volonté). Toutefois, les faits ne révèlent pas une application ordinaire des dispositions du droit pénal aux manquements de ces acteurs particuliers aux impératifs posés par l'ordre public économique. Il paraît que le droit pénal ne s'applique à eux qu'exceptionnellement. La jurisprudence n'offre que quelques cas définitivement jugés. Il semble que l'application du droit pénal soit concurrencée par un autre mode de règlement des différends beaucoup plus consensuel : la transaction. La transaction serait le mode approprié d'évitement de la voie pénale, ce qui permet de dire que l'action publique, à l'encontre des acteurs de l'économie mondialisée n'a pas la mrme vigueur qui la caractérise lorsqu'elle est à l'épreuve des personnes physiques. Le problème est donc celui de la vigueur du droit pénal à l'encontre des pouvoirs privés économiques. Le droit pénal s'applique t-il aux pouvoirs privés économiques de la mrme manière qu'elle se déploie à l'encontre des personnes physiques ? Le droit pénal saisit-il les agissements des entreprises opérant hors du cadre territorial de leur siège social avec la même efficacité que celle qui caractérise la répression des manquements aux dispositions du droit interne ? Il se pose un problème : celui de l'efficacité du droit pénal à l'endroit des agents privés de l'économie mondialisée. La juxtaposition des expressions « ordre public pénal » et « pouvoirs privés économiques » peut donc sembler paradoxale au vu du climat de défiance et d'hostilité des acteurs du marché par rapport à la répression, mais aussi au vu de leur aspiration à accéder au statut de véritable pouvoir. Cette association se révèle cependant indispensable au regard du rôle primordial du droit pénal dans la régulation des comportements des sujets de droit. Le rôle du droit pénal dans la construction de l'État de droit n'étant plus à démontrer, il serait mal venu que le droit pénal cède le pas à « la raison du marché » corollaire contemporain de ce qui fut « la raison d'État ». Les efforts ont déjà été faits dans ce sens. La consécration de la responsabilité pénale générale des personnes morales constitue une avancée en droit interne, mais elle n'est pas encore la panacée11. Les mr mes efforts doivent rtre faits à l'échelle internationale. Certes, divers instruments internationaux ont été adoptés pour réguler par la voie répressive les pouvoirs privés économiques. Il en est ainsi de la Convention internationale sur la criminalité transnationale organisée, négociée et signée sous l'égide des Nations-Unies le 15 novembre 2000, ouverte à signature et signée par la France à Palerme le 11 Loi n°2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité Voir aussi, J. PRADEL, Droit pénal comparé, Dalloz, 2ème éd. 2002, p.357, n°242, E. MATHIAS, La responsabilité pénale, Gualino éds, 2005, p.194 12 décembre 2000 et réprimant plusieurs infractions à l'instar du blanchiment d'argent12. Il en est de même de la Convention de l'OCDE sur la corruption d'agents publics étrangers signée à Paris le 17 décembre 1997 et la Convention de l'Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption adoptée lors la conférence de l'Union à Maputo, le 11 juillet 200313. On constate donc en l'apparence, un foisonnement de dispositifs répressifs destinés aux acteurs économiques, pôle actif de l'économie mondialisée. Mais le défaut d'existence d'une juridiction internationale, voire mondiale, chargée de mettre en oeuvre les prescriptions de l'ordre public économique et donc de sanctionner ou de faire sanctionner son inobservation affaiblit l'ordre public pénal et le désarme de sa capacité à construire une économie de droit. En plus, la globalisation de l'espace économique et la progressive dilution des frontières revigorent l'enjeu mrme d'un ordre public économique ordonné et donc d'une sanction répressive coordonnée des inconduites des acteurs du marché telles que les pratiques anticoncurrentielles, la corruption transnationale et les infractions de droit commun telle les atteintes graves à l'intégrité et à la santé des populations. Ces dernières infractions, généralement commises à l'occasion de la délocalisation des activités à risque dans les pays à systèmes institutionnels et juridiques faibles, semblent être un terrain privilégié sur lequel le droit pénal pourrait réguler les pouvoirs privés économiques. L'atomicité des acteurs et l'unification de l'espace économique appelle donc à l'harmonisation des approches et la coordination des sanctions. #172;~ défaut d'une sanction coordonnée, le risque de développement de la délinquance transnationale des acteurs économiques pourrait se multiplier. Les régulations nationales semblent donc insuffisantes et ne pourraient, pas par elles-mêmes, réguler l'espace économique qui, progressivement, s'unifie. En ce sens, on aurait pu penser à la compétence de la Cour pénale internationale, comme compétence subsidiaire à défaut d'une compétence nationale particulière. On se rend vite compte que cette juridiction ne peut pas, en l'état actuel du droit, rtre d'un secours salutaire à la régulation répressive des acteurs du marché globalisé. Le repli sur des solutions de droit interne semble donc rtre l'unique piste réaliste et praticable en l'état actuel du droit. Mais pour que le droit pénal interne soit d'une efficacité réelle, il faudrait qu'il intègre les réalités du phénomène qu'il servira à réprimer. Le droit pénal devra donc s'adapter pour affronter et réguler les pouvoirs privés économiques. 12 Voir Rapport du Sénat pour la session ordinaire de 2001-2002, annexé au procès verbal de la séance du 31 janvier 2002, consultable sur http://www.senat.fr/rap/l01-200/l01-2001.pdf 13 http://www.africaunion.org/Official_documents/Treaties_Conventions_fr/Convention%20sur%20la %20lutte%20contre%20la%20corruption.pdf Pour la régulation des pouvoirs privés économiques, le droit pénal, discipline réaliste, discipline des valeurs, paraît d'une importance particulière. Le respect des valeurs en droit économique dépend donc de sa capacité à sanctionner les écarts et les manquements des acteurs du nouvel espace économique qu'offre la mondialisation. Le droit pénal international économique14 semble plutôt défaillant actuellement face à la réitération constante des comportements économiques répréhensibles, mais surtout avec le dévoiement de l'action pour l'application des peines par la généralisation du règlement transactionnel des préjudices qui trouvent leur siège dans les incriminations pénales. Le présent travail a donc pour objet de révéler les déficiences de l'ordre public pénal en droit économique en général, mais surtout son inadaptation à la répression des pouvoirs privés économiques. Ainsi, il convient de dévoiler les insuffisances du droit pénal lorsqu'il est mis à l'épreuve des pouvoirs privés économiques tout en essayant de démonter qu'il y a cependant des satisfactions à certains points, même si elles restent à parfaire. Cependant, le statut des acteurs qu'il doit réguler et les implications de la mondialisation semblent obliger le droit pénal à faire sa mue et à s'adapter, au risque d'rtre inefficace. Il convient donc d'ébaucher les différentes pistes de repositionnement de l'ordre public pénal dans le même contexte que les pouvoirs privés économiques. Il convient donc de faire un examen de l'état de l'encadrement répressif des pouvoirs privés économiques (Partie I) avant celui de l'opportunité d'un redéploiement du droit pénal en réponse au statut de cette nouvelle catégorie de délinquants (Partie II). 14 G. GIUDICELLI-DELAGE, Droit pénal des affaires en Europe, PUF Thémis Droit, 2006. Première Partie : L'encadrement répressif des pouvoirs privés économiques. La mondialisation et la concentration favorise l'accroissement de la taille des entreprises et la diminution corrélative de leur nombre ou la concentration des pouvoirs de décision au sein des centres de décision. On assiste à l'émergence des pouvoirs privés économiques, disposant des prérogatives similaire à celles jusque là reconnues aux seules personnes publiques. En dépit de cet émergence, le principe reste le même : l'État seul est irresponsable pénalement. Même ses démembrements sont responsables à certaines conditions au regard du plan pénal. La conséquence en est que toutes les personnes de droit privés sont responsables au regard du droit pénal : les pouvoirs privés sont eux aussi responsables au regard du droit pénal et le sont pour toutes les infractions depuis la généralisation de la responsabilité des personnes morales depuis la loi n°2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité dite loi PERBEN II. Les personnes morales, à l'exception de l'Etat, sont responsables pénalement (en tant qu'auteurs ou complices) toutes les infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants. Les pouvoirs privés économiques entrent dans le champ d'application de cette loi en ce sens qu'outre les fait qu'ils ont dans un grands nombre la personnalité juridique, donc une existence juridique, condition de la responsabilité pénale, ils pourraient être mis en cause par l'établissement de la complicité de commission d'une infraction. Dès lors, même sans personnalité juridique, le droit offre des possibilités au juge répressif d'établir la responsabilité pénale des pouvoirs privés économiques. Cette généralisation de la responsalité pénale des groupements traduit donc une certaine méfiance du législateur à l'endroit de cette catégorie d'acteurs. Il convient alors, de montrer les enjeux liés à l'encadrement répressif des pouvoirs privés économique (Titre I). Ces enjeux permettront de mesurer l'ampleur du déploiement du droit pénal à l'encontre des personnes morales en général et des pouvoirs privés économiques en particulier. Ce qui permettra de cerner le cadre, le domaine de l'encadrement répressif des pouvoirs privés économiques (Titre II). Titre I : Les enjeux de l'encadrement répressif
des pouvoirs Le développement exponentiel de la délinquance économique, favorisé par la dérèglementation du système économique et la mondialisation des échanges commerciaux, porte gravement atteinte au système économique et financier tel qu'il fonctionne dans l'économie libérale, caractérisée par la toute puissance du marché. L'économie de marché est alors un système économique dans lequel les mécanismes naturels du marché assurent une auto ajustement de l'offre et de la demande par les prix. Les économistes l'opposent à l'économie planifiée. Le rôle ou l'intervention de l'Etat doit rtre la plus réduite possible. Le droit doit se limiter à veiller au respect des conditions nécessaires au bon fonctionnement du marché. Les principaux acteurs du marché sont alors des agents économiques privés avec une prédominance des personnes morales sur les personnes physiques. Le développement de ces acteurs leur a permis de s'octroyer la quasi-totalité des prérogatives de puissance publique, tel le commandement, l'unilatéralisme et les pouvoirs d'organisation de l'économie. Ce qui a permis à un auteur de les qualifier de pouvoirs privés économiques15. A l'image des pouvoirs publics, ces acteurs constituent aujourd'hui le pôle le plus attractif de l'économie mondialisée. Avec les concentrations de ces dernières décennies, les entreprises sont devenues transnationales alors que les régulations restent principalement nationales. Leur puissance économique leur ont permis de s'affranchir de la conception traditionnelle de certaines catégories juridiques telle la libre concurrence, l'autonomie de la volonté16. C'est pourquoi une branche particulière du droit, le droit de la concurrence, s'est, selon M. Gérard FARJAT, développé contre eux17. Ainsi, avec le retrait de l'Etat de la sphère économique et le rayonnement de la loi du marché, il devenait alors indispensable que les règles du marché soient strictement appliquées et que toutes les violations soient fermement sanctionnées et au besoin par les moyens 15 G. FARJAT, Pour un droit économique, PUF, 2004, p. 25 16 M.-A. FRISON-ROCHE, Remarques sur la distinction de la volonté et du consentement en droit des contrats : RTDCiv., 1995, pp. 573 et s. 17 G. FARJAT, op. cit., p. 68 répressifs. La délinquance économique est devenue un fléau et le législateur a opté pour les moyens répressifs comme garantie d'effectivité des règles ordinaires. Présentée comme un mal qui aurait pour effet de décourager l'esprit d'entreprise et de faire perdre le goût du risque, moteurs du développement économique et financier pour les entreprises18, la pénalisation du droit des activités économiques n'a jamais autant été dénoncée19. Pourtant son principe même ne semble pas remis en cause en ce sens que le droit pénal est le seul gage d'effectivité et d'efficacité20 de l'ordre public économique face à la recherche illicite du profit : motif fondamental de la délinquance économique de certains grands groupes. De par sa fonction dissuasive, l'ordre public pénal participe à l'affirmation des valeurs en droit économique. Valeurs qui sont par hypothèse subjectivement extérieures aux acteurs21 mus par leurs intérêts égoïstes. C'est en incriminant les atteintes et les manquements caractérisés à l'honnr~teté, à la transparence, à l'intégrité, à la probité et à la loyauté (valeurs fondamentales de l'économie de marché) que l'ordre public économique sera mieux garanti. Vecteur de valeur éthiques, l'ordre public pénal participe d'une meilleure protection du marché (chapitre 1) et de la moralisation des acteurs du marché (chapitre 2) bien que d'aucuns le considèrent d'ailleurs aujourd'hui comme anormalement envahissant22 . 18 J.-P. DINTILHAC, La pénalisation de l'activité économique et financière, In « la justice pénale face à la délinquance économique et financière », Dalloz, 2001, p. 3 19 Voir la littérature abondante favorable à la dépénalisation du droit des affaires et le discours du chef de l'Etat, Nicolas Sarkozy, du 06 septembre 2007 à l'occasion du bicentenaire du Code de commerce au tribunal de commerce de Paris. Ce discours peut être consulté sur www.elysee.fr/documents 20 M.-A. FRISON-ROCHE, Avant propos de « Les enjeux de la pénalisation de la vie économique », Dalloz, 1997, p.2, « Le droit pénal est la plus formidable des portes et il ne faut pas craindre de l'ouvrir à deux battants. Elle débouche sur l'ensemble du système juridique, sur ses dysfonctionnements profonds, sur les cassures du droit des sociétés, sur les faiblesses de l'institutions judiciaire civile » 21 C'est A. SMITH qui à travers sa théorie de la « main invisible » caractérise les acteurs économiques en ces termes : « Ce n'est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu'ils apportent à leurs intériJts. Nous ne nous adressons pas à leur humanisme, mais à leur égoïsme... » 22 Y. GUYON, « De l'inefficacité du droit pénal des affaires », Revue Pouvoirs, 1990, N°55, P.41 |
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