CHAPITRE 2 : LES IMPLICATIONS DES DISPOSITIONS
DU SYSTEME COMPTABLE OHADA SUR LA GOUVERNANCE DES ENTREPRISES
Le concept de « corporate governance » ou «
gouvernement d'entreprise », fait l'objet d'un débat en ce moment
et reste au centre des préoccupations des acteurs politiques, de la
grande presse, des chercheurs en sciences sociales et des autres rencontres
scientifiques.
Dans le présent chapitre, nous essayerons de donner une
définition de la gouvernance d'entreprise à partir des
différentes théories existantes sur le domaine (section 1).
Ensuite, après avoir cerné la notion de
gouvernance des entreprises nous établirons le lien entre la
comptabilité et la gouvernance des entreprises pour ressortir les
implications des dispositions du Système Comptable OHADA (section2).
SECTION I : LA GOUVERNANCE DES ENTREPRISES
Dans cette section, il sera question d'appréhender dans
un premier temps la bonne gouvernance des entreprises. Ce qui nous conduira
d'abord à la présentation des typologies de la gouvernance
permettant ainsi d'appréhender le concept et de ressortir les
différentes approches. Ensuite nous passerons en revue les
différents mécanismes existants ainsi que les
éléments qui déterminent la bonne gouvernance des
entreprises.
Cette typologie va nous permettre, dans un second temps,
après avoir bien défini les entreprises sur lesquelles vont
porter notre étude, à spécifier la gestion des ces
dernières (les entreprises).
I- LA BONNE GOUVERNANCE DES ENTREPRISES A-
TYPOLOGIE
Avant de faire l'exposition des différentes approches de
la gouvernance, il nous semble utile de commencer par la définition de
gouvernance d'entreprise.
1- Définition
La théorie de la gouvernance trouve son origine dans les
travaux de Berle et Means (1932)17. Le débat sur la
gouvernance repose sur l'hypothèse selon laquelle, les dirigeants
17Berle A.et Means G, The Modern Corporation and
Private Property, Macmillan, 1932, 2ième édition
1956
d'entreprises, du fait qu'ils sont en mesure de s'affranchir
des différents mécanismes mis sur pied pour les contrôler,
ils sont capables de s'attribuer des rentes au détriment des
actionnaires et des autres stakeholders.18
C'est dans cet ordre d'idée que CHARRAUX (1999) propose
la définition suivante : « les systèmes de gouvernance ont
pour fonction de réduire les coûts d'agence entre les apporteurs
des capitaux (actionnaires et créanciers financiers) et les dirigeants.
De façon implicite, le facteur déterminant de la création
de valeur, donc de l'efficience, est la sécurisation de l'investissement
des apporteurs des capitaux »19.
De même, Jean Guy Degos (2002) est allé dans le
même sens. Selon lui, « Le système de gouvernance recouvre
l'ensemble des mécanismes ayant pour objet de discipliner les dirigeants
et de réduire les conflits, générateurs de
coûts».
CHARRAUX (2000)20a essayé de mettre en
évidence deux visions de la gouvernante d'entreprise : la vision
actionnariale, centrée sur la relation actionnaires dirigeants et le
contrôle de ces derniers, et la vision partenariale qui est
centrée sur le dirigeant. La vision actionnariale, axée sur
l'apport des ressources financières, cadre avec la définition
proposée par Shleifer et Vishny (1997) selon laquelle « la
gouvernance des entreprises se préoccupe de la façon dont les
apporteurs des capitaux, permettant de financer les sociétés,
garantissent la rentabilité de leurs investissements
»21. Gérard Charraux (1997) part de la limite de cette
vision pour proposer l'approche partenariale dont il définit ainsi :
« Le système de gouvernance est l'ensemble des mécanismes
qui définissent et qui délimitent l'espace discrétionnaire
des dirigeants »22.
Il ressort de ces différentes définitions, les
éléments centraux de la gouvernance des entreprises à
savoir, la relation entre actionnaire dirigeant, les autres stakeholders et le
dirigeant, ainsi que le contrôle de ce dernier.
Par contre, beaucoup d'auteurs ont essayé d'aller plus
loin pour montrer que la gouvernance d'entreprise ne se limite pas seulement
aux conflits pouvant exister entre les dirigeants et les stakeholders. Elle ne
se limite pas seulement au contrôle des dirigeants.
18Franck BANCEL, La Gouvernance des Entreprises,
Gestion POCHE Economica, Paris, 1997 19CHARREAUX G., La
théorie positive de l'Agence : lecture et relectures..., in KOENIG G,
ed., De nouvelles théories pour gérer l'entreprise du XXI
siècle, Economica, 1999
20 Charraux C. Gouvernement d'entreprise et
comptabilité, in COLAS SE B. encyclopédie de comptabilité,
contre de gestion et audit, 2000
21 Shleifer A. Vishny R. « A Survey of Corporate
Governance » journal of Finance, vol 52, 1997, P737-783
22 CHARRAUX G., le gouvernement des entreprises :
Corporate Governance, théories et faits, Economica, Paris, 1997
Labelle et Martel (1997) définissent la gouvernance
d'entreprise comme « une procédure et une structure utilisée
pour gérer les affaires tant internes que commerciales de l'entreprise,
dans le but d'en augmenter la valeur pour les actionnaires, ce qui inclut d'en
assurer la viabilité financière »23.
Monks et Minow(1995) de leur côté, proposent la
définition suivante : « La gouvernance d'entreprise, traduction de
corporate governance, est constituée du réseau de relations liant
plusieurs parties dans le cadre de la détermination de la
stratégie et de la performance de l'entreprise. Ces parties sont, d'une
part, les actionnaires, les dirigeants et le conseil d'administration ; d'autre
part, les clients, les fournisseurs, les banquiers et la communauté
»24.
Pour l'OCDE (1996), « le gouvernement d'entreprise
renvoie au système par lequel, les activités d'une entreprise
sont conduites et surveillées. Il organise la répartition des
droits et des responsabilités entre les différents participants
à la vie de l'entreprise dont le conseil d'administration, les
dirigeants, les actionnaires et les autres parties prenantes et fixe les
règles et les procédures régissant la manière dont
sont prises les décisions concernant la conduite des affaires. Il
constitue donc la structure par laquelle, sont définis les objectifs de
l'entreprise ainsi que les moyens de les atteindre et de suivre les
résultats »25.
L'initiative du secteur privé Kenyan pour la
gouvernance des entreprises quant à elle, définit la gouvernance
comme « la manière dont la direction d'une société
gère le portefeuille d'actifs et les ressources de cette
société avec l'objectif de maintenir et d'accroître la
valeur pour l'actionnaire tout en servant les intérêts des autres
partenaires dans le cadre de la mission de la société »
Au regard de ces différentes définitions, nous
pouvons tout simplement considérer la gouvernance d'entreprise comme la
façon dont l'entreprise est gérée et
contrôlée. C'est l'ensemble d'outils de contrôle et de
gestion, pouvant inciter les dirigeants à rétablir
l'équilibre en faveur de tous les stakeholders, en créant et
répartissant équitablement de la «la richesse » afin
d'améliorer l'efficacité de l'entreprise. Nous retiendrons cette
définition pour notre recherche.
23 Labelle R. et Martel L., « Exigences et
pratique canadiennes en matière de gouvernement d'entreprise, « in
Gestion, volume 22, numéro4, 1997
24 Monks R.A.G.et Minow N., in CABY et HIRIGOYEN, la
création de la Valeur de l'Entreprise, 2 édition, Economica,
Paris, 2001.
25 OCDE,p. 1 Pricipes de l'OCDE relatifs au
gouvernement d'entreprise : questions-réponses, in DEFFAINS B. et Guigao
J droit, gouvernement d'entreprise et marché de capitaux, GREFIGE,
Université de Nancy2, cahier de recherche n°2002-04, 2002.
1- Typologie de la gouvernance des
entreprises
Pour présenter cette typologie, nous nous appuierons de
travail de Stéphane TREBUCQ (2003) sur la gouvernance d'entreprise
héritière de conflits idéologiques et philosophiques. En
effet, plusieurs critères fondent les théories de la gouvernance.
Entre autres, la relation dirigeants actionnaires, la prise en compte de
l'ensemble des parties prenantes et l'attitude du dirigeant.
L'article de Jensen et MEKLING (1976) qui renferme la
théorie de l'agence, la théorie des droits de
propriété, la théorie de la structure de
propriété de la firme, reste la principale source d'inspiration
de toutes les recherches sur la gouvernance des entreprises. Le premier courant
de pensée retient comme objectif assigné au dirigeant, la
maximisation de la richesse de l'actionnaire, et la nécessité de
contrôler le dirigeant afin de limiter la latitude discrétionnaire
de ce dernier (Williamson, 1985).
Freevan et Reed(1983) réagissent en recommandant
d'élargir le cadre d'analyse de l'agence qui est trop centré sur
le seul intérêt des actionnaires, mais aussi de prendre en compte
toutes les autres parties prenantes en vue de mieux orienter la
stratégie de la firme. Elle est censée servir non pas l'exclusif
intérêt des actionnaires, mais également celui de la
société tout entière. Elle doit intégrer les
intérêts de l'ensemble des parties prenantes bien que ces
intérêts soient parfois contradictoires.
À partir de 1986, 1e mouvement contestataire de la
théorie de l'agence, émanant des chercheurs en philosophie et en
sociologie, commence à se manifester. Cette manifestation aboutit
à l'élaboration de la théorie de l'intendance en 1989, qui
est centrée sur la question des motivations du dirigeant (Donaldson et
Davids, 995 Donaldson 1990).
En effet, la théorie de l'agence semble être
particulièrement adaptée à des situations où les
cadres affichent des comportements individualistes et de maximisation de leur
propre intérêt. Cependant la théorie de l'intendance ne
l'est pas moins si l'on se propose d'envisager la situation où le
dirigeant donne la primeur à l'intérêt
général. La théorie devient beaucoup plus envisageable
lorsque ce dirigeant peut tirer satisfaction personnelle de la réussite
même de la firme qu'il dirige. Par conséquent, on constate
l'inopérationnalité de la théorie de l'agence dans la
mesure où, on n'a pas besoin d'exercer le contrôle sur le
dirigeant.
Ainsi donc, nous avions fait l'exposition des trois
principales approches de la gouvernance. La première approche est celle
décrite par Williamson(1 985). Ensuite, Freeman et Reed (1983) portent
des critiques sur le premier courant et recommandent de prendre en compte
de l'intérêt de tous les stakeholders. Enfin la
théorie de l'intendance proposée par des chercheurs
spécialisés en « organizational behavior ».
B- LES CARACTERISTIQUES DE LA BONNE
GOUVERNANCE
Il existe une multitude de mécanismes du système
de gouvernance. Charreaux (1997) en soutenant la dimension contrôle,
rappelle qu'il y a des systèmes de contrôle externe tels que le
marché des biens et services, le marché des dirigeants et
l'environnement légal, politique et réglementaire ; et des
systèmes de contrôle interne tels que les actionnaires,
l'équipe des dirigeants, les employés subalternes et le conseil
d'administration.26 Sous cet angle, le Système Comptable
OHADA rentre dans le cadre des systèmes de contrôle externe et
notamment l'environnement légal, juridique et réglementaire.
Remarquons toutefois que ces mécanismes de
contrôle de l'entreprise ont plus ou moins des difficultés
d'adaptation dans le contexte camerounais, compte tenu de ses
particularités et de celles de ses entreprises.
En général, les mécanismes de Corporate
Governance sont l'ensemble d'outils de gestion et de contrôle de
l'entreprise.
Par ailleurs, l'initiative du secteur privé Kenyen pour la
gouvernance des entreprises considère que les composantes clefs de la
bonne gouvernance des entreprises sont :
- obligation de rendre compte ; - efficience et efficacité
;
- intégrité et équité ;
- responsabilité ;
- transparence.
La promotion de la bonne gouvernance exige des actions qui
encouragent ces composantes citées. En s'inspirant des meilleures
pratiques, les actions suivantes sont indispensables pour la mise en place
d'une bonne gouvernance :
- la mise en place d'un cadre juridique efficace qui
défini clairement les droits et les obligations d'une
société, sa direction, ses actionnaires, et ses autres
partenaires. Il devrait aussi
26 Charreaux G, vers une théorie du gouvernance
d'entreprise et comptabilité, in G. CHARRAUX. Le gouvernement des
entreprises, corporate governance, Théorie et faits, Economica, 1997
préciser les règles relatives à la
divulgation de l'information et prévoir un cadre de mise en application
effective de la loi. La naissance de OHADA, avec toutes ses
dérivées, constitue un pas essentiel à cette
préoccupation ;
- développement d'efforts visant à asseoir une
culture de bonne gouvernance des entreprises. Les services des associations
professionnelles et sectorielles peuvent être sollicités, pour
élaborer les principes de la bonne gouvernance des entreprises ;
- la mise en place d'un environnement favorable à une
gouvernance des entreprises efficace. Cela peut se faire par la promotion des
règles relatives à la divulgation de l'information
financière ;
- mise en place des mécanismes de supervision
appropriée et efficace qui encouragent l'adoption des solides pratiques
de gouvernance des entreprises ;
- enfin, le renforcement des capacités de gouvernance
des entreprises à travers des programmes de formation bien conçus
et destinés à tous les niveaux, y compris les directeurs, les
cadres supérieurs, en vue de l'amélioration de la performance et
la gestion des petites entreprises.
En outre, un certain nombre de réformes devrait
procéder l'introduction des pratiques de la bonne gouvernance des
entreprises. Ces réformes impliquent les éléments suivants
:
- création de marchés compétitifs ;
- exigence de transparence ;
- application de la discipline financière ;
- promotion de la croissance de marché des valeurs en
liquide
- mise à jour et renforcement des systèmes
juridiques, fiscal ;
- renforcement des capacités requises.
La bonne gouvernance des entreprises traduit les
éléments suivants :
- la disponibilité des informations fiables permettant la
prise de décision à tout moment ; - la compétence et
l'efficacité du conseil d'administration ;
- la mise en place des comités de vérification de
gestion et des comptes ;
- la mise en place d'une structure organisationnelle
adaptée à l'environnement - l'équipe de dirigeant
solide
- l'implantation des recommandations en contrôle interne et
information de gestion,
- la bonne gouvernance repose également sur des valeurs
humaines intrinsèques et résilientes, l'honnêteté et
l'intégrité.
La gouvernance des entreprises doit prendre en compte tous les
partenaires ainsi que connaître et protéger les droits de tous.
Une entreprise doit être régie et gérée conforment
au mandat que lui ont conféré les fondateurs et la
société et chercher avec sérieux à s'acquitter de
ses responsabilités à favoriser une prospérité
durable. Le cadre de la gouvernance des entreprises devrait assurer un
environnement favorable dans lequel les ressources humaines peuvent contribuer
et concentrer toute leur créativité vers la recherche de
solutions novatrices aux problèmes communs.
Dire bonne gouvernance c'est aussi dire bonne gestion. Les
éléments de la bonne gouvernance sont ainsi les
éléments de la bonne gestion.
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