III.2. VICTOIRE SUR LES OBSTACLES
Qu'est-ce qu'un obstacle épistémologique? On a
souvent présenté le passage de la connaissance naïve aux
sciences les plus élaborées comme une sorte de progrès
continu, fait d'approfondissement progressif, d'accumulation des savoirs : on
parle de progrès des sciences de cette façon. Bachelard veut
montrer qu'on ne connaît que contre une connaissance antérieure.
Passer au stade de la science, ce n'est pas simplement approfondir, être
plus précis, plus rigoureux, c'est rompre avec toute une tradition de
préjugés et d'habitudes mentales : "Accéder à
la science, c'est, spirituellement, rajeunir, c'est accepter une
mutation brusque qui doit contredire un passé."34 Il
faut donc lutter contre les obstacles épistémologiques, les
obstacles à la science, inhérents à l'acte même de
connaître.
III.2.1 Un aperçu sur les obstacles
épistémologiques selon Gaston Bachelard
a) l'expérience
première.
"La première expérience ou, pour parler plus
exactement, l'observation première est toujours un premier obstacle pour
la culture scientifique. En effet, cette observation première se
présente avec un luxe d'images; elle est pittoresque, concrète,
naturelle, facile. Il n'y a qu'à la décrire et à
s'émerveiller. On croit alors la comprendre. Nous commencerons notre
enquête en caractérisant cet obstacle et en
32 Idem, La formation de l'esprit
scientifique, p.235
33 Idem, Le nouvel esprit t scientifique,
p.13
34 BACHELARD, G., La formation de l'esprit
scientifique, p. 14
montrant qu'il y a rupture et non pas continuité entre
l'observation et l'expérimentation."35
L'expérience première est curieuse ( goût
du spectaculaire), enracinée dans la vie quotidienne et ses
préoccupations; elle pratique l'extension des concepts ( on veut
appliquer aux phénomènes b, c, d ce qu'on croit connaître
du phénomène a) au lieu de choisir la rigoureuse
compréhension du concept (enrichissement d'une question
particulière, approfondissement, expérimentation); elle aime la
variété colorée alors que la science exige la variation
(modification des paramètres pour expérimenter).
Bachelard donne l'exemple des livres "scientifiques" du
XVIIIè siècle qui , par exemple, s'interrogeant sur la cause du
tonnerre, en viennent à parler au lecteur de la crainte du tonnerre,
cherchant à rassurer, analysant les différents types de
crainte,etc.
b) la connaissance
générale.
Nous avons déjà signalé le danger de
l'extension des concepts. IL y a en effet un risque de
généralisation hâtive, qui séduit et satisfait
l'intelligence naïve. De telles généralisations bloquent la
pensée; l'expérience perd son aiguillon quand les concepts sont
sclérosés, on en vient à mépriser le détail,
la précision, la rigueur empirique, on ne sait pas "déformer les
concepts" (c'est-à-dire les confronter à
l'expérimentation, les modifier, les compliquer sainement).
Bachelard donne l'exemple de la coagulation. Au XVIIè
siècle, la coagulation est chez certains un concept
général qui permet de regrouper les phénomènes les
plus divers : le lait qui caille, le sang, le fiel, les graisses, la
solidification des métaux, la congélation de l'eau,etc. Cette
extension maxima du concept, manifestement abusive, imperméable à
la véritable expérimentation et à la pensée
mathématique, est la source des erreurs les plus grossières." Une
connaissance qui manque de précision ou, pour mieux dire, une
connaissance qui n'est pas donnée avec ses conditions de
détermination n'est pas une connaissance scientifique. Une connaissance
générale est presque fatalement une connaissance vague."
35BACHELARD, G., Le nouvel esprit
scientifique, p. 19
c) L'extension abusive des images
familières.
La pensée scientifique contemporaine utilise parfois
des images, des métaphores, des comparaisons, mais toujours après
l'élaboration rigoureuse de la théorie. La pensée
préscientifique les utilise avant et l'image n'est plus simplement
image, elle prétend être explicative.
d) la connaissance unitaire et pragmatique.
Bachelard regroupe au chapitre 5 deux obstacles
épistémologiques qui ne sont pas de même nature:- La
connaissance unitaire : Il s'agit du 2ème obstacle (déjà
vu) étendu à une vision générale du monde : "Toutes
les difficultés se résolvent devant une vision
générale du monde, par simple référence à un
principe général de la Nature. C'est ainsi qu'au XVIIIè
siècle, l'idée d'une Nature homogène, harmonique,
tutélaire efface toutes les singularités, toutes les
contradictions, toutes les hostilités de l'expérience".Ce
obstacle concerne bien évidemment la période
préscientifique où sciences, métaphysique et religion ne
sont pas encore bien distinguées. Le ton des auteurs est grandiloquent,
les sujets sont valorisés (jugements de valeur : par exemple sur le
degré de perfection de l'objet (!).Un auteur se refuse à
établir un rapport entre les bois pourris qui brillent par
phosphorescence et les nobles et pures étoiles (!).). Le besoin
d'unité est permanent: on cherche en quelque sorte l'idée
"philosophale" qui expliquerait le monde.
- La connaissance pragmatique : il faut que le vrai soit
l'utile : "Dans tous lesphénomènes, on cherche l'utilité
tout humaine, non seulement pour l'avantage positif qu'elle peut procurer, mais
comme principe d'explication. Trouver une utilité, c'est trouver une
raison." Il faudrait donc faire une psychanalyse de la connaissance objective
pour qu'elle puisse rompre avec les considérations pragmatiques.
e) L'obstacle substantialiste.
Pour comprendre cet obstacle, il faut comprendre ce que
certains auteurs ont entendu par substance. Quand Descartes dit : "je suis une
substance pensante", il veut dire que, quelles que soient mes façons
(modes) de penser (imaginer, réfléchir, me souvenir,etc), qui
sont diverses et qui varient, quelque chose demeure identique,
un substrat, un noyau qu'on appelle la substance. Si vous
voulez un autre exemple, vous croyez certainement (à tort selon le
philosophe anglais Hume) que malgré les changements physiques,
psychologiques que vous connaissez dans votre existence, quelque chose demeure,
ce que vous appelez "moi", moi hier, moi aujourd'hui, moi demain. Bref, vous
croyez que votre moi est une substance.Quand nous parlons des
phénomènes naturels, au lieu d'y voir sainement des rapports
mathématisables, nous risquons de substantialiser : par exemple, quand
nous disons que le ciel est bleu, nous croyons que quelque chose demeure,
malgré les modifications, une substance, que nous appelons le ciel. On
commence à comprendre ce que peut être l'obstacle substantialiste.
Les hommes auront tendance, à l'époque préscientifique (et
c'est encore vrai de la plupart des non scientifiques), à
considérer le monde comme un ensemble de substances ayant diverses
qualités. Ainsi, les premiers électriciens (c'est ainsi que se
nommaient les premiers chercheurs dans le domaine électrique)
considéraient le "fluide électrique" comme une substance
possédant certaines qualités. Comme la poussière "colle"
(!!) à une paroi électrisée, on parlait de "qualité
glutineuse" (!) de la "substance électrique". A partir de cette
substantialisation, on devient peu à peu imperméable aux
démentis de l'expérience. Certains électriciens se livrent
alors à des expériences dont les interprétations sont tout
à fait surprenantes: on imagine par exemple que la "substance
électrique" doit nécessairement s'imprégner des substances
qu'elle traverse : la substance électrique qui a traversé l'urine
a un goût âcre (!), pour le lait, un goût doux, pour le vin,
un goût acidulé,etc.Il faut rappeler que la science travaille sur
du quantitatif (on mathématise des relations) non sur du substantiel et
du qualitatif.Il faudra donc surmonter cet obstacle.On peut rappeler aussi que
le substantialisme aime à penser que la substance est dissimulée,
à l'intérieur, cachée au regard par une enveloppe et qu'il
faut une "clé" pour atteindre le noyau authentique : voir à cet
égard l'alchimie.
f) L'obstacle animiste.
Cet obstacle repose sur la valorisation de la vie (le latin
anima, quel que soit son sens - air, souffle, âme - est toujours
lié à l'idée de vie; animo signifie souffler, emplir
d'air, mais aussi donner la vie). A partir de la division en trois
règnes, végétal, minéral, animal, cet obstacle
consiste à appeler au secours de la chimie et de la physique la biologie
naissante, bref à faire du vivant un principe universel
d'explication. On attribue la vie aux minéraux, on
parle de leurs maladies, de leurs organes, de leurs veines et artères.
On introduit chez les minéraux l'idée de fécondation, de
gestation,etc.
A la fin du XVIIIè siècle, les mêmes
affirmations sont encore possibles. En 1782, Pott relate plusieurs cas de
fécondité minérale : "Tous ces faits, dit-il, prouvent la
reproduction successive des métaux, en sorte que les filons qui ont
été exploités anciennement peuvent, au bout d'un certain
temps, se trouver de nouveau de matières métalliques". Crosset de
la Heaumerie rapporte que, dans certains pays, on répand dans la mine
usée "des cassures ou des limures de fer", bref, on sème du fer.
Après cette semaille, on attend quinze ans puis "à la fin de ce
temps on en tire une très grande quantité de
fer(...)."36(p.158)
g) L'obstacle de la libido
Tout ce qui a précédé a
suggéré au lecteur la présence de la libido: la
volonté de puissance chez l'élève, la mine féconde,
l'intimité voilée de la substance,etc. Il semble que cet obstacle
relève d'une véritable psychanalyse de l'inconscient et des
rêveries du scientifique qui risque toujours de projeter ses
désirs sexuels sur l'objet de se recherche. On peut citer ce texte
proposé par Bachelard:
- ex.1: la sexualité minérale
"Quant à la distinction des sexes qu'on n'a pas encore
reconnue dans les métaux, nous avons assez d'exemples qui prouvent
qu'elle n'est point absolument nécessaire pour la
génération; et en particulier les fossiles pourraient se
régénérer par leurs parties cassées, brisées
et détachées, toutefois il ne faut pas désespérer
qu'on ne parvienne à distinguer un jour de l'or mâle et de l'or
femelle, des diamants mâles et des diamants femelles."37
36 BACHELARD, G ., Le nouvel esprit
scientifique, p. 158
37 Robinet: De la nature 1766 - cité par Bachelard
dans: La formation de l'esprit scientifique - Vrin p. 191
h) la connaissance quantitative.
Cet obstacle peut nous étonner. Nous avons
déjà dit que la connaissance par substances et qualités
était un obstacle épistémologique. Il faut donc, pour
faire de la science, mesurer, quantifier, mathématiser, passer de la
qualité à la quantité, ce qui correspond au passage de la
subjectivité à l'objectivité. Mais Bachelard
précise que la grandeur n'est pas automatiquement objective et que s'il
est légitime de faire la critique d'un mathématisme trop vague
(voir par exemple la physique de Descartes), on doit aussi se méfier
d'un mathématisme excessif, trop précis. L'excès de
précision peut devenir un défaut : dès que les relations
étudiées sont nombreuses, les approximations sont une
nécessité méthodologique. Il y a, dans la période
préscientifique, un excès tout gratuit de précision : "Par
exemple, Buffon arriva "à ces conclusions qu'il y avait 74.832 ans que
la Terre avait été détachée du soleil par le choc
d'une comète; et que dans 93.291 années elle serait tellement
refroidie que la vie n'y serait plus possible". Cette prédiction ultra
précise du calcul est d'autant plus frappante que les lois physiques qui
lui servent de base sont plus vagues et plus particulières."
Les obstacles épistémologiques sont à
comprendre comme un ensemble des éléments socio-culturels,
psychologiques qui deviennent comme des bases sur lesquelles s'édifie
notre savoir d'orientation, notre contact avec les objets. A ce propos
Bachelard affirme que «quand on cherche les conditions psychologiques de
progrès de la science, on arrive bien à cette conviction que
c'est en terme d'obstacle qu'il faut poser le problème de la
connaissance scientifique»38.
Cela revient à dire, selon Bachelard que, ces obstacles
s'avèrent d'une importance capitale. Car, c'est seulement en ces termes
qu'il faut parler du progrès, d'une obtention de connaissance
scientifique. Connaissance par laquelle l'esprit requiert des informations
rectifiées de l'espace réel détachées de
l'expérience immédiate.
Par ailleurs, c'est dans l'optique purement intellectuelle
qu'il faut poser le problème des obstacles pour autant qu'ils servent
des bases existentielles aidant
l'esprit à se démarquer de la doxa afin de se
libérer pour une connaissance objective. A cet effet, une coupure est
exigée.
Alors que Descartes explique comment l'erreur est impossible,
Bachelard la croit, non par le fait de ce qui est extérieur à la
connaissance, mais par l'acte même de la connaissance. Ces erreurs
nécessitent une rectification qui soit récurrente; et cette
rectification est réorganisation du savoir à partir des bases qui
sont des erreurs. Car, pour lui, l'esprit humain accède à la
science avec ses défauts philosophiques. Il faut donc une remise en
question des ces données philosophiques.39
Pour ce, toute connaissance doit subir une transformation
rectifiante, reconstruisant. C'est là la fonction de l'esprit. Car pour
Bachelard, la raison dans sa contemplation du réel doit se renouveler
d'elle-même par le biais de la rectification. Cette rectification est
comprise comme une clé de voûte, et suppose au préalable
une primitivité de l'erreur.
Elle soumet la connaissance humaine à un continuel
perfectionnement. Tout en restant dans cette même optique, Bachelard va
suggérer la compréhension du nouvel esprit scientifique comme une
conversion des structures de connaissance présupposées. Cette
structure, Bachelard la nomme «rectification», «correction»
des erreurs premières avec lesquelles l'esprit arrive à la
science. C'est seulement après cette victoire, que l'esprit pourra faire
son ascension vers un monde objectif. Ainsi l'esprit scientifique se
manifestera par une volonté de puissance en vainquant et en surmontant
tout ce qui relève de tout obscurantisme culturel, traditionnel, qui va
à l'encontre de son idéal, et qui entrave et/ou alourdit sa
marche.
III.3. LA NEGATION DYNAMISANTE
Bachelard postule à propos de cette négation
comme une issue, un «non» qui ne correspond pas dans sa
première considération comme une simple rupture ou un simple
refus d'idées, li s'agit d'un «non» qui permet une
génération dialectique, une négation qui inclue ce qu'elle
nie. Car «de même que toutes les connaissances s'enchaînent de
même toutes les non connaissances s'enchaînent aussi. Qui peut
créer une science, doit aussi pouvoir créer un non science...; le
maître doit pouvoir
produire de la science et de I'ignorance»40.
Cette citation nous met d'emblée, en face d'une négation
dynamisante, négation qui se veut positive, qui implique une dialectique
qui enveloppe et qui généralise.
C'est de la maîtrise de cette négation
dynamisante que l'esprit pourra vaincre toute tendance animiste et tout
substantialisme pour une vraie connaissance objective. Dans cette même
optique de la négation généralisante, l'homme en posant
l'existence d'un type de phénomène totalement nouveau, doit
s'adonner à un problème de ce type en élucidant la
pensée scientifique dans laquelle il a été formé
plutôt que de la rompre.
Toutefois, cette idée d'une négation qui se
dynamise et s'auto-affirme par son acte de nier, nous la trouvons aussi chez
Kuhn, dans sa considération du philosophe comme celui qui se veut
traditionaliste et innovateur. C'est cela pour nous pense t-il, une chance,
«...d'exploiter pleinement notre talent scientifique, potentiel, si nous
admettons que, dans une large mesure, le chercheur en science fondamentale doit
aussi être traditionaliste».41
III.4. LA DIALECTIQUE BACHELARDIENNE
Le concept «dialectique», ou mieux, sa pratique,
remonte à Héraclite qui affirme que tout coule, que tout change
et qu'il y a une stabilité au sein même du changement. Platon va
utiliser la dialectique pour expliquer son système de «deux
monde». A l'époque moderne, Hegel la présente comme une
méthode»triadique». Elle s'articule en trois moments,à
savoir: thèse, antithèse, synthèse. Chez Marx, cette
trilogie dialectique a d'autres substantifs, à savoir: affirmation,
négation, et négation de la négation. Cela veut dire
à la fois supprimer et conserver.
La dialectique dans sa forme moderne devient la base de tout
développement incessant, auquel on ne peut assigner aucune limite,
aucune réalité déterminée. Elle demeure en
définitive un raisonnement procédant à I' inverse de la
logique classique, fondée sur la non contradiction42.
40 BACHELARD, G., La philosophie du non.
Paris, Gallimard, 1990, p.137
41 KHUN, T., La tension essentielle,
traditionnelle et changement dans les sciences, p. 319
42 FOULQUIE, La dialectique, p.45
Chez Bachelard, la dialectique dans sa forme moderne est
acceptée, mais elle est intégrée dans une structure
à grande extension. Elle devient le lieu de
complémentarité, et de coordination des concepts. Pour qui se
refuse à comprendre aventureusement les milles et une acceptions d'un
terme devenu aujourd'hui à tout faire, «la dialectique selon
Bachelard, écrit Canguilhem, désigne une conscience de
complémentarité et de coordination des concepts dont la condition
logique n'est pas le moteur»43.
La dialectique Bachelardienne, en effet se veut une
dialectique scientifique. Car, les conditions naissent non des concepts, mais
de l'usage inconditionnel des concepts à structure conditionnelle. Par
conséquent, il s'avère d'une importance
épistémologique que le progrès dialectique consiste non
pas à rejeter la conception antérieure, mais à
l'intégrer dans une nouvelle conception44. Sans doute pour
Bachelard «il n'y a pas développement des anciennes doctrines vers
les nouvelles, mais bien plutôt enveloppement des anciennes
pensées par les nouvelles...de la pensée non newtonienne à
la pensée newtonienne, il n'y a non plus contradiction, il y a seulement
contraction»45.
Chez Bachelard, la question ou l'essence de la dialectique se
pose en termes de révision et non en termes de négation ou
d'antithèse. Il s'agit de réviser dans le sens de corriger un
jugement. Cette révision ne se fait pas au hasard, elle ne compromet pas
non plus l'acquis. Celle-ci reste plutôt valable dans ce qui était
déjà son domaine de validité. Ainsi, l'apport de la
dialectique Bachelardienne, c'est qu'elle ouvre l'esprit à
l'infinité des combinaisons possibles. Car selon lui, la connaissance
scientifique suppose toujours la reforme d'une illusion. Bachelard reforme ou
élargie ainsi le cadre dialectique.
III.5. LA COMPLEXITE ESSENTIELLE DE L'ESPRIT
SCIENTIFIQUE
En tant qu'entreprise humaine, la science, pour Bachelard,
implique des aspects et des composantes qui sont rationnels et réels. A
ce titre, interpréter la science comme une activité du type
purement rationnel ou purement réel est erroné.
43 CANGUILHEM, Etude d'histoire de la philosophie
des sciences, p.136
44 Ibidem
45 BACHELARD, G., Le nouvel esprit
scientifique, p.58
Car la littérature des dernières années
s'est caractérisée par la prédominance d'une vision
complètement complexe de la science.
Celle-ci a trouvé un cadre d'expansion dans une vision
de valorisation de la science. C'est cet accent mis sur le complexe, pense
Bachelard, qui «est une réaction compréhensible contre la
forte accentuation du rôle, soit d'individu, soit de la
nature»46.
En effet, la réalité est immédiate si
elle ne comporte aucune détermination à l'intérieure
d'elle-même, et n'entretient aucun rapport avec autre chose. Il en est de
même d'un»savoir immédiat» celui de la culture, Il ne
peut pas subsister seul; car c'est à la réalité qui a
besoin d'être comprise, que Bachelard veut appliquer la raison. Ce
dernier, objecte à ceux qui voudraient séparer le raisonnement et
le donné de la nature: rationalisme et réalisme.
Cependant, Bachelard pense qu'au tout premier contact de
l'homme avec le phénomène (culturel, religieux, psychologique
etc...) la première réaction est de savoir qu'il se trouve devant
un obstacle suite aux diversités des choses influençant soit
notre entendement, soit le sens. C'est seulement grâce à une
activité de l'esprit qui est entièrement constructive, qu'on
arrive à la science objective.
Nonobstant, Bachelard précise aussitôt que le
savoir immédiat suppose, une démarche complexe d'esprit passant
d'un terme à un autre. Car la connaissance spontanée de la nature
implique un mouvement de la pensée allant du connu à l'inconnu;
cela veut signifier comme le dit Bachelard lui-même que «... tout
homme dans son effort de culture scientifique s'appuie non pas sur une, mais
bien sur deux métaphysiques et que ces deux métaphysiques
naturelles et convaincantes.. .sont contradictoires. Pour leur donner
rapidement un nom provisoire, désignons ces deux attitudes
philosophiques fondamentales tranquillement associées dans un esprit
moderne, sous les étiquettes de rationalisme et de
réalisme»47.
De cette citation ressort l'idée selon laquelle,
Bachelard nous fait savoir que le progrès de la science, nous en sommes
convaincu, n'est plus une opération de la rêverie, mais il est
réel et concret.
Par conséquent, entre le réalisme et le
rationalisme ni l'un, ni l'autre isolement ne suffit à constituer la
preuve scientifique. C'est à dire qu'il y a une relation bipolaire
très étroite entre la raison et l'expérience48.
Toute fois, pense Bachelard, la connaissance du réel reste toujours
à désirer et projette des ombres qui nécessitent une
élucidation; et cette prise de conscience conduit Bachelard à
conclure que, «pour la philosophie scientifique, il n'y a ni
réalisme ni rationalisme absolu et qu'il ne faut pas partir d'une
attitude philosophique en général pour juger la pensée
scientifique. Car cette dernière conduira à subsister aux
métaphysiques intuitives et immédiates, les métaphysiques
discursives objectivement rectifiées»49.
Cependant, la philosophie du nom dans cette relation du
réalisme et du rationalisme est non attitude de refus, mais une attitude
de conciliation. Elle n'est pas non plus psychologiquement un
négativisme ni ne conduit en face de la nature à un nihilisme, au
contraire elle procède en nous et hors de nous d'une activité
constructive.
Car «bien penser le réel, nous relate Bachelard,
c'est profiter de ses ambiguïtés pour modifier et altérer la
pensée. Dialectiser la pensée c'est augmenter la garantie de
créer scientifiquement des phénomènes complets, de
régénérer toutes les variables
dégénérés ou étouffées que la
science.. .avait négligées dans sa première
étude»50. Car la raison se développe dans le sens
d'une complexité croissante.
Mais pour la critique de Bachelard, il s'agit de
démontrer l'inexistence de natures simples, de substances simples, des
idées simples. Mais «en réalité il n'y a pas de
phénomènes simples, le phénomène est un tissus de
relation; il n'y a pas de nature simple, de substance simple, la substance est
une contexture d'attributs. IL n'y a pas d'idée simples parce qu'une
idée simple...doit être insérée pour être
comprise dans un système complexe de pensées et
d'expériences»51.
De cette citation, nous retenons l'affirmation selon laquelle,
c'est du complexe qu'il faut poser le problème dans la science
contemporaine. Car la compréhension du simple nécessite une
saisie épistémologique du complexe.
48 BACHELARD, G., op-cit, p.98
49 BACHELARD, G., Le nouvel esprit
scientifique, p.2
50 Idem., La philosophie du non, p.58
51 idem., Le nouvel esprit scientifique,
p.148
38 III.6. CONCLUSION DU CHAPITRE
Tout au long de ce troisième chapitre, nous avons
essayé de décortiquer les concepts et les expressions comme
«objectivité », victoire sur les obstacles », «
négation dynamisante » et « dialectique bachelardienne ».
Après avoir analysé ces concepts et ces expressions, nous nous
sommes rendu compte que l'esprit scientifique reste un esprit complexe,
difficile à saisir.
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