CHAPITRE TROISIEME:
L'ESPRIT OBJECTIF : LIEU D'EMERGENCE DE
L'ESPRIT SCIENTIFIQUE
III.0. INTRODUCTION
Dans ce troisième chapitre nous analyserons avec
Bachelard les concepts, comme «objectivité»,
«victoire sur les obstacles»,
«négation dynamisante»,
«dialectique bachelardienne», nous y verrons que
l'esprit scientifique reste un esprit complexe.
III.I. OBJECTIVITE .
Le concept «objectivité»,
épistémologiquement parlant, présente à l'esprit
d'énormes risques quant à son usage. Il conduit l'esprit à
une perdition souvent sémantique et épistémologique.
Si nous ajoutons l'épithète
scientifique à l'objectivité, elle aura comme
signification une construction de la communauté des scientifiques. En
effet, un énoncé acquiert son statut scientifique lorsque de
manière consentielle, la communauté des chercheurs le
reconnaît comme tel. On le voit c'est le consensus qui se dégage
ainsi au sein de cette communauté qui confère la
scientificité et par voies des conséquences la
véracité à une énoncé. C'est donc dire qu'il
y a la présence indubitable de l'élément irrationnel dans
le processus scientifique.
D'après l'auteur, bien que l'étymologie du terme
«objectivité» renvoie à l'objet, l'usage ordinaire le
réfère au sujet. On dira par exemple; un constat objectif, un
jugement objectif, une quête objective. Tout ceci fait penser à
une manière indépendante des états d'âmes, de
caprices individuels. Cependant, il se fait qu'au cours des âges à
cause de la distinction kantienne du «noumène» et du
«phénomène», cette notion
d'objectivité deviendra bipolaire: elle renferme dans l'optique
contemporaine la notion d'une intersubjectivité, notion selon laquelle
tous «les sujets tombent d'accord sur une affirmation qui se
prétend intersubjective d'une part, et d'autre part, la notion de
l'objectivité comme référence aux
objets».28
Chaque science affirme de ne pas être un discours mais
une quête qui se limite à un domaine d'objets
déterminés. Cette position contemporaine nous amène
à l'idée selon laquelle, la science découpe dans la nature
selon un point de vue qui est particulier et le domaine d'objet qui lui est
spécifique.
Cela étant, et partant d'une telle vision, Bachelard
pense que cette acceptation du concept «objectivité», lieu
d'émergence de l'esprit scientifique, comme référence aux
objets auxquels la science découvrait une entité du réel
afin d'en faire l'objet spécifique d'étude, semble paraître
moins éducative pour l'homme des sciences. Ainsi, il fait remarquer qu'
«il faut accepter pour l'épistémologie, le postulat suivant:
l'objet ne saurait être désigné comme un
«objectif» immédiat, autrement dit, une marche vers l'objet
n'est pas initialement objective»29. Ce concept
«objectif» implique la saisie directe d'un objet et que cet objet se
présente à l'esprit, sans la moindre désignation
quelconque.
Dès lors, il s'avère dans l'ordre
d'appréciation que nos jugements sur un objet ne sont que des jugements
empiriques, des jugements d'une saisie immédiate du réel. Car
note Bachelard «l'objectivité n'est possible que si l'on a d'abord
rompu avec l'objet immédiat, si l'on a refusé la séduction
du premier choix»30. Ceci revient à dire que, l'esprit
dans sa rencontre avec les données du réel est illustré
comme une entité du réel. Car c'est au niveau du pur psychique de
la connaissance que Bachelard situe sa réflexion
épistémologique. Cet esprit doit exercer une véritable
catharsis intellectuelle, une véritable coupure
épistémologique selon l'expression de l'auteur.
Dans ce même ordre d'idée, Bachelard pense que
«la connaissance du réel est une lumière qui projette
toujours quelque part des ombres; ainsi toutes les révélations du
réel doivent être récurrentes»31. En
d'autres termes, écrit l'auteur, «l'objet scientifique ne saurait
être signé comme objectif immédiat proprement dit, une
marche scientifique vers l'objet n'est pas initialement objectif; il faut
donc
28 KANT, E., cité par BACHELARD, G., La
Formation de l'esprit scientifique, p.102
29 BACHELARD, G., Epistemologie , p.122
30 Ibidem, p.123
31 BACHELARD, G., Le nouvel esprit
scientifique, p.14
accepter une véritable rupture entre la connaissance
sensible et la connaissance scientifique»32. Et il poursuit:
«le rapport entre la théorie et l'expérience sont si
étroit qu'aucune méthode soit expérimentale, soit
rationnelle n'est assurée de se garder en honneur».33
Car, l'objet du réel qui est comme première expérience,
présente toujours à l'esprit scientifique un mode de
résistance dont Bachelard analyse les articulations à travers la
notion d»obstacles épistémologiques», obstacles que
l'esprit doit vaincre pour se réaliser pleinement comme esprit
objectif.
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