La problématique de l'Autre comme Infini dans la philosophie d'Emmanuel LEVINAS( Télécharger le fichier original )par Charles NDUMBI KABOYA Université Saint Augustin de Kinshasa - Graduat 2009 |
III.4. Responsabilité personnelle et justice socialeNos responsabilités dans la société sont portées envers et pour autrui. Elles doivent viser à l'instauration d'un climat de paix, d'amour afin que la justice sociale règne. L'impératif lévinassien d'être attentif à l'Autre suppose un surplus de conscience morale à l'appel de celui-ci, c'est-à-dire une conscience droite que l'on doit avoir sur les droits d'Autrui et sur sa propre responsabilité de sujet. « La société ne découle pas de la contemplation du vrai, la relation avec autrui notre maître rend possible la vérité. La justice consiste à reconnaître en autrui mon maître. L'égalité entre personne ne signifie rien par elle-même. Elle a un sens économique et suppose l'argent et repose déjà sur la justice qui, bien ordonnée, commence par autrui. Elle est reconnaissance de son privilège d'autrui, et de sa maîtrise, accès à autrui en dehors de la rhétorique qui est ruse, emprise et exploitation. Et, dans ce sens, dépassement de la rhétorique et justice coïncident »66(*). Notre responsabilité personnelle envers Autrui concerne tout le monde. En plus, dans le face-à-face avec Autrui, nous ne saurons nous dérober par un silence coupable. Notre responsabilité envers Autrui ne doit pas être manifestée en cachette ou en clandestinité. Car, « tout ce qui se passe ici `entre nous' regarde tout le monde, le visage qui le regarde se place en plein jour de l'ordre public, même si je m'en sépare en recherchant avec l'interlocuteur la complicité d'une relation privée et une clandestinité »67(*). Etre pour Autrui, c'est être pour les autres, c'est s'intéresser à tout le monde. C'est ainsi que l'épiphanie du visage de l'Autre m'ouvre à toute l'humanité. L'humain implique l'idée de toute l'humanité car l'idée que nous avons de l'homme ne saura se réduire à l'unicité du Moi. Etre généreux envers Autrui n'équivaut nullement à une liberté sans amphibologies, mais à l'impérieux commandement de se tenir en toute droiture en présence de l'Autre. Notre générosité, notre bonté envers Autrui ne saurait en aucune façon combler l'abîme de la séparation avec Autrui, mais bien au contraire elle la confirme. Lévinas dira à ce propos que « le moi en tant que moi se tient donc tourné éthiquement vers le visage de l'autre - la fraternité est la relation même avec le visage où s'accomplit à la fois mon élection et l'égalité, c'est-à-dire la maîtrise exercée sur moi par l'Autre. L'élection du moi, son ipséité même se révèle comme privilège et subordination - parce qu'elle ne le met pas parmi les autres élus, mais précisément en face d'eux, pour mesurer l'étendue de ses responsabilités »68(*). Ma responsabilité personnelle devrait se manifester dans l'organisation des institutions justes. Mon rapport avec Autrui devrait s'accomplir comme service, hospitalité dans la mesure où le visage d'Autrui me met en relation avec le tiers, le rapport de moi à Autrui se coule dans la forme du Nous. La socialité vraie est dans un rapport personnel, la rigueur avec laquelle la justice me juge, non pas dans l'amour qui m'excuse. Une paix durable dans une société juste doit provenir de moi, dans une relation digne qui part de moi vers l'Autre, dans le désir et une bonté où le moi se maintient et existe sans égoïsme. C'est pourquoi dans Entre nous, Emmanuel Lévinas souligne que « ce que j'appelle responsabilité pour autrui, ou amour sans concupiscence, le moi ne peut en trouver l'exigence qu'en lui-même ; elle est dans son `me voici' de je, dans son unicité non interchangeable d'élu. Elle est originellement sans réciprocité qui risquerait de compromettre sa gratuité ou grâce, ou charité inconditionnelle. Mais l'ordre de la justice des individus responsables les uns envers les autres surgit non pas pour rétablir entre le moi et son autre cette réciprocité, il surgit du fait du tiers qui, à côté de celui qui m'est un autre, m'est `encore un autre'. Le moi, précisément en tant que responsable envers l'autre et le tiers, ne peut pas rester indifférent à leurs interactions et, dans la charité pour l'un, ne peut se dégager de son amour pour l'autre. Le moi, le je, ne peut s'en tenir à l'unicité incomparable de chacun, que le visage de chacun exprime »69(*). Pour que l'égalité et l'équité règnent entre les hommes et dans les sociétés, il est souhaitable que les hommes puissent exiger d'eux-mêmes plus qu'ils exigent d'Autrui ; qu'ils portent la responsabilité de toute l'humanité. La responsabilité personnelle de l'homme à l'égard de l'Autre homme exercée dans la franchise à travers le rapport avec tous les hommes coïncide avec la justice sociale. Il est vrai qu'une société parfaite n'a pas encore vu le jour, mais Lévinas prône une société idéale qui tend vers la perfection, une société où tous les hommes sont responsables les uns des autres, là où règne la justice. * 66 T.I., p. 68-69. * 67 Ibid., p. 234. * 68 Ibid., p.312. * 69 E.N., p. 241. |
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