IV.2.2 Les personnes âgées : " les
mangeurs d'âmes"
Si pour les familles tchaman, la longévité d'un
parent un objet de gloire, cet objet d'honneur est vite traité de
sorcier, lorsqu'elles sont confrontées aux difficultés
liées à la satisfaction des besoins existentiels de ce dernier et
au décès précoce des plus jeunes. S'il vit encore, c'est
qu'il appartient à une confrérie de sorciers où
« ils ôtent la vie des autres » pour vivre plus
longtemps.
Dans la société actuelle, eu égard au
mode de vie, mourir à un âge jeune ou adulte semble normal.
L'espérance de vie qui tourne autour de 40 ans, conforte cette
idée. Vivre longtemps devient alors sujet à spéculation.
Devenir personne âgée et surtout très âgée
(atteindre le quatrième âge), c'est appartenir à un autre
monde, celui de l'irrationnel. Justement, la sorcellerie en Afrique
relève de l'irrationnel. Les sorciers ont pouvoir de vie et de mort.
Cette disposition mentale voit ipso facto les personnes
âgées, appartenir à un tel monde.
Ecoutons ce récit d'accusation de sorcellerie.
Les cas d'accusation des personnes âgées, de
sorcellerie, existent et sont nombreux. Moi-même, j'ai
été accusé de sorcier par ma nièce et certains
habitants du quartier. J'ai été accusé d'avoir mis un
caillou dans son ventre en lieu et place d'un bébé. La grossesse
a duré onze mois. C'est au bout du douzième mois qu'elle a
accouché.
Le personnel médical avait diagnostiqué un
fibrome. Après l'accouchement de cet enfant, qui vit jusqu'à ce
jour, ma nièce a formé une délégation pour venir me
demander pardon.
De tels cas d'accusation des personnes âgées de
sorcellerie, sont fréquents dans le village. Toutefois, ce sont des
problèmes qui sont réglés en famille et non devant la
chefferie. Ici, la maltraitance s'explique par la mauvaise
représentation que l'entourage se fait des personnes âgées.
En effet, leur image est dans la plupart des cas, ressentie de manière
négative. Nous avons rencontré des cas où tous les enfants
de la personne âgée sont décédés et le seul
vivant, refuse de s'approcher d'elle, de peur de mourir à son tour.
Au total, les stéréotypes qui sont
véhiculés à leur encontre et les difficultés
qu'elles rencontrent, peuvent trouver dans une certaine mesure, leur origine
dans le fait qu'elles n'exercent plus de rôle dans la production et la
transmission du patrimoine. Ceci soulève la problématique de leur
participation sociale. Elles ne correspondent donc plus dans notre
société actuelle, aux critères matériels du
succès ; ce qui explique leur marginalisation. Elles sont alors
perçues comme une charge et la société a du mal à
réaliser leur utilité sociale ; d'où l'insuffisance
de leur intégration sociale.
IV.3 La question des hospices de
vieillards
En vue de mieux apprécier la position des jeunes et de
celle des personnes chargées de s'occuper des parents âgés,
nous leur avons exposé la question des hospices de vieillards, en
occident. L'idée principale était de savoir, si nos
enquêtés qui disent être tant attachés à leurs
parents âgés, accepteraient de les interner dans les maisons de
repos, au cas où elles existaient en Côte d'Ivoire.
D'une manière générale, sur ce sujet, les
avis de nos enquêtés sont partagés. Les uns sont pour le
regroupement des personnes âgées dans ces structures d'accueil.
Ceci en faveur surtout, des personnes âgées qui n'ont personne
pour les prendre en charge.
Les autres sont catégoriques sur la question et ne se
sentent pas disposer à exiler leurs parents âgés dans une
maison de repos. Ils préfèrent eux-mêmes en prendre soin
afin que ceux-ci bénéficient de la chaleur familiale, qu'ils
aient l'occasion de jouer avec leurs petits enfants et leur raconter les faits
passés.
Les derniers souhaiteraient que leurs parents restent avec
eux. Toutefois, pour leurs soins et alimentation, que l'Etat leur octroie des
aides et des prises en charge.
Au total, dans leur majorité, nos enquêtés
qui ne sont pas en contact direct avec les parents âgés, ne
souhaiteraient pas les interner dans des maisons de repos, au cas où
elles existeraient en Côte d'Ivoire. Pour eux, les hospices de vieillards
sont propres à la culture occidentale. Ils ont eu l'occasion de vivre
avec leurs grands parents et ils ne veulent pas les isoler pour cause de
vieillesse. Ils entendent transmettre cette manière de faire (vivre avec
les parents âgés) à leurs descendants, pour
perpétuer leurs coutumes.
Au demeurant, ce sont ceux qui sont plus proches des personnes
âgées et chargés de s'occuper d'elles, qui sont les plus
disposés à les exiler dans des maisons de repos, si cela
dépendait d'eux. Ils justifient leur position par le fait que cela leur
permettrait d'avoir un peu plus de liberté pour vaquer à leurs
propres occupations.
Il convient de noter également que plusieurs personnes
âgées se sont prononcées pour leur retrait dans des maisons
de repos. Pour elles, non seulement cela leur permettrait de s'éloigner
des bruits du quartier et de la maison (en rapport au site
d'Adjamé-village), mais surtout, se serait le moyen de contraindre
l'Etat à s'occuper d'elles.
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