Section ÉÉ : L'hypothèse
d'une obligation de conseil professionnel du banquier
Même si l'on constate que le créancier de
l'obligation de conseil est le client autrement dit le cocontractant, il est
question de se demander s'il est le seul.
Dans cette hypothèse il faudrait envisager une
réponse négative dans la mesure où il y a plusieurs
exemples où le conseil du banquier est une nécessité et
son absence préjudiciable, hors même de tout cercle contractuelle.
A titre d'exemple, si une banque est tenue d'un mandat de
rapprochement d'entreprise en vue d'une fusion d'acquisition. Elle est tenue
d'une obligation de conseil contractuel envers la société
cliente. Ne serait-elle pas redevable à dispenser sans compter des
conseils à la société qu'il a proposé au
rapprochement et ce même si celle-ci n'est pas cliente ? En d'autre
terme, partons de l'exemple où le détenteur d'une carte bancaire
perd celle-ci, loin de chez lui, il ne pourra pas demander de conseil au
banquier dont il est contractant sur la façon dont il doit se comporter
dans ce cas. Cependant si toute fois il entre dans une autre banque, celle-ci
ne lui doit elle pas des conseils ? D'autres exemples peuvent être
retenus.
Un client d'une banque veut obtenir pour soi un bien immobilier
mais les taux du crédit immobilier sont fort élevés pour
le moment. La banque ne doit- elle pas lui conseiller d'attendre ? En
d'autre terme si un autre client de cette même banque veut
acquérir un bien meuble, une automobile par exemple. Il va se rapprocher
de son banquier pour solliciter une ouverture de crédit. Le banquier ne
va-t-il lui proposer d'autres solutions pour financer ce bien ? Dans ce
cas certains pourront retenir cet exemple comme étant faux, toujours
dans cet exemple on peut rattacher l'obligation de conseil du banquier au
contrat, l'absence de conseil du banquier serait analysée comme
étant de nature précontractuelle. A l'inverse, si dans cet
exemple on retient que le banquier a seulement proposé à son
client la conclusion d'un crédit bail, alors dans ce cas l'absence de
conseil du banquier ne pourra être retenue ni sanctionnée sur le
terrain de la responsabilité contractuelle ni sur le terrain des vices
du consentement.
La faute du banquier ne pourra être
sanctionnée, à moins que l'on retient que le banquier est tenu
d'une obligation de conseil professionnel c'est à dire retenir sa
responsabilité sur le terrain de l'article 118 du Code des obligations
civiles et commerciales.
C'est donc seul l'exercice de la profession du banquier qui va
créer l'obligation de conseil. Le banquier qui sera tenu d'une
obligation de conseil en vertu de sa profession et non en vertu d'un contrat.
Cette hypothèse est-elle concevable ? On dirait
oui. Cependant, même si la solution peut être envisagée
(§I), il semble que la jurisprudence rejette cette hypothèse,
considérant ainsi le cocontractant comme le seul créancier du
conseil (§II).
§1 : Une hypothèse envisageable
Face à une telle entreprise, il n'y a pas en
principe de difficultés majeures. Pour le cas d'un notaire, la Cour de
Cassation a retenu que celui-ci était tenu d'une obligation
générale de conseil dans la mesure où elle se fonde sur
l'article 118 du Code des obligations civiles et commerciales.
Cette solution ne devrait-elle pas être retenue lorsqu'il
s'agit du banquier ? La question mérite d'être
étudiée pour des raisons diverses.
En effet si le notaire est un officier public dont sa
profession est strictement réglementée, il y a lieu aussi de
constater que le banquier est lui aussi soumis à un statut légal,
que l'accès à la profession bancaire est de manière
stricte contrôlée par l'autorité publique et que les
établissements de crédit détiennent un monopole en ce qui
concerne les activités bancaires.
Donc d'une manière générale cette
solution retenue pour ce qui concerne l'obligation de conseil du notaire ne
sera-t-elle pas transposable à l'obligation de conseil du
banquier ? Pour tenter de répondre à une telle
interrogation, il faut se poser des questions. Par conséquent il faut
pour que l'obligation de conseil soit rattachée à l'exercice de
la profession bancaire que l'activité de conseil apparaît de
façon nécessaire dans l'exercice de la profession du banquier.
Une telle approche soulève la question de savoir quelles
sont les caractéristiques de l'activité bancaire ? La banque
de manière générale l'établissement de
crédit est uni avec son client par un rapport de type particulier
contrairement à la relation qui unie l'acquéreur au vendeur.
En principe entre le banquier et son client, c'est une
relation continue d'un manière où le banquier tiendra par exemple
le compte de dépôt, le compte joint,celui dit collectif, de
même accorder des crédits aux clients pour l'achat de biens
meubles ou immobiliers, faire des investissements,etc.... En plus c'est la
confiance qui règne dans la relation entre la banque et son client. A
titre de preuve par exemple on s'aperçoit que la convention de compte
est un contrat conclu à titre personnel alors que cette convention est
à la base des relations entre la banque et son client.
En d'autre terme partons par un examen simple de la
façon dont se déroulent les échanges entre le banquier et
son client. Le client qui sollicite son banquier le fait
généralement parce qu'il a un projet déterminé
(acheter une voiture, construire une maison, fructifier ses activités,
etc....) Par là donc il n'a pas donc quant au contrat bancaire une
idée précise qui lui permettra de réaliser ses projets. Il
revient donc au banquier d'analyser les besoins de son client puis de lui
indiquer la voie à suivre. C'est la fonction même du banquier.
Alors il apparaît avec certitude quant on décrit de la
façon suivante que la relation entre la banque et son client implique un
conseil d'où l'obligation de conseil du banquier à l'égard
de son client.
D'ailleurs même la pratique bancaire révèle
aussi que les banques interrogent leurs clients sur leurs habitudes, projets,
avenir, etc....dans le but de mieux les connaître mais aussi
d'évaluer leurs besoins et surtout mieux les conseiller. C'est donc dans
l'essence même de sa profession que le banquier est appelé
à conseiller d'où le rattachement de l'obligation de conseil
à la profession bancaire.
De même si l'on prend acte de certaines
constatations, on s'aperçoit que l'établissement de
crédit, la banque en tant que professionnelle, doit exercer une
activité de conseil non seulement dans un but lucratif mais aussi dans
le but d'être utile à la société. Dès lors le
fait de ne pas concevoir qu'elle soit investie d'une obligation de conseil
relève de l'utopie. Par conséquent, estimant que le banquier
n'est pas tenu à une obligation de conseil liée à
l'exercice de sa fonction, cela reviendra à dire que la banque sera la
seule détentrice de ce savoir et qu'elle n'aura en aucun cas à le
transmettre, que lorsqu'il s'agit des cas où un contrat le
prévoira à moins que le conseil soit
rémunéré. De ce fait le client ou le consommateur ne
pourra requérir les renseignements utiles ni les outils de ce savoir
nulle part ailleurs. En vérité, la banque n'exerce pas une
activité purement lucrative mais est investie par la loi d'une
véritable mission d'intérêt social et qui dit social dit
dialogue, ce qui induit d'une part que la banque doive transmettre ses
connaissances du milieu mais aussi qu'il doive le faire au
bénéfice de l'ensemble de la société, de ses
clients. Dès lors l'existence d'une obligation de conseil liée
à la profession bancaire semble évidente.
Cependant si cette position est retenue l'obligation de conseil
du banquier se limiterait aux activités sujettes telles que le
crédit, les moyens de paiements, réception des fonds du public
etc....
Dès lors, en ce qui concerne les opérations
annexes, la banque ne serait tenue qu'envers son cocontractant à une
obligation de conseil. Quelles sont alors les réponses de la
jurisprudence sur cette hypothèse ?
§2 : Une hypothèse rejetée par la
jurisprudence
Des arrêts peuvent laisser penser que la Cour de
Cassation n'exclut pas de rattacher l'obligation de conseil à l'exercice
de la profession.
En espèce un arrêt en date du 27 janvier
20019 sera particulièrement remarquable. Concernant cette
affaire, le client d'une banque avait ouvert sur les conseils de la caisse
d'épargne deux plans épargnes et un plan action pour y placer une
somme de 100000 ff.
Le client a mis en cause la responsabilité de la caisse,
lui reprochant un manquement à son obligation de conseil du seul fait
que le rendement de ces placements était insuffisant.
La chambre commerciale rejette la demande du client. En effet le
rejet se justifie selon elle du seul fait que la caisse avait justement
exécuté son
..................................
9 Cass.civ- 1ere, 22 fevr. 1984, jur.
p.386, note Groutel (H.) et Berr (CI.-J).
obligation de conseil. Dès lors il y a de façon
latente ou cachée la reconnaissance de l'obligation de conseil
allégué par le client.
Dans cette affaire alors, l'obligation de conseil portait sur la
nature des comptes à ouvrir et non pas sur les comptes qui ont
été déjà ouverts. On est en fait bien de l'exemple
où il y a renonciation pure et simple au contrat. Si en l'espèce
le client avait renoncé au contrat, l'obligation de conseil telle
qu'elle est entendue ici aurait tout de même existé.
Dès lors, cette obligation n'était pas
contractuelle. Ce qui était reproché en l'espèce, c'est
d'avoir failli à une mission de conseil qui n'était pas
contractuelle mais professionnelle. L'obligation de conseil en l'espèce
n'était pas due au contractant mais au client, c'est-à-dire
à celui qui a confiance à son banquier, qui attend de lui tout
l'aide nécessaire pour protéger aux mieux ses
intérêts.
De même, la jurisprudence de plus en plus favorable
aux cautions peut être rattachée à l'obligation de conseil.
Pour l'auteur de « l'obligation de conseil de
l'établissement de crédit à l'égard de l'emprunteur
et de sa caution » Mr Legeais, cela ne fait aucun doute
même si cette reconnaissance est implicite. Ainsi on relèvera avec
lui un arrêt de la Cour d'Appel de Paris en date du 30 mai
199710 qui est venus sanctionner le silence du banquier sur la
situation lourdement endetté du débiteur sur le fondement de
l'obligation de conseil de ce dernier. Dans un même ordre
d'idée ; la banque est fautive lorsqu'elle sollicite un
cautionnement disproportionné aux ressources du débiteur. En
effet pour toujours l'auteur Legeais, le principe de proportionnalité
est lui-même la conséquence de l'obligation de conseil. Cette
idée même si elle est partagée par d'autres
auteurs11, elle peut être parfaitement justifiable si toute
fois on fait un parallélisme avec l'obligation de conseil à
l'égard de l'emprunteur. D'après l'arrêt du 27 juin 1995,
le banquier manque à son obligation de conseil « en
particulier lorsqu'il apparaît à ce professionnel que les charges
du prêt sont excessives par rapport à la modicité des
ressources du consommateur », c'est dire à partir de là
que le banquier manifeste une méconnaissance du principe de la
proportionnalité. Alors le principe de proportionnalité est donc
un corollaire ou la conséquence immédiate de l'obligation de
conseil. De ce fait il n'y a pas de doute que le banquier est tenu envers les
cautions d'une obligation de conseil. Pourtant vu l'article 3 de l'Acte
Uniforme portant Organisation des
Sûretés : « le cautionnement est un contrat
par lequel la caution s'engage, envers le créancier qui accepte,
à exécuter l'obligation du débiteur si celui-ci n'y
satisfait pas lui-même », le cautionnement n'engage alors que
la caution. De ce fait, il va sembler critique
..................................
10 Paris, 30 mai 1997, Juris-data no 021367
in Legeais (D.), L'obligation de conseil de l'établissement de
crédit à l'égard l'emprunteur et de sa caution,
Mélanges AEDBF, 1999, p.257
11 Piedelièvre (S.), Le cautionnement excessif,
Rép. Defresnois, 1998, art. 36836, p. 849 et spécialement
no 14.
de rattacher cette obligation de conseil au contrat qui lie la
caution au créancier. Au contraire cette jurisprudence semble faciliter
l'acceptation d'une obligation de conseil inhérente à l'exercice
de la profession de banque.
Enfin, par un arrêt en date du 7 avril
199212, la Cour de Cassation a condamné une banque pour
manquement à son obligation de conseil, alors même que celle-ci
n'avait joué qu'un rôle d'intermédiaire dans
l'opération et qu'elle n'était pas liée par aucun contrat
à la société créancière de conseil. On
constate que dans cette affaire, la banque est tenue d'une obligation de
conseil envers non pas un contractant ni même un client, mais un
tiers.
L'espèce était très particulière,
elle a été démentie par d'autres décisions.
C'est ainsi que dans un arrêt en date du 4 octobre
199413, on constate que le demandeur n'avait pas sollicité
les conseils de l'établissement de crédit pour rejeter
l'existence d'une obligation de conseil. En d'autre terme un arrêt en
date du 18 mai 199914 vient retenir que le banquier n'était
intervenu que comme intermédiaire et non pas comme conseil en la
matière. Dès lors il n'était pas tenu de conseiller le
demandeur sur l'opération envisagée. Enfin, un autre arrêt
daté du 3 mai 200015 retient que la banque n'avait pas
été « mandater aux fins d'expertiser le montage
financier » et qu'elle n'avait pas alors à conseiller en la
matière.
De nombreuses affaires ont pu nous montrer que le
cocontractant n'est pas le seul créancier de l'obligation de conseil.
Mais elles sont contredites par d'autres décisions. En
réalité, ces arguments semblent malgré tout pas
décisifs et par conséquent sont bien maigres. A titre d'exemple
on peut souligner les arrêts rendus par la chambre commerciale, qui
reconnaissent eux aussi une obligation de conseil à la charge du
banquier visant l'article 7 du Code des obligations civiles et commerciales.
En effet il apparaît difficile de dire, à
partir des seules décisions que nous avons cités, que la Cour de
cassation reconnaît tout sujet de droit, ou même le
client « hors client », créancier d'une
obligation de conseil. De même il nous est impossible de dire qu'il
existe un courant jurisprudentiel en faveur d'une telle analyse.
Mais en tout état de cause le rattachement de l'obligation
de conseil au contrat va nous permettre certes de fixer l'étendue de
l'obligation de conseil.
..................................
12 Cass.com., 7 avr. 1992, pourvoi no
90-14955.
13 Cass.com, 4 oct. 1994, pourvoi no
91-14143.
14 Cass.com., 18 mai 1999, pourvoi no
96-14742.
15 Cass.com., 3 mai 2000, pourvoi no
97-11209.
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