L'étude approfondie sur la formulation d'une
stratégie de développement durable chez l'entreprise
d'Hydro-Québec offre les premiers éléments de
réponse quant aux apports et aux limites de l'approche cadre logique
pour une entreprise s'engageant dans une politique de développement
durable. Par rapport au cas étudié, l'approche cadre logique peut
offrir quatre types d'apports pour aborder une stratégie de
développement durable au sein des entreprises.
· L'approche cadre logique peut permettre
d'opérationaliser par le truchement des parties prenantes les objectifs
du développement durable dont économiques, écologiques, et
sociétaux et sociaux ;
· Le cadre logique est un outil de diagnostic efficace
pour révéler les divergences d'intérêt et les
blocages qu'une politique de développement durable peut
générer. Il peut être un outil de gestion très
important dans l'établissement d'un plan de communication efficace entre
les principaux acteurs du projet ;
· Il revèle la complexité des imbrications
des acteurs d'un territoire qui doivent être mobilisés autour
d'une problématique de développement durable;
· L'approche cadre logique peut contribuer à une
entreprise plus humaine.
L'identification des parties prenantes est, dans le cas
étudié, une analyse préalable à la formulation
d'une stratégie de développement durable. En effet, les parties
prenantes incarnent les trois piliers du développement durable. Les
intérêts des différents volets - économique, social
et environnemental - sont pris en compte par le truchement des parties
prenantes qui en sont les défenseurs (porte-paroles). En comparant cette
approche de terrain à celle que nous illustrons, il y a de nombreuses
similitudes entre elles. L'interprétation des résultats obtenus
indiquent que les deux approches de gestion conduiraient à de
résultats d'analyse presque identiques.
Dans notre démarche, nous avons valorisé le
cadre logique qui est en quelque sorte un outil de gestion modifiable tout au
long des étapes du projet. Par ailleurs, le concept « cadre logique
» et ses dérivés restent néanmoins peu
utilisés au Québec, notamment par la filiale d'Hydro -
Québec. À l'instar de nombreux pays européens, il est un
outil qui est largement utilisé et encouragé par le Comité
d'Aide au Développement (CAD) des pays de l'OCDE. Le modèle
d'analyse cadre logique (ACL) a été élargi pour remplacer
l'approche traditionnelle de gestion. Bien qu'en apparence, les outils
d'analyse pour ces deux modèles à comparer semblent
différents, mais parviennent à des résultats presque
semblables. Toutefois, notre approche est orientée largement vers
l'analyse de l'outil « cadre logique » et aborde des
questions plus vastes, comparativement à celle
exploitée par la filiale d'Hydro- Québec qui tient surtout compte
des spécificités régionales / locales.
L'étape de formulation de la stratégie et des
actions à entreprendre a clairement permis d'identifier les
problèmes des parties prenantes. De fait, il fut possible de choisir une
méthode adaptée à l'entreprise et c'est sûrement
là l'importance capitale de l'approche par parties prenantes. Le
diagnostic précoce a permis de réfléchir à un
remède efficace. Nous sommes ici proches des conclusions de Nahapiet et
Ghoshal (1998)31 pour lesquels l'échange entre parties
prenantes permet d'identifier les actions possibles.
Conformément aux résultats de Christmann
(2004), la nature des demandes des parties prenantes a contribué
à la prise en compte d'une dimension du développement durable :
la dimension sociale, dans le cadre de la politique de protection de
l'environnement. Pour Christmann, les demandes des parties prenantes
aboutissent à la standardisation de différentes dimensions de la
politique environnementale.
« Les pressions environnementales perçues
contribuent à l'adoption de standards environnementaux internes globaux,
la perception de la pression des consommateurs de standards de communication
environnementale tandis que la pression industrielle perçue contribue
à la standardisation des processus
environnementaux»32
Nous savons que chaque entreprise a sa propre manière
de présenter les processus, les procédures, les meilleures
pratiques et les modèles de gestion pour mener à bon escient des
projets. En comparant la méthodologie de gestion de
l'Hydro-Québec à celle que nous avons illustrée, il faut
souligner qu'il n'y a pas de nombreuses différences. Ces
différences, lorsqu'elles existent, ne se trouvent en raison de
désaccords majeurs, mais plutôt d'écarts dans l'accent qui
est mis sur les différents points de vue et d'outils d'analyse.
31 Nahapiet J, Ghoshal S (1998),
«Social Capital, Intellectual Capital and the Organizational
Advantage», Academy of Management Review, Number 23, p
242-266.
32 Christmann P., (2004) «Multinational Companies
and the natural environment: Determinants of
global environmental policy
standardization», Academy of Management Journal, vol 47, Number
5, October, p 755.
À l'instar des résultats de Christmann, cette
présente recherche laisse donc croire que le cas de la filiale
d'Hydro-Québec ne peut être généralisé au cas
du développement durable, surtout il est porté sur un projet
spécifique. Il va falloir pousser davantage nos recherches soit dans
l'entreprise étudiée soit d'explorer d'autres cas de terrain pour
arriver à des conclusions plus plausibles sur la thématique du
développement durable au niveau des entreprises du Québec.
A l'issue de ce travail d'analyse, il ressort que l'approche
cadre logique offre un intéressant outil de diagnostic pour initialiser
une politique de développement durable au sein des entreprises. En
revanche, elle n'est pas suffisamment opératoire pour résoudre
les difficultés que rencontrent les projets à savoir le
dépassement des conflits d'intérêts qu'incarnent voire
exacerbent la prise en compte des revendications des parties prenantes sociales
et environnementales. Celle-ci ne peut pas remplacer les autres outils de
gestion, telles que l'analyse Coût - bénéfice, l'analyse de
la qualité, ... Elle ne peut être qu'un outil d'accompagnement
dans la gestion intégrée des processus décisionnels.
En outre, le caractère « socio-centré
» de l'approche parties prenantes place l'environnement naturel au second
plan derrière l'homme et risque de négliger le pilier
environnemental du développement durable (Starik, 1995 ; Dontenwill,
2005). Pour reprendre l'expression d'Eggers, en 1997, l'approche cadre logique
ne peut pas produire de résultats escomptés lorsqu'on l'applique
à des projets de longue durée. Par contre, le cadre logique
universel n'existe pas, il va donc falloir l'adapter en fonction de la
situation qui existe.
En dépit du changement continu dans les valeurs
sociales, le modèle de planification responsabilisant doit tenir compte
de plusieurs facteurs clés, dont l'intégration de ceux-ci dans le
cycle de vie d'un projet permettrait à des chefs d'entreprise de
bonifier sa réflexion en gestion de projet. Dans les sections suivantes,
nous indiquons en quelques paragraphes certaines actions qui doivent être
envisagées dans une perspective de développement durable.
6.7.5.- Autres considérations sur le
modèle de planification de projet à l'égard d'une
entreprise s'engageant dans une perspective de développement
durable
Dans cette optique, l'entreprise devrait réaliser une
analyse approfondie des processus d'affaires et des systèmes de gestion
utilisés jusqu'ici, afin de déterminer les
bénéfices qui peuvent réellement découler de
l'adoption d'un modèle participatif de gestion. Par exemple, il faut
comparer les coûts actuels du programme de conformité aux
coûts d'adopter une approche de gestion participative et
intégrée. De plus, l'entreprise devra définir la situation
idéale recherchée, en ce qui a trait à la gestion de la
conformité, afin de détecter les écarts entre les
pratiques actuelles et la cible. L'analyse des écarts permettra de
repérer les lacunes et de cerner les conséquences possibles de
ces lacunes. Lorsque ces renseignements auront été réunis,
l'entreprise pourra élaborer un plan détaillé, sur mesure,
pour évoluer vers le modèle participatif de gestion.
Dans le cas du projet de la centrale hydroélectrique
de l'Eastmain-1-A, la filiale d'Hydro-Québec aurait utilisé des
outils d'analyse presque différents. Toutefois, elle a adopté une
méthodologie de gestion qui a intégré les parties
prenantes dans sa réflexion, afin d'atteindre les objectifs de
réalisation économiques, sociaux et écologiques.
Dans l'argumentation quant à la comparaison des deux
approches de gestion dans les analyses précédentes,
l'environnement a bénéficié un statut prioritaire quant
aux prises de décision. Le volet environnemental a été au
centre de tous les processus de décision. Mais la stratégie de
l'entreprise ne ganrantit pas que la coopération qui existe entre toutes
les parties impliquées au projet soit durable.
Le projet devrait bénéficier un financement
local pour que ses parties prenantes se sentent utiles et impliquées
dans celui-ci. L'échange d'information entre les parties
impliquées et l'entreprise ne doit présenter aucun risque,
étant donné l'existence d'un plan efficace de communication. La
programmation du projet dans la collectivité devra tenir compte de
l'ensemble des coûts qui y sont associés. Il s'agit notamment les
coûts financiers,
les coûts environnementaux et sociaux. Le projet ne
devrait pas être une source de satisfaction pour le promoteur seulement.
La performance financière ne doit pas être le seul critère
qu'il faut envisager, soit au détriment de l'environnement et de l'effet
néfaste du projet sur la collectivité locale.
· Il faut dégager un consensus entre les
parties impliquées au projet
L'entreprise qui survivra est celle qui est en mesure de
s'adapter au contexte de l'heure et de prendre ses responsabilités
sociales. La décision de réduire les externalités d'un
projet va sans doute avoir des répercussions sur les méthodes de
travail du personnel dans une entreprise. Il importe donc de tabler sur une
planification détaillée et sur le leadership des responsables
pour formuler une nouvelle vision et tracer le parcours à suivre. Une
stratégie de gestion axée sur un modèle participatif ne
peut avoir de succès que si le personnel l'accepte. Il est donc
indispensable de trouver un consensus à tous les échelons de
l'entreprise. Pour que les équipes adhèrent au projet, il faut
démontrer les avantages du changement et dissiper les craintes.
L'analyse détaillée, présentée ci-dessus,
répondra aux préoccupations de la haute direction car elle
révélera la portée des gains à réaliser.
Quant aux gestionnaires de première ligne, qui craignent une perte
d'autorité, il faut leur démontrer comment, en
réalité, le modèle de gestion participative peut
accroître leur pouvoir et réduire les risques. En d'autres termes,
il faut leur faire comprendre qu'au lieu de consacrer des heures et des
ressources rares à la gestion de processus et d'applications lourdes et
redondantes, ils pourront mettre l'accent sur le contrôle des
résultats et la définition des orientations
stratégiques.
· Il faut choisir les fournisseurs (ou les clients)
qui vont dans le même sens
Une entreprise cliente devrait viser à établir
un partenariat à long terme, mutuellement avantageux, avec son
fournisseur. Elle devrait donc choisir ce fournisseur avec le plus grand soin.
Est-ce que vous disposez de commentaires pertinents sur l'éloge faite
à cette entreprise? Puis, vérifiez vous que si l'entreprise
possède une vaste expérience et un savoir-
faire éprouvé dans le domaine de la gestion de la
conformité, notamment sur l'environnement, ... ?
De ce même point de vue, est-ce que l'entreprise
possède-t-elle l'infrastructure et les compétences
nécessaires pour répondre à vos attentes? Est-elle
également réputée pour la qualité de ses services?
Ce dernier critère est, sans contredit, le plus important. Assurez- vous
donc que le fournisseur que vous choisirez pourra combler vos attentes en
matière de développement durable. Les entreprises qui
s'apprêtent à adopter le modèle de gestion axé sur
la concertation devraient aussi négocier l'entente avec soin. Le contrat
doit alors inclure toutes les dispositions utiles afin d'instaurer un
partenariat fructueux sur le long terme.
· Il faut opter pour une approche
intégrée et de concertation pour la livraison des solutions
globales des projets
L'acceptabilité sociale devient une condition
essentielle de survie des projets d'aujourd'hui . Comme l'a souligné
Serieyx (2004), dans son ouvrage « Le Big Bang des organisations
», il est difficile voire impossible de dissocier aujourd'hui l'entreprise
de son mileiu social. Son message indique qu'il est temps de réaliser un
changement radical de la structure et du mode de fonctionnement des
entreprises. Celles qui ne marchent pas sous cette voie risquent de s'auto
destituer dans ce nouveau monde qui se crée. De nouvelles valeurs, comme
la responsabilité sociale, la dissémination du pouvoir et
l'initiative deviennent des passages obligés de réussite dans le
monde des affaires au renoncement de la responsabilité narcissique, de
l'égocentrisme, de la centralisation du pouvoir et la
docilité.
Mikol a eu donc raison lorsqu'il a souligné qu'en
2004, si les conséquences des projets industriels ont été
longtemps tenus pour une contre partie inévitable du progrès et
n'obligeaient aucun investissement en matière environnementale, mais la
multiplication des normes et des réglementations conduisent les chefs de
projets à agir avec prudence aujourd'hui, quant aux effets de leurs
projets sur l'environnement, jalousement surveillés par les victimes des
conséquences désagréables ou mortelles de
l'activité des usines et des
décharges. Cette obligation s'inscrirait peu à
peu dans un processus de création de valeur évaluée en
terme de responsabilité civique, qui est pour autant d'ordre moral.
Le développement d'un projet ou d'une entreprise
nécessite le support des communautés locales pour qu'il puisse
accepter socialement. Leur intégration dans la gestion des processus
décisionnels est donc indispensable pour la réussite de ce
projet. Sans l'appui des parties prenantes, la pertinence, l'efficacité
et l'efficience souffrent et la durabilité devient
généralement difficile voire impossible.