Section 1
L'évaluation des réformes
financières dans la CEMAC.
La prise en compte des conséquences du secteur
financier sur l'économie réelle a abouti à la construction
des variables mesurant le niveau de développement du système
financier. Le « syndrome interventionniste » de Mckinnon
traduit clairement cette relation et renvoie à la notion de
répression financière. C'est à la fois le maintien des
taux d'intérêt bas, les interventions de l'Etat visant à
limiter la liberté d'action dans le système financier. Mckinnon
soutient, que c'est cet interventionnisme qui maintient le système
financier dans le sous-développement. Ainsi libérer celui-ci de
l'interventionnisme étatique éliminerait les freins à son
expansion. Il en résulterait la réduction des coûts de
transaction et d'information grâce à une meilleure gestion et
répartition du risque, et la réalisation des économies
d'échelle1. Le développement financier est le concept
qui traduit à la fois l'essor des marchés et l'expansion de
l'intermédiation. Il recouvre à la fois la taille des
systèmes financiers et la diversité des instruments financiers
à la disposition des agents économiques. Ainsi d'après Fry
(1995), un système financier étroit (respectivement vaste) et
offrant des services traditionnels (fournissant une gamme variée de
services financiers) sera dit sous développé
(développé). Des indicateurs financiers sont calculés pour
saisir de manière empirique le niveau d'expansion du système
financier. Les variables construites par King et Levine (1992) sont
indiquées pour notre étude. Elles sont relatives au
système bancaire et pratiquement simples à construire. Le
système financier de la CEMAC est essentiellement à finance
indirecte (Mathis, 1992). Les auteurs présentent clairement la
méthode de calcul des indicateurs à partir des Statistiques
Financières Internationales (SFI) du Fonds Monétaire
International (FMI).
1 Pour une revue de cette littérature, voir
Raffinot et Venet (1998) ou VENET, Baptiste, (1996),
1- L'évaluation de l'approfondissement financier
dans la CEMAC.
La période d'étude est choisie pour tenir compte
de la crise bancaire et de la libéralisation
financière2. Elle va donc de 1987 à 2002,
l'année la plus récente dont nous disposons de statistiques
financières. Tous les six pays de la CEMAC fournissent des statistiques
sur cette période. Les données sont tirées des SFI :
l'annuaire 1996 et le numéro de mai 2003, complétés par le
numéro d'octobre 2000.
Nous nous proposons (les pays ci-après sont choisis de
manière aléatoire) de mesurer l'approfondissement financier dans
deux pays représentatifs de l'UEMOA (la Côte d'Ivoire et le
Sénégal) et deux pays hors Zone Franc et hors Afrique
subsaharienne (le Maroc et la Tunisie). Les indicateurs financiers de ces
autres groupes nous permettront de comparer leur niveau de développement
à ceux de la CEMAC. En UEMOA, les indicateurs financiers sont
calculés sur la période 1987-2001 ; la période se
réduit au Maroc par manque de données (1990-2001). Les calculs
sont effectués à l'aide du logiciel Excel en raison de sa
simplicité.
1.1- Des comparaisons significatives.
En prenant seulement en compte les indicateurs LLY et PRIVY,
qui donnent le niveau réel de développement financier dans la
zone, les indicateurs calculés sur notre période d'étude
(1987-2002) ont connu une baisse assez remarquable, par rapport à ceux
calculés sur la période 1967-1995 (Ekani, op. cit.).
Tableau 2.1 : Tableau comparatif des niveaux moyens de
développement financier sur les périodes 67-95 et 87-02.
|
Cam.
|
Gab.
|
RCA
|
Con.
|
Tch.
|
G.éq.
|
LLY
|
1967-1995
|
0.194
|
0.194
|
0.193
|
0.187
|
0.172
|
|
1987-2002
|
0.174
|
0.175
|
0.174
|
0.171
|
0.168
|
0.102
|
PRIVY
|
1967-1995
|
0.214
|
0.182
|
0.197
|
0.175
|
0.134
|
|
1987-2002
|
0.143
|
0.121
|
0.054
|
0.113
|
0.074
|
0.103
|
Source : calcul à partir des SFI, selon la
méthode King et Levine (1992), et Ekani (1999).
2 Les pays de la zone CEMAC, comme ceux de la zone
Franc ouest africaine, ont été frappé par une crise
bancaire dès 1987. C'est justement pour faire face à cette crise
que les mesures de libéralisation financière ont
été prises dès 1990.
Les indicateurs LLY et PRIVY dans la CEMAC sont aussi
très faibles comparés à ceux des pays de l'UEMOA. En
effet, les moyennes sur la période 87-02 pour le Sénégal
(LLY=0.234, PRIVY=0.221) et Côte-d'Ivoire (LLY=0.279, PRIVY=0.266) sont
très au- dessus de la moyenne de n'importe quel pays de la CEMAC. Le
désavantage des pays de la CEMAC s'accentue, lorsqu'on les compare
à deux pays africains hors Zone Franc. LLY au Maroc représente,
en moyenne, plus de 3.5 fois la valeur de l'indicateur au Gabon. PRIVY en
Tunisie vaut environ 4 fois plus qu'au Cameroun.
Tableau 2.2 : Indicateurs moyens en Côte-d'Ivoire,
au Sénégal, au Maroc et en Tunisie.
|
C.Iv.
|
Sén.
|
Mar.
|
Tun.
|
LLY
|
0.279
|
0.234
|
0.638
|
0.503
|
PRIVY
|
0.266
|
0.221
|
0.379
|
0.544
|
Source : calcul à partir des SFI, selon la
méthode King et Levine (1992). 1.2- L'analyse du
développement financier dans la CEMAC.
L'indicateur traditionnel d'approfondissement financier mesure
la taille du système bancaire dans l'économie. Il est aussi
l'indicateur de la liquidité de l'économie. Ses valeurs
décroissantes et faibles par rapport à la période 67-95
traduiraient la réduction de la taille du secteur des
intermédiaires financiers, et de la liquidité de
l'économie. Les explications se trouveraient dans la crise aiguë,
et l'âpreté des réformes du système. En effet, la
crise aurait considérablement réduit la liquidité dans la
zone, par l'exportation des fonds en quête de meilleurs emplois. La
restructuration des systèmes bancaires a entraîné des
liquidations en masse. Aussi le nombre de banques est-il passé, entre
1986 et 1995, de 38 à 32 (Wamba, 2001). Ainsi, malgré les mesures
de libéralisation financières, l'approfondissement financier n'a
pas été amélioré.
BANK est souvent pris en compte pour signifier que les banques
sont mieux armées que la banque centrale pour gérer les risques
et l'information. Ses valeurs élevées témoigneraient de ce
que le crédit alloué par les intermédiaires financiers est
en grande partie octroyé par les banques commerciales tandis que leur
baisse signifie une activité grandissante de la Banque Centrale.
Les indicateurs PRIVY et PRIVATE représentent la taille
du secteur privé dans l'économie, ou encore
l'efficacité du système bancaire vis-à-vis du secteur
privé. Leurs valeurs
relativement médiocres et sans cesse en diminution, par
rapport à 67-95, connoteraient une efficacité de plus en plus
réduite du système bancaire pour le secteur privé, et une
baisse de la contribution des acteurs privés dans l'économie. La
méfiance des banques, issue de l'expérience de la crise
(créances compromises), les conduirait, par prudence, à
léser les agents privés. La perte de la part du privé se
ferait alors au profit des activités de rente3 ou du secteur
public.
La comparaison des niveaux de développement financier
entre les pays de la CEMAC et deux pays de l'UEMOA montre clairement, que le
système financier des seconds est plus développé que ceux
des premiers. La différence est davantage ressentie, lorsqu'on met en
parallèle les pays de la CEMAC d'une part, et le Maroc et la Tunisie
d'autre part. Ces résultats confirment bien ceux des travaux
précédents, qui donnent un avantage des pays de l'UEMOA sur la
CEMAC, en matière de développement financier, et un avantage
certain de l'Afrique du nord sur l'Afrique subsaharienne. Il faut même
noter que le système financier de l'UEMOA dispose d'une bourse de
valeurs, localisée à Abidjan (la BRVM). Le Maroc et la Tunisie
ont chacun une bourse de valeurs (la Casablanca Stock Exchange et la Tunis
Stock Exchange respectivement).
Il apparaît qu'à partir de 1987, le niveau de
développement financier a fortement baissé. Le système
financier de la CEMAC déjà sous-développé a encore
été endommagé par la crise bancaire. Les causes
étaient trouvées dans le caractère répressif de
l'environnement financier entre autres.
II L'appréciation des réformes du
système financier de la CEMA C.
En une quinzaine d'années, le système financier
de la CEMAC connaît deux générations de réformes.
Les premières (1990) répondaient aux insuffisances du cadre
d'exercice de l'activité d'intermédiation, et surtout visaient
à juguler la crise de la fin des années 1980. Ces mesures se sont
avérées satisfaisantes pour assainir le système bancaire,
et
3 Ceci constituerait une explication de la surliquidité
des banques de la zone.
non pour assurer son développement4. C'est
pourquoi des réformes de deuxième génération, dont
certaines sont encore en cours de réalisation, sont
nécessairement entreprises.
2.1- Les insuffisances du système financier de la
CEMAC.
La CEMAC souffre gravement de l'absence d'alternatives
à l'intermédiation bancaire. Pour assurer le financement des
projets d'investissement, l'Afrique centrale a besoin d'instruments et de
mécanismes variés lui permettant de mobiliser l'épargne
longue en grande quantité. Dans un contexte marqué par les
exigences croissantes de privatisation, la sous région devrait fournir
des mécanismes de sortie pour les investisseurs dans les titres des
entreprises à privatiser. Elle devrait aussi proposer des
facilités pour le changement de structure aux entreprises qui le
désirent. Les instruments de financement long et les possibilités
de modification de la taille des entreprises font défaut dans la
zone.
De plus, les Trésors Nationaux continuent de
dépendre des avances de la BEAC pour combler leurs déficits de
trésorerie. La Banque Centrale continue donc de subir les pressions du
financement monétaire des déficits budgétaires et la
politique monétaire ne trouve pas toujours les bons de Trésor.
Ceux-ci animent généralement le marché monétaire et
sont le canal privilégié de transmission de la politique
monétaire. La BEAC ne peut donc pas agir efficacement sur le
système bancaire et sa liquidité du fait de la quasi absence des
titres publics.
Par ailleurs, la CEMAC pèche par l'opacité de
son tissu productif. Les informations sur les activités dans les
différents secteurs sont rares dans la zone. Les potentiels
investisseurs voulant se lancer dans l'industrie ou les activités
commerciales ne trouvent pas les données nécessaires sur les
positions concurrentielles ou sur les débouchées dans les
différentes branches. Dans le même ordre d'idées, il
n'existe pas de structure fournissant aux éventuels investisseurs des
renseignements sur les entreprises et leur gestion. En fait, les agents
économiques n'ont pas une bonne connaissance des activités et
opportunités en Afrique centrale.
Il est important de noter que dans un contexte mondial
marqué par la dématérialisation des valeurs et le
règlement électronique des transactions, la CEMAC n'a pas encore
assuré le développement de la monnaie scripturale. Le
système de paiement de la sous région est
4 Les mesures de première
génération et leur appréciation sont
présentées en annexe 6.
encore dominé par les transactions en monnaie
fiduciaire, qui marquerait la confiance peu solide en ce système. Le
caractère archaïque des moyens de paiement découle de la
rigidité du système de paiement et de règlement de la
zone.
Une explication au manque de confiance du public au
système bancaire le défaut de paiement à la fois des
crédits et des dépôts. Ces incidents de paiement
révélaient qu'il n'était plus sécurisant de
déposer ses fonds en banque dans la CEMAC. En fait, Les clients
insolvables des banques n'ont jamais fait l'objet d'aucune procédure
judiciaire. Il n'est donc pas insensé de souligner qu'il n'existe pas de
répression aux incidents de paiement dans une zone où les flux
financiers sont dominés par les règlements en monnaie
fiduciaire.
Les insuffisances ainsi recensées expliquent le sous
développement du système financier de la CEMAC. Les
réformes de deuxième génération prennent notamment
en compte ces manquements. Elles sont donc à mesure d'améliorer
l'activité financière et d'assurer le développement
financier dans la sous région.
2.2- Les réformes en cours, pour le
développement financier.
Des réformes financières et monétaires
sont en cours dans la CEMAC pour construire une structure permettant le
développement de la sphère financière propice au
développement économique.
La belle illustration de cette nouvelle orientation est le
projet de la bourse des valeurs mobilières de l'Afrique centrale
(BVMAC). Le chronogramme de la mise en place de la BVMAC a été
révisé à plusieurs reprises. Les principales institutions
du marché ont déjà été mises en place et
mais démarrage effectif des activités est handicapé par
l'existence de deux projets concurrents dans la zone. La BVMAC s'imposerait
alors comme alternative au financement bancaire, puisque la bourse est un
organisme à fortes externalités positives. Elle met
continuellement et spontanément à la disposition du public, des
informations exhaustives et qualitatives sur les performances des agents
économiques ; et les titres financiers viennent accroître la gamme
des services offerts par le système financier.
Le projet d'émission des titres publics de même
accroît la gamme des services financiers offerts dans le cadre d'un
marché des valeurs du Trésor. Ce dernier est un instrument de
gestion de l'endettement public permettant à l'Etat de mobiliser les
capitaux dont il a besoin pour financer son budget. Les titres publics
libèrent la Banque Centrale de la pression du financement
monétaire des déficits publics et lui permettent en même
temps d'agir plus efficacement sur la liquidité bancaire. Les projets de
la BVMAC et de l'émission des titres
publics associés à celui de la Centrale des Bilans
devront apporter une meilleure connaissance du tissu productif des Etats
membres.
En outre, pour répondre à l'insuffisance et
à la rigidité du système des paiements et de
règlement (SPR) de la sous région, une réforme est en
cours pour le rendre plus souple, ouvert et fiable. Complété par
le projet de création d'une centrale des incidents de paiements, la
modernisation du SPR va accroître la sécurité des
paiements, réduire les délais et coûts de transactions
bancaires et favoriser le développement de la monnaie scripturale et de
l'interbancarité.
Le système financier de la CEMAC est encore
sous-développé. Les indicateurs ont même
régressé par rapport à la période d'avant la crise.
Ils sont inférieurs à ceux des pays de l'UEMOA, de la Tunisie et
du Maroc. Les mesures de libéralisation auront été utiles
seulement à juguler la crise. Mais des perspectives meilleures se
dessinent pour le système financier de la CEMAC, avec les projets
financiers et monétaires en cours de réalisation.
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