Gestion locale des marchés public et service public local: le cas communal( Télécharger le fichier original )par Ikram El Qaouti Université Mohammed V des sciences juridiques économiques et sociales , (Maroc) Rabat Agdal - DESA en droit public 2009 |
Section première :Théorie de la commande publique communale : Les repères L'étude du cadre légal de la gestion communale des marchés publics permet de dégager certains points clés, qui permettront de toucher le fond de ce régime : « Contrôle » et «tutelle», les repères les plus marquants qui permettent d'apprécier la nature et la portée du régime de la gestion locale, et plus précisément communale des marchés publics au Maroc. Quoique la tutelle est souvent prononcée comment étant un contrôle administratif dans les écrits des doctrinaires et dans les discours des hommes politiques ; les deux notions diffèrent largement : · Le contrôle met en relation un « contrôleur » et un « contrôlé » et non pas une autorité détentrice d'un pouvoir absolu et un agent ou un organe soumis à sa volonté. · Le contrôle est une action qui intervient, non pas pour trancher sur le caractère exécutoire d'une décision, mais pour évaluer un fait, une activité, ou pour juger la conformité d'une action, d'un engagement, d'un compte...à la norme. Or, la tutelle consiste en un rapport qui lie « une autorité de tutelle » à « une autorité sous tutelle » disposant d'une voie droit sur l'acte émis par cette dernière. Dans la typologie chronologique, Le contrôle est effectué en amont et en aval de la prise de décision. C'est le receveur communal qui contrôle et la régularité de l'acte et sa validité comptable. Le contrôle juridictionnel comme celui de l'audit interviennent à postériori. Quant à la tutelle, elle s'exerce pour décider de l'exécution de l'acte, et peut être exercé indirectement, au cours même de la procédure de la passation des marchés publics. Les points clés du cadre juridique de la commande publique communale peuvent donc être regroupés comme suit : · Les contrôles de régularité, de validité, juridictionnel et de l'audit · Une tutelle directe : c'est la tutelle d'opportunité exercée par le ministre de l'intérieur ou le Wali de la région associée à un contrôle préalable sur la régularité de la dépense exercé par le receveur communal. · Une tutelle indirecte : cette appellation vient des élus français168(*), c'est quand l'Etat en la personne de ses représentants exerce sur les marchés communaux (et les autres actes des collectivités locales) une tutelle indirecte, son exercice s'observe dans l'obligation pour la commune d'accepter l'intervention d'acteurs qui lui sont étrangers dans le déroulement de la procédure. Deux grands repères existent en la matière, il s'agit de la composition de la commission d'appel d'offres et celle du jury des concours. · Les communes ayant « statut spécial » ; c'est la commune urbaine de Rabat et les communes des Méchouars, où les commandes publiques sont d'emblée l'oeuvre du représentant de l'Etat ; ordonnateur de la dépense. Sous-section première Le volet positif: le contrôle La tutelle sur les actes des collectivités décentralisées est très souvent accompagnée d'un contrôle à priori sur l'acte qui « ...facilite aussi bien le contrôle d'opportunité que le contrôle de légalité... »169(*). Comme cela a été précisé dans le chapitre premier, le contrôle comptable ou encore le contrôle de validité intervient après la prise de décision et avant le paiement, cette intervention à posteriori du receveur communal ne peut nullement être considérée comme une atteinte aux pouvoirs de l'élu local. Par ailleurs, le contrôle de régularité de la dépense intervient automatiquement après la signature de la convention et avant sa transmission à l'autorité de tutelle. Cette modalité de contrôle a certainement un volet positif qui favorise le placement des deniers publics, et le service public communal en tirera certainement des bénéfices ; le contrôle de régularité se présente comme une certaine sécurité quant à l'investissement des deniers publics : · D'abord, ce contrôle peut bien combler un déficit dans la qualification de l'élu communal. Il permet de corriger et éviter les erreurs de manière à empêcher à ce que l'acte; soit induit de fautes qui coûtent à la commune et au service public auquel la prestation objet du marché, et donc au contribuable une perte d'argent et aussi de temps. · Le contrôle de régularité évite aussi le renvoi de l'acte par l'autorité de tutelle pour correction évitant par conséquence une perte de temps qui se répercutera certainement sur le fonctionnement harmonieux et continu du service public communal. L'importance du contrôle d'opportunité exercé par le receveur parait aussi dans le fait qu'il permet de protéger les intérêts locaux, voire même l'élu local « ...contre la pression très forte des intérêts particuliers... »170(*). Parce qu' « un élu local est à la fois en charge de l'intérêt général et, dans sa vie personnelle, de ses intérêts privés. Il dispose, comme toute personne physique, d'intérêts personnels relatifs à son propre patrimoine ou à celui d'autrui auxquels peuvent le lier un mandat électif ou associatif, mais aussi des relations professionnelles, familiales ou amicales... »171(*). Ces intérêts particuliers ou personnels qui risquent d'amener l'élu à frauder la procédure, et à effectuer un achat qui est public par définition mais privé par intérêt ; ne peuvent ne pas influer sur le fonctionnement du service public et conséquemment sur la qualité de vie de la population locale. Quant aux contrôles juridictionnel, et de l'audit ; ce sont des modalités indispensables pour les acte administratifs engageant les finances publiques dans tout Etat de droit ; sans lesquelles la gestion des deniers publics serait une pièce théâtrale de fraudes, de manigances, et de fautes lourdes. Ces contrôles ; juridictionnel, de l'audit et celui qui s'exerce sur la validité et la régularité des actes des achats publics communaux sont une garantie pour assurer la préservation des deniers publics, et constituent par conséquent les points forts du régime de la gestion communale des marchés publics Cependant l'investiture d'agents étrangers à la collectivité décentralisée de pouvoirs rentrant normalement dans les affaires locales et donc dans la compétence des élus locaux ne parait pas commode avec une gestion démocratique, et risque d'engendrer des conséquences majeures sur les prestations objets des marchés. Sous section deuxième : La tutelle directe : le contrôle d'opportunité Que le ministre de l'intérieur ou son délégué exerce un contrôle d'opportunité sur l'acte du marché communal, c'est qu'il peut décider en opportunité de l'approbation, ou de l'annulation dudit acte. « L'expression tutelle est traditionnellement utilisée pour désigner le contrôle administratif sur les autorités décentralisées... »172(*). Ce rapport ne peut être assimilé au pouvoir ou au contrôle qu'exerce un supérieur hiérarchique sur ses subordonnés ou sur ses subalternes, les rapports diffèrent largement :
· « le pouvoir hiérarchique est un pouvoir inconditionné. Le supérieur peut donner à ses subalternes tous les ordres qu'il juge bons (l'ordre doit être naturellement légal)... ». Alors que la tutelle est un pouvoir conditionné, il ne peut s'exercer que dans les conditions déterminées et selon les normes arrêtées par la loi. · Le pouvoir hiérarchique se présume, le pouvoir de tutelle ne se présume pas.173(*) Ainsi l'autorité de tutelle ne peut agir que si la loi lui attribue expressément ce pouvoir ; « pas de tutelle sans texte, pas de tutelle au-delà des textes »174(*) Le droit marocain a confié au ministre de l'intérieur (ou son délégué) non pas un simple droit de regard mais une voie de droit sur les marchés conclus par la commune. Ainsi ce représentant du pouvoir exécutif dispose du pouvoir de contrôler et vérifier le contenu des actes des marchés communaux « ...et y faire obstacle en raison de leur incompatibilité avec ses propres décisions, il exerce alors un contrôle d'opportunité... »175(*) · La tutelle sur les marchés communaux : contrôle de tutelle ou pouvoir de tutelle ? Certes, la tutelle constitue une modalité de contrôle administratif, d'ailleurs les auteurs l'abordent en utilisant des termes comme « contrôle administratif » ou «contrôle administratif de tutelle ». Cependant, son exercice sur les marchés communaux au Maroc renvoie beaucoup plus à un rapport de pouvoir absolu, qu'à un rapport de contrôle. Le contrôle administratif sur les marchés publics des collectivités locales s'exerce selon des modalités différentes ; dans les Etats libéraux, les décisions de l'autorité communale ont une force exécutoire, elles ne peuvent disparaître qu' « à la suite d'une annulation prononcée pour illégalité... ». Cette annulation provient généralement d'une autorité judiciaire. Dans les régimes les plus rigoureux « ...l'entrée en vigueur d'une décision est soumise à l'approbation expresse ou tacite de l'autorité de tutelle... »176(*), Et c'est dans ce modèle ou se situe la tutelle sur les marchés communaux au Maroc ; puisque conformément aux dispositions de l'article 49 précité du décret portant règlement de la comptabilité des collectivités locales et de leurs groupements précité, ces marchés « ...ne sont valables et définitifs qu'après approbation du ministre de l'intérieur ou de son délégué ». A. La tutelle d'opportunité : modalités d'exercice : La tutelle s'exerce par le pouvoir d'approbation du marché, son annulation, et le pouvoir de substitution conféré à l'autorité administrative locale, et ce, en plus du droit de différer l'acte au juge pour statuer sur sa légalité. L'approbation peut être refusée pour des « motifs d'inopportunité », ainsi par exemple le ministre de l'intérieur ou son délégué peuvent désapprouver l'acte du marché public, rendre nulle la décision prise l'élu communal pour la simple raison que le prix leur parait excessif. Dans ce cas, il ne s'agit nullement d'un contrôle qui met en relation un contrôleur et un contrôlé mais c'est un pouvoir dont dispose le ministre de l'intérieur ; « tuteur légal des collectivités locales du royaume », puisque la nature des rapports, (qui ressemble d'ailleurs au veto dont dispose le président des Etats-Unis) met en relation une autorité dominante qui a le dernier mot sur la mise en exécution de la décision ou son annulation, et une autorité élue commandée par la volonté de cette autorité gouvernementale. Ce contrôle d'opportunité porte une grave atteinte à l'autonomie de la commune dans la gestion de ses intérêts ; « ... les matières soumises au contrôle de l'opportunité couvrent l'essentiel des attributions des collectivités locales et concernent les domaines les plus vitaux et les plus sensibles de l'action des collectivités locales ... »177(*). Les marchés publics constituent l'un des domaines les plus critiques de la gestion des intérêts locaux, quand le législateur fait intervenir l'autorité de tutelle non pas seulement pour contrôler la conformité de l'acte à l'ordre public interne ; mais pour « décider » de son exécution c'est qu'il place la collectivité décentralisée sous une autre autorité supérieure ; dénaturant ainsi la « gestion démocratique » que la constitution consacre, et la décentralisation que cette gestion impose. Les problématiques liées aux retombées de la tutelle d'opportunité dépassent le cadre théorique tracé par la décentralisation pour toucher à l'action communale dans son quotidien, « ...des décisions parfaitement régulières et faisant partie des attributions normales des organes décentralisés ne peuvent intégrer l'ordonnancement juridique, c'est-à-dire devenir exécutoires en raison de leur inopportunité touchant aussi bien les moyens, les finalités que la conjoncture... »178(*). B. Pouvoir de l'élu : le paradoxe :La réalité juridique des marchés publics communaux, laisse apparaître une contradiction apparente, voire flagrante entre les textes dans la définition de la compétence de l'autorité communale :
- La charte communale confère au président du conseil communal le pouvoir de « conclure » les marchés publics pour le compte de la commune : · Disposer du droit de conclure le contrat veut dire que cet élu est compétent pour décider de la création ou non des droits et des obligations à l'encontre de la collectivité décentralisée. La charte laisse donc entendre que c'est le président du conseil communal qui décide de la passation des marchés ayant intérêt communal. - Le décret portant réglementation de la comptabilité publique dans son article 49 impose l'approbation des marchés collectivités locales par le ministre de l'intérieur : · De ce fait c'est celui-ci qui est compétent pour octroyer au marché public communal la force exécutoire, ou son annulation le cas échéant. Le décret confère donc au ministre de l'intérieur le pouvoir de décider de la conclusion des marchés communaux.
Dans cette situation paradoxale, l'élu se trouve investi d'un pouvoir qui n'est ni exclusif ni absolu, et le ministre de l'intérieur se voit décideur de l'exécution de projets, d'achats de services ou de fournitures des communes du royaume. Sous-section troisième: La tutelle indirecte La « tutelle indirecte » ou encore la « tutelle moderne », vise à déterminer, guider et conduire l'action des collectivités locales, elle prend diverses formes allant de « la conditionnalité de réalisation de projets sur le territoire local jusqu'à l'intervention directe pour certaines actions, en passant par l'orientation des projets économiques dans les domaines voulus par l'Etat. ».179(*) En matière de gestion communale des marchés publics, et en plus du contrôle d'opportunité exercé à priori sur l'acte, le législateur marocain a muni les représentants de l'Etat de pouvoirs colossaux faisant de l'affaire locale, une compétence centrale. * 168 F. Luchaire, Y. Luchaire, le droit de la décentralisation, PUF, 2ème éd, 1989.P.193. * 169 F. Luchaire, Y. Luchaire, le droit de la décentralisation, op-cite. P.186. * 170 Rapport d'Aubert, la réponse des maires de France, tome I, p.23. Cité in F. Luchaire, Y. Luchaire, le droit de la décentralisation, op cite. P.188. * 171 E. Landot, l'intérêt personnel des élus dans le droit administratif français (tome I), université panthéon-Assas, Paris II, 22 septembre 2000. P.16. * 172 M. Rousset et J. Garagnon, droit administratif marocain, op-cite p. 36. * 173 A. Benjelloun, Droit administratif, tome I, l'organisation administrative, op-cite, p. 56. * 174 Ibid. p. 57. * 175 M. Rousset et J. Garagnon, droit administratif marocain, op-cite p. 37. * 176 Ibid. P. 37/38. * 177 J.Chabih, les finances des collectivités locales au Maroc : essai d'approche globale des finances locales, ouvrage op-cite P. 170. * 178 M. El Yaâcoubi, « la tutelle d'opportunité ». P.119. Cité in Ibid. P. 170. * 179 J. Chabih, les finances des collectivités locales au Maroc : essai d'approche globale des finances locales, op-cite P. 172. |
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