WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Etude socio-anthropologique de la contribution des institutions sociales à  l'allongement de la vie: l'exemple de l'ebeb chez les Adjoukrou

( Télécharger le fichier original )
par Fato Patrice KACOU
Université de Cocody-Abidjan (Côte d'Ivoire) - Diplôme d'Etude Approfondie (DEA) 2005
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

I.2- PROBLÉMATIQUE 

Dans une sérié télévisée de la RTI((*)3) dénommée « Faut pas fâcher », un fait divers relatif à la société ivoirienne a été raconté. Une femme nommée Mô Koutou a été accusée à tort et tuée pour motif de sorcellerie. Son mal était qu'elle était très vieille et qu'elle résistait au temps, pendant que les personnes de sa génération avaient presque quitté le monde des vivants et que la mort précoce faisait ravage parmi les jeunes du village. Ce déni de vieillesse est corroboré par un mythe dan((*)4): le mythe Ngnudoli((*)5) selon lequel dans un village les jeunes avaient décidé de mettre à mort les personnes âgées, en prenant pour prétextes leur extrême vieillesse, leur improductivité et leur vie parasitaire. Aussitôt l'acte commis, un génie des forêts voisines menaça à son tour de faire périr ces mêmes jeunes s'ils n'arrivaient pas à tresser une natte avec du sable. Le jeune Ngnudo qui eut la sagesse et la présence d'esprit de mettre ses parents à l'abri des massacres, alla consulter ceux-ci relativement à l'énigme que le génie leur posa. Il dit à son fils de répondre ceci: « Génie de la forêt, Maître de l'Univers, donne-nous d'abord une vieille natte, car c'est sur l'ancienne que l'on confectionne la nouvelle ». Ce qui signifie que l'éclosion de la société s'appuie toujours sur l'histoire, qu'il n'y a pas de rupture entre le présent et le passé, entre la vieillesse et la jeunesse. S'il est admis que l'éducation est exercée par les générations adultes sur celles qui ne sont pas encore mûres pour la vie sociale, alors comment peut-on vouloir concevoir le développement en sousestimant ou en reléguant au second rang les vieilles personnes ? Est-ce possible d'avoir une société sans les vieilles personnes ? N'est-ce pas par rapport à l'ancien que le nouveau a toute sa raison d'être ? N'est-ce pas le nouveau d'aujourd'hui qui devient l'ancien de demain ?

Par ailleurs, la propension à déconsidérer les personnes du troisième âge, à ne voir en elles qu'une catégorie sociale encombrante de parasites improductifs, contredit tous ceux qui ont vu dans la vieillesse une source de valeurs morales et spirituelles. Dans un discours laudatif à l'endroit de la vénérable vieillesse, Amadou Hampaté Bâ souligne en substance qu'en Afrique, un vieillard qui meurt, est une bibliothèque qui brûle. Dans tous les cas, ce peu d'attrait pour la vieillesse pose la problématique de l'acceptation et de l'insertion des vieilles personnes, et celle des conflits intergénérationnels.

Si de façon générale, dans la société traditionnelle, les personnes âgées étaient vues comme les dépositaires du patrimoine culturel, les détentrices de la mémoire collective, les garantes de la cohésion sociale, la courroie de transmission entre les vivants et le monde invisible incarné par les esprits, les divinités et les ancêtres, cette reconnaissance tend à disparaître. Dans un tel environnement, on se demande parfois l'intérêt que l'on a, à vouloir vivre longtemps !

Or, selon les données, il y a une constante croissance du nombre de personnes âgées en Côte d'Ivoire. Ainsi, d'un effectif de 233 745 en 1975 et de 379 234 en 1988, l'effectif des personnes âgées de 60 ans et plus se situe à 962 162 en 2005 et l'on prévoit 1,100 million en 2010((*)6). Un accroissement régulier qui suscite des problèmes socio-économiques et éthiques. En effet, une grande proportion des personnes âgées, soit 82,5% chez les hommes et 42,6%((*)7) chez les femmes, exerce des activités libérales telles que l'agriculture, la pêche, l'élevage et le commerce. Parmi ces personnes âgées, beaucoup sont frappées par des handicaps notamment la cécité et les maladies chroniques. A en croire les prévisions épidémiologiques, autour de 2020, les trois quarts des décès dans les pays en développement seront liés aux maladies cardiovasculaires, au cancer et aux diabètes. Ce qui, implicitement, demande une prise en charge médico-sociale des vieilles personnes dans un environnement où leur prestige social, leur statut de sage, leur pouvoir économique et politique se sont effrités. Par exemple, le recensement((*)8) de 1998 a montré que 85% des hommes âgés et 26% des femmes âgées étaient responsables de ménage dont la taille moyenne était de 6,9 personnes. Et l'on notait qu'à Abidjan, à la même époque, deux chefs de ménage sur cinq étaient locataires de leur logement. Ce qui révèle une absence de politique de logement social.

De plus en Côte d'Ivoire, les réflexions sur la gérontologie, les structures à même de répondre aux problèmes des personnes âgées et les plans d'actions spécifiques aux personnes du troisième âge sont encore à l'état embryonnaire. Il n'y existe pas encore de service de gériatrie. Ce qui inclut que les vieilles personnes ne bénéficient pas d'une prise en charge adéquate pour faire face à leurs besoins et à leurs difficultés. D'ailleurs, l'on enregistre de plus en plus de décès parmi les personnes âgées avant leur dixième année de retraite. Et le Plan National de Développement Sanitaire qui est une politique de santé de l'Etat ivoirien sur l'intervalle de la période 1996-2005 ne prend nullement en compte les besoins sanitaires spécifiques des personnes âgées.

Peut-être sont-ce ces conditions de vie précaires et déshonorantes qui amènent certaines personnes à nier leur âge, à avoir la psychose de la vieillesse et à se représenter la vieillesse comme un état pathologique. Cette négation de la vieillesse s'exprime par l'utilisation des produits cosmétiques pour maintenir la noirceur des cheveux, la sollicitation de la chirurgie esthétique et l'adoption des modes vestimentaires réservées aux jeunes. Certaines personnes âgées ne cachent pas leur aversion pour des titres honorifiques tels: «mamie», à elles attribués par respect. On entend dire des propos de déclin tels que: « je n'ai plus d'avenir, j'ai des souvenirs », pour justifier l'inutilité de l'état de vieillesse et l'abandon du côté agonistique de la vie. Or, l'histoire des sociétés africaines nous enseigne qu'autrefois au clair de lune, les jeunes générations se rassemblaient autour des vieillards pour apprendre à travers les légendes et les contes, les préceptes de vie.

Cependant, au-delà des problèmes posés qui déprécient la vieillesse, la quête de la longévité demeure une préoccupation transhistorique et transculturelle que justifient les livres saints et les institutions internationales.

En effet, d'après les religions monothéistes, Dieu avait créé l'homme afin qu'il vive éternellement. Ce dessein d'éternité, l'homme l'a perdu en désobéissant à son créateur. Toutefois, l'homme peut encore avoir longue vie en «honorant son père et sa mère», nous apprennent les Saintes Ecritures((*)9).

Dans cette même logique, l'homme a aussi inventé les institutions politique, médicale, religieuse, familiale et économique pour allonger au maximum la durée de sa vie et vivre dans l'oubli de la mort. Les célébrations de baptême et le rituel qui accompagne la naissance d'un enfant, les célébrations de fête de nouvel an et des anniversaires sont des occasions propices où les hommes se formulent des voeux de bonheur, de santé et de longévité. Dans certaines traditions, on consulte les oracles afin de déterminer la durée de sa vie si ce n'est de demander aux dieux la faveur d'une longue vie. Le souci pour l'homme de vivre longtemps par l'amélioration de son cadre de vie et surtout par son bien-être social, est une préoccupation partagée de tous. En témoignent les nombreuses conférences, les stratégies et les recommandations internationales dont l'Assemblée Mondiale sur le vieillissement de Madrid((*)10). Et même on dénombre aujourd'hui plus de trois cent théories sur le vieillissement((*)11).

Tout cela a contribué, au regard des données statistiques actuelles, à faire progresser significativement la durée de vie. De façon générale, le nombre des personnes du troisième âge connaît partout dans le monde une évolution. En Occident, 75%((*)12) des décès surviennent après l'âge de soixante quinze ans. On parle même de quatrième âge et de super centenaire. D'après les chiffres de l' Organisation Mondiale de la Santé, la planète compterait en 2020 plus d'un milliard de personnes âgées dont 700 millions((*)13) pour les pays en développement. Plus encore, l'on prévoit 150 000 centenaires en 2050((*)14). Dans le même temps, l'espérance de vie dans les pays dits développés s'élève en moyenne à plus de 75 ans((*)15), tandis que celle de l'Afrique subsaharienne du fait de l'impact du VIH/SIDA, de la forte mortalité chez les enfants et les adultes, a baissé à moins de 50 ans, ruinant ainsi les acquis des deux premières décennies après les années 1960. Si tout cela indique la croissance du nombre des personnes âgées, il pose aussi les problèmes auxquels elles sont confrontées. En effet, l'allongement de la durée de vie soulève des problèmes d'ordre biologique, humanitaire, socio-économique et culturel. Au plan biologique, le vieillissement rend l'organisme vulnérable. Ainsi, les organes de sens, les systèmes nerveux, cardiovasculaire, respiratoire, digestif et urinaire connaissent-ils une dégradation qui conduit à son tour à une baisse d'activité. Au plan socioculturel, il se pose des conflits intergénérationnels. Des vieilles personnes sont parfois victimes de maltraitance, de rejet, d'isolement, et d'indifférence. On estime qu'entre 2% et 10%((*)16) des personnes âgées sont objet de sévices. En Afrique singulièrement, certaines personnes âgées sont reléguées au second plan pour cause de sorcellerie et de pratique occulte.

Au plan économique, les personnes âgées, en plus des frais que nécessite leur état de santé, ont la charge de la famille ou sont `'sous la responsabilité de la famille et de la société''. Or, nous l'avons dit plus haut, le vent de la modernité a bouleversé les valeurs de respect à l'égard de la personne âgée, la cohésion familiale a dépéri, et beaucoup de familles connaissent l'indigence économique.

Si les handicapés, les enfants et les femmes, pour cause de vulnérabilité, bénéficient de statut juridique et d'institutions spécialisées, les personnes âgées n'en ont pas elles qui ont contribué d'une manière ou d'une autre à la construction de la société et pour qui la société en retour devait exprimer sa gratitude.

Comme nous le voyons, il se dégage de la lecture de cet exposé deux idées force.

La première est qu'il y a une croissance exponentielle de l'effectif des personnes âgées. La deuxième est un paradoxe: en même temps qu'il y a un fort désir des humains de vouloir vivre longtemps, la survie des vieilles personnes est menacée, et il y a des comportements et des facteurs qui compromettent cette quête de longévité. C'est ce contexte peu reluisant qui amène à étudier l'ebeb en tant qu'une institution sociale Adjoukrou qui valorise les personnes âgées. En effet, dans la société Adjoukrou, l'ebeb au delà de son objectif de redistribution des rôles politiques est une institution gérontocratique qui magnifie l'entrée des individus dans la classe des aînés sociaux. Cette valorisation de l'âge avancé classe les individus chaque huit ans dans une strate sociale bien précise avec des avantages sociaux liés à ce statut. Partant de cet aperçu sur la vocation sociale de l'ebeb, nous nous interrogeons de savoir comment l'ebeb en tant qu'institution sociale participe-t-il de l'intégration des personnes âgées ? Quelle est la représentation de la vie et de la longévité chez les Adjoukrou ? Quels sont les déterminants socioculturels qui concourent à l'allongement réussi de la vie dans la société Adjoukrou ? Quelles sont en pays Adjoukrou les structures sociales d'intégration ? Quelles sont les fonctions sociales des ebebu ? C'est à ces questions que notre enquête de terrain se propose d'apporter des réponses, non sans avoir consulté les écrits antérieurs en rapport avec le thème de recherche.

* ( 3) RTI: il s'agit de la Radiodiffusion Télévision Ivoirienne. Cette série est réalisée par Guédégba Martin

* (4) C'est un groupe linguistique (Yacouba) qui se trouve dans l'Ouest de la Côte d'Ivoire, à Man.

* (5) Ngnudoli signifie sagesse en Yacouba. Dédy Séri F. , allocution présentée lors de la cérémonie de lancement des activités de la Société Nationale Ivoirienne de Gériatrie et de Gérontologie le 16 mai 2006.

* (6) koffi Nguessan, Anoh Amoakon, communication présentée le 16 mai 2006 à Abidjan, ENSEA, lors de

la cérémonie de lancement des activités de la Société Nationale de Gériatrie et de Gérontologie.

* (7) Koffi Nguessan, Anoh Amoakon, idem.

* (8) Assi, 2001; World population Prospects: The 2004 Revision.

* (9) Confère la Sainte Bible, Ephésiens 6, 1-3.

* (10) La deuxième session de l'Assemblée Mondiale sur le vieillissement a eu lieu à Madrid, en Espagne du 08 au 12 septembre 2002.

* (11) Renaud Ninon, `' pourquoi changeons-nous ?'' in la vie, 17 juin 1999 n°2807, p.58.

* (12) Richard Lefrançois, les nouvelles frontières de l'âge, Presse Universitaire de Montréal, 2004, p 71.

* (13) www.un.org/esa/socdev/ageing.htm- Nations Unies, Vieillissement dans le monde, Plan d'Action International sur le vieillissement.

* (14) Toussaint Toutou, cours de gériatrie, Unité de Formation et de Recherche des sciences médicales, Université d'Abidjan-Cocody, 2002-2003

* (15) OMS, Op.cit

* (16) Deuxième Assemblée Mondiale sur le vieillissement, Madrid du 8 au 12 avril 2002.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway