Les garanties-propriétés( Télécharger le fichier original )par Dieynaba Sakho Université Gaston Berger de Saint-louis - Maîtrise es sciences juridiques 2007 |
Paragraphe 2/ La propriété de la provision de la lettre de changeLa lettre de change est un écrit par lequel une personne appelée tireur donne à une autre (tiré) l'ordre de payer à une époque déterminée une certaine somme à une troisième personne (bénéficiaire) ou à l'ordre de celle-ci. Pour certains auteurs, le système de protection qui entoure le porteur constitue une véritable garantie (A). Cependant il faut noter que c'est une garantie en marge des caractéristiques classiques des autres garanties (B). A- Une véritable garantie au regard de la doctrine L'article 155 alinéa 3 du Règlement n° 15/2002/CM/UEMOA relatif aux systèmes de paiement dans les Etats-membres de l'Union Economique et Monétaire Ouest Africain (UEMOA) dispose "la propriété de la provision est transmise de droit aux porteurs successifs de la lettre de change". La provision est la créance du tireur sur le tiré née du rapport fondamental initial qui sert de support matériel à l'émission de la lettre de change. Cette règle posée par l'article 155 a pour conséquence de conférer au porteur un droit exclusif sur la somme dont le tiré pourra être redevable au tireur à l'échéance de la traite. Du fait que la provision entre dans le patrimoine du porteur par l'effet de la propriété, elle échappe aux créanciers du tireur, aussi bien dans l'hypothèse où ce dernier est placé sous le coup d'une procédure collective117(*) que dans celle où la créance est l'objet d'une saisie-attribution118(*). Le paiement d'une dette échue pendant la période suspecte peut être déclarée inopposable aux créanciers si les conditions de l'article 69 AUPC sont réunies. Seulement l'échéance d'une lettre de change peut être difficile à déterminer. Ainsi la fourniture de la provision a été considérée à un moment comme un paiement anticipé. Il est admis cependant que le porteur est obligé de recevoir paiement dans le souci de ne pas faire jouer la solidarité cambiaire et exposer ainsi les autres codébiteurs. Il y a là une garantie précieuse que certains auteurs ont assimilé à une authentique sûreté119(*). Quelques décisions ont conforté cette opinion en déclarant la fourniture de la provision faite pendant la période suspecte inopposable à la masse de la "faillite" du tireur par application de la règle qui interdit la constitution de sûreté pour dette antérieure120(*) ainsi que les paiements anticipés. Une telle analyse repose sur des arguments sérieux. Le transfert de propriété réalise bien une affectation au profit du porteur de la créance éventuelle du tireur sur le tiré; cette affectation peut être confortée, s'il n'y a pas eu acceptation, par la défense adressée au tiré de ne pas payer le tireur121(*). Grâce à cette affectation, le porteur peut bénéficier d'un paiement par préférence aux autres créanciers du tireur. Cependant cette analyse se heurte à des objections qui font que la propriété de la provision de la lettre de change reste une garantie en marge des caractéristiques classiques des autres garanties. B- Une garantie en marge des caractéristiques classiques des autres garanties La créance de provision dont est investi le porteur n'est pas l'accessoire de sa créance cambiaire. Le transfert de la propriété de la provision ne produit pas seulement les effets d'une sûreté. Il n'y a pas entre la créance cambiaire et la créance de provision un rapport de subordination, caractéristique de l'accessoire, qui mettrait la seconde au service de la première. Les deux créances sont en situation d'interdépendance et ont une certaine autonomie. La meilleure preuve en est que, si la créance cambiaire s'éteint par déchéance ou prescription, le porteur conserve la créance de provision qui est soumise au délai de prescription, généralement plus long, qui lui est propre. Ajoutons que le rôle d'accessoire qui serait dévolu à la créance de provision serait peu conciliable avec la règle du jeu cambiaire qui veut que le porteur doive demander le paiement de la traite au tiré avant de faire jouer l'engagement du tireur ou des autres signataires, règle qui le prive de la liberté qu'a le titulaire d'une sûreté de la réaliser ou de ne pas le faire. En outre, la survie de la créance sur le tiré montre que le transfert de la propriété de la provision procure au porteur des avantages différents de ceux qui découlent d'une sûreté. Dans cette éventualité, la propriété de la provision ne garantit pas le porteur contre l'insolvabilité du tireur, mais elle lui ménage une sorte d'assurance contre sa propre négligence. En effet, au cas où le porteur ne se montrerait pas diligent au point de ne plus pouvoir exercer une action cambiaire, une action de droit commun est toujours possible en vertu de la créance de provision. En réalité, la propriété de la provision de la lettre de change est un élément intégré au rapport cambiaire qui incorpore à l'écrit la titularité d'une créance fondamentale. Cette propriété produit un effet de sûreté très accusé, mais a des effets plus larges et spécifiques qui l'empêchent d'être réductible à une sûreté. La panoplie de techniques permettant d'utiliser le droit de propriété en garantie d'une créance montre le caractère très prisé de cette méthode chez les créanciers. De plus il se justifie par l'efficacité certaine qu'ils y trouvent. * 117 V. Cabrillac M., La lettre de change dans la jurisprudence, éd. Litec, 1978, p. 82. Voir aussi civ. 18 janvier 1937, Dalloz 1937, p. 145 * 118 Com. 29 novembre 1982, Dalloz 1983, I.R. 246, obs. Cabrillac * 119 V. Martin-Serf A., L'interprétation extensive des sûretés en droit commercial, Rev. tr. dr. com. 1980, 678, n° 56 et s. * 120 Bordeaux, 28 juin 1960, Dalloz 1961, p. 182. Aix, 19 décembre 1974, Dalloz 1975, p.352 note Derrida * 121 V. Com. 24 avril 1972, Dalloz 1972, p. 686, note Roblot |
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