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L'Etat de droit: entre la domination et la rationalité communicationelle

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par Raphaël BAZEBIZONZA
Faculté de Philosophie Saint Pierre Canisius de Kimwenza - Maîtrise 2007
  

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III.6.3. L'espace informel de la délibération démocratique

C'est dans cet espace public seulement que se résout, en faveur du second terme, la tension jusque-là contenue entre la rigueur et la vie, entre la puissance stabilisante et opérationnelle propre à l'institution et la spontanéité énergique issue du monde vécu lui-même, enracinée dans l'auto-compréhension de l'expérience vive. Face à l'idée normative d'une auto-législation comprise comme auto-institution continuée de la société, les pratiques électives et le phénomène de la représentation offrent une image brouillée. Elles résultent de l'institutionnalisation d'éléments républicanistes au sein du libéralisme triomphant, mais sous leurs versions les plus restrictives. La critique socialiste de la « démocratie formelle » des régimes occidentaux a eu le mérite de porter l'attention sur cette partialité139(*).

Dans ce sens, la démocratie radicale ne peut advenir que s'il existe un lien dans nos sociétés où, à côté de l'élection et par-delà les pratiques propres au tribunal et aux relations entre l'administration et les citoyens, des processus de formation collective de la volonté ont des chances réelles de se produire et d'infléchir le cours des choses ; qu'elle ne peut advenir si l'existence d'un tel « lieu » constitue une nécessité fonctionnelle pour la croissance d'une société moderne. C'est à cela, à cette double identification d'ailleurs, que correspond l'espace public habermassien. D'un côté, l'aréopage de débats publics où la société se pense elle-même et élabore une politique substantielle. De l'autre, un miroir dans lequel se reflètent les différents problèmes que pose aux sociétés modernes l'autonomisation des sous-systèmes sociaux. Ces problèmes naissent en raison des heurts qui sont susceptibles de se produire entre la logique spécifique de chacun de ces sous-systèmes, mais ils proviennent aussi de leurs oppositions au monde vécu, dans la mesure où celui-ci seul permet le développement des auto-compréhensions spontanées issues de l'existence ordinaire ainsi que des pratiques qui font que des sujets peuvent s'épanouir au sein de formes de vie dans lesquelles ils peuvent se reconnaître, dans tous les sens du terme.

S'il n'existait pas un espace public où les problèmes engendrés ou laissés en jachère par les sous-systèmes puissent être thématisés et imposés aux institutions susceptibles de les traiter, croit Habermas, une société moderne ne pourrait pas se reproduire à long terme et serait toujours exposée à la domination. La critique et l'engagement dans l'espace public (les piliers de la démocratie) ne représentent pas seulement le point de vue de l'émancipation, ils sont nécessaires et porteurs de vie pour la survie de nos sociétés. En fait, ce qui rythme l'existence d'un espace public collectif de délibération, ce sont les moments où des interventions hors-série, portées par des acteurs imprévus, attirent l'attention sur des thématiques nouvelles qui agrègent autour d'elles des mobilisations.

« Si l'on pense à la spirale du réarmement nucléaire, aux risques inhérents à l'utilisation civile de l'énergie nucléaire, à d'autres installations techniques de grande envergure, ou des recherches scientifiques comme la recherche génétique, aux menaces écologiques [...], à l'appauvrissement dramatique du tiers-monde et aux problèmes de l'ordre économique mondial [...], tous les grands thèmes des dernières décennies en fournissent la preuve. Presque aucun de ces thèmes n'a été introduit par des représentants de l'appareil de l'Etat, des grandes organisations ou des systèmes fonctionnels de la société. Ils ont plutôt été lancés par les intellectuels, les personnes concernées, les experts engagés (radical professionals), les « avocats » auto-proclamés, etc. »140(*)

Ces thèmes ont ensuite été claironnés par les associations, les partis politiques, les syndicats et toutes les composantes de la société civile. Nous comprenons donc qu'une société multidimensionnelle a toujours besoin de cette vigilance auto-critique qui s'alimente à l'expérience vive, et qui traduit en force sociale cette réflexivité inhérente au vécu et à son expression collective.

En politique, cet état de fait implique que le processus démocratique se rattache directement à l'existence d'une dialectique entre l'institutionnel et l'informel qui, contrairement à la logique du tribunal, se résout en un sens favorable au second. On ne peut donc parler de démocratie que là où le moment inorganique représenté par les pouvoirs politiques autonomisés et l'administration bureaucratisée est soumis à la volonté collective qui jaillit de l'espace public de délibération. Ici, l'intervention a une signification implicitement critique, dans la mesure où elle conteste l'orgueil des appareils politiques à faire la politique en se fermant sur eux-mêmes.

« L'émancipation illégitime du pouvoir administratif et du pouvoir social par rapport au pouvoir fondé sur la communication et généré par des voies démocratiques est contrariée dans la mesure où la périphérie (a) est capable et (b) a assez souvent l'occasion de déceler d'identifier, de formuler efficacement et d'introduire au sein du système politique, dont il s`agit de perturber le mode de fonctionnement routinier en passant par les écluses du système parlementaire (ou des tribunaux), les problèmes latents d'intégration sociale qui ne peuvent être traités que par des moyens politiques »141(*).

Dans la réalité, l'espace public est composé d'une multitude d'arènes, qui peuvent être différenciées selon plusieurs critères :

- selon les types de relations entre individus qui les caractérisent, leur extension spatiale ;

- selon le degré de spécialisation de leur thème ;

- selon leur fixité dans le temps ;

- selon le mode de mobilisation qu'elles sont capables de susciter, etc.

L'existence d'une aussi grande diversité explique mieux que la délibération collective ne peut nous apparaître qu'incarnée dans une pluralité d'espaces discontinus. Mais,

« en dépit de ces multiples différenciations, tous ces espaces publics partiels, pour autant qu'ils se fondent sur l'emploi du langage ordinaire, restent cependant poreux les uns pour les autres. Les frontières internes de la société fragmentent le texte unique de l'espace public en général qui rayonne dans tous les sens et s'écrit de façon continue, aussi réduits que soient ses textes pour lesquels tout le reste est contexte ; mais il est toujours possible de jeter des ponts herméneutiques d'un texte à l'autre. Les espaces publics partiels se constituent au moyen de mécanismes d'exclusion ; mais dans la mesure où les espaces publics ne peuvent prendre la forme solide d'organisations ou de systèmes, il n'existe aucune règle d'exclusion qui ne soit assortie d'une clause suspensive »142(*).

En vérité, dans une société où les libertés individuelles sont étouffées, où les droits humains les plus fondamentaux sont bafoués, l'onde de choc de l'espace public devient comme une boussole qui indique les plages du débat rationnel où peut surgir une vraie liberté.

Chez Habermas, la démocratie n'est pas un simple mode de gestion d'intérêts en conflit, un système de gouvernement représentatif majoritaire, mais c'est un idéal de vie éthique qui vise à la réalisation du potentiel de chacun dans des conditions de dignité et de sécurité, grâce à un système de droits inscrits dans la Constitution. Ce qui est consolant chez Habermas, c'est de voir comment il lie la protection des droits et la participation politique à la survie de la démocratie. Dans la démocratie constitutionnelle, Habermas entrevoit la seule forme valide de démocratie contemporaine. C'est ainsi que nous pouvons nous débarrasser des dictatures inutiles, de la domination qui embête - rend bête - pour nous ouvrir au flot de la démocratie qui libère.

Ce troisième et dernier chapitre a porté sur la légitimité, sur ce qui fonde ou doit fonder l'Etat de droit démocratique. L'analyse de Habermas se place avant tout dans un contexte particulier : celui des démocraties occidentales qui sont parvenues au stade du capitalisme avancé ; il y constate dans un premier temps que l'exercice du pouvoir y est subordonné à une contrainte de légitimité qui est la condition de sa pérennité ; puis il identifie le coeur des processus de légitimation dans l'effet d'imposition des normes et des valeurs que laissent refléter le système institutionnel et les lois fondamentales d'un ordre politique ; enfin, dans une perspective critique, il entreprend de fonder un modèle de constitution et d'établissement de ces normes susceptible de constituer un critère de vérité à l'aune duquel il pourrait évaluer les prétentions à la légitimité de nos sociétés politiques.

Habermas propose donc un modèle de « reconstruction contrefactuelle » qui envisage à partir de l'analyse critique du réel ce que le système de normes aurait pu être s'il avait été établi idéalement. Il revendique ainsi la nécessité de rationaliser l'exercice de la démocratie : il s'agit de supposer de façon logique qu'il est possible de dégager, à partir de la discussion, des "intérêts universalisables" c'est-à-dire "des besoins qui sont partagés de façon communicationnelle" et qui sont donc communs à tous.

* 139 Cf. P. Rosanvallon, La démocratie inachevée.

* 140 J. HABERMAS, Droit et démocratie, p. 409.

* 141 Ibid., p. 385. Légèrement modifié.

* 142 Ibid., p. 400.

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