L'Etat de droit: entre la domination et la rationalité communicationelle( Télécharger le fichier original )par Raphaël BAZEBIZONZA Faculté de Philosophie Saint Pierre Canisius de Kimwenza - Maîtrise 2007 |
III.3. Le principe de légitimité démocratiqueDans un monde « postmétaphysique », comme le dit Habermas, est-il encore possible de donner un fondement au principe de légitimité démocratique ? Peut-être faudrait-il regarder du côté de Max Weber avec son langage et son argumentation qui prennent en compte le « désenchantement du monde », c'est-à-dire l'absence de tout critère indépendant et antérieur de la justice » (Rawls) ou « la disparition des repères de la certitude »100(*). Comment repenser les fondements des institutions et des pratiques démocratiques quand la domination répand l'odeur des inégalités et des injustices sociales çà et là ? Où saisir le reflet d'un espace démocratique moins barbare quand la raison théorique et pratique est en crise ? Dans un monde qui ne sait plus apprécier la sublimité et le primat du juste sur le bon, de la loi sur les préférences, il devient de plus en plus difficile de faire éclater le fondamental du principe de légitimité démocratique. On ne peut se contenter du simple « consentement » des citoyens quand il s'agit de définir la légitimité démocratique. L'expérience nazie nous a révélé jusqu'à quel point le consentement pouvait être aliéné ou trompé. Il faut donc aller dans un autre sens. C'est de la normativité du droit et de la justice (Rawls) que peut jaillir cette légitimation de la démocratie. Celle-ci naît pas seulement que de l'autonomie morale des citoyens eux-mêmes mais aussi de la coopération et de la discussion entre eux dans des conditions de liberté et d'égalité, de telle sorte « qu'ils fassent un usage de leurs droits de communication qui soit orienté vers le bien public »101(*). Mais Habermas n'envisage pas l'autonomie morale comme une valeur extérieure au processus politique démocratique. Bien au contraire, il veut la comprendre comme un ensemble institutionnalisé de pratiques et de processus qui garantissent que les citoyens sont bien responsables des principes et des normes auxquels ils doivent se soumettre. Dans ce sens, la justification publique suppose l'addition d'une touche intersubjective par rapport au consentement simple : l'existence d'une véritable discussion publique où chacun peut librement présenter ses « raisons » à tous les autres citoyens, et donc un accès égal de tous aux processus de délibération et de décision, qui en viennent à jouer le rôle d'un critère transcendant de justice. Dans Droit et démocratie de 1992, Habermas veut appliquer la théorie de la discussion non plus seulement à la morale, mais au renouvellement de la conception du droit positif dans le contexte démocratique contemporain. La tâche est lourde. Habermas justifie cette ambition par les dangers que font courir à l'Etat de droit démocratique et à son principe de légitimité, en affaiblissant ses prétentions normatives, aussi bien la démystification sociologique d'un Luhmann, qui réduit la normativité à des « attentes cognitives qu'en cas de déception, on n'est pas prêt à réviser102(*) », que le positivisme juridique d'un Kelsen ou d'un Hart et de leurs disciples. Cette ambition vient en fait de l'inquiétude de Habermas devant la fragilité des démocraties. Pour un Etat, posséder des institutions fiables, imprégnées de droit ne suffit pas. Une culture politique démocratique et une société civile vivantes, émancipées par rapport au pouvoir politique sont nécessaires. Le droit positif, dans ce sens, permet ou non l'institutionnalisation et la stabilisation à long terme de ces sources de légitimité sans lesquelles l'Etat de droit cesse de se démocratiser. Mais comment solidifier le contenu normatif du droit sans glisser dans les illusions des doctrines du droit naturel classique ? III.3.1. Le principe de légitimité démocratique et le droit positifQuel est le problème que pose Habermas ? Dans Droit et démocratie, Habermas veut reconquérir le contenu normatif du droit positif à partir de la théorie de la discussion, en évitant à la fois « les écueils du positivisme juridique et ceux du droit naturel »103(*). Il faut, « même si une telle idée suscite le scepticisme à la fois du sociologue et du juriste »104(*), rétablir la relation entre le droit et la morale sans faire de cette dernière « une digue protectrice »105(*). Le problème soulevé par Habermas c'est l'institutionnalisation du droit et de son application, qui en permet la critique et la réappropriation par les citoyens. Le droit positif est à la fois factuel, légal et institutionnalisé, et normatif, pourvu d'une légitimité qui fait que l'on se soumet non par contrainte, mais par obligation, comme disait Rousseau. Dans ce sens, le contenu normatif du droit est fortement lié, en même temps, à l'idée d'autonomie au sens kantien et à celle de souveraineté populaire. Les sujets de droit s'y soumettent en sachant qu'ils sont les sources de ce droit, de ces lois. En fait, Habermas repart du contractualisme abstrait d'un Rousseau, d'un Kant ou d'un Rawls quand il stipule : « On peut alors reformuler la question de départ du droit rationnel et demander : quels droits les citoyens doivent-ils se concéder les uns les autres lorsqu'ils décident de se constituer en association volontaire de sociétaires juridiques et de régler leurs vies communes de façon légitime grâce aux moyens du droit positif106(*) » ? Mais la théorie de la discussion va opérer un grand changement. Cette « décision » n'est plus le résultat d'un acte isolé et contractuel par lequel - selon Rousseau - « chacun s'unit à tous, mais reste aussi libre qu'auparavant », mais plus fondamentalement une démarche constante et collective. « Les citoyens ne sont politiquement autonomes que dans la mesure où ils peuvent se comprendre collectivement comme les auteurs des lois auxquelles ils sont soumis en tant que destinataires. »107(*) Dans une démocratie, le contenu positif du droit est alors constitué par l'institutionnalisation de ce consentement grâce au législateur et à l'administration de l'Etat de droit ainsi qu'à l'institution judiciaire, responsable de l'application de la loi. Pour notre auteur, il est important que le processus de justification, de participation à la délibération et à la décision par les citoyens, soit protégé institutionnellement et qu'il soit reconnu que tous doivent avoir « le même droit de participer »108(*). Cela devient une réalité quand on comprend le droit à la discussion et à la communication comme un droit de l'homme positif et non comme un droit politique secondaire. C'est là le sens et tout le poids de la démonstration de Habermas concernant la souveraineté populaire et les droits de l'homme. Finalement, ce que Habermas veut, c'est traiter le droit positif de tous les citoyens à la participation au processus politique de formation de la volonté générale comme un droit de l'homme, ayant un caractère impératif. * 100 C. LEFORT, Essais sur le politique, XIXè-XXè siècles, p. 30. * 101 J. HABERMAS, Droit et démocratie, p. 492. * 102 Ibid., p. 64. * 103 Ibid., p. 483. * 104 Ibid., p. 493. * 105 Ibid., p. 484. * 106 Ibid. * 107 J. HABERMAS, « La réconciliation grâce à l'usage public de la raison », p. 46. * 108 Id., Droit et démocratie, « Postface » de 1993, p. 489. |
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