Section 1 : Les instruments traditionnels internes
Les techniques internes de couverture contre le risque de
change sont les méthodes que l'entreprise met en place sans qu'elle
fasse appel à aucun organisme externe. Autrement dit, l'entreprise
s'autocouvre par la réorganisation des services concernés et
l'analyse des éléments constitutifs des transactions : les
devises, les délais de paiement... etc.
Parmi les instruments internes de couverture, on distingue :
1. La réduction du volume des dettes et des
créances en monnaies étrangères
Cette technique consiste à diminuer, dans la mesure du
possible, les créances et dettes en devises étrangères. Le
trésorier peut exiger aux clients et fournisseurs la facturation en
monnaie nationale.
La réduction du volume des dettes et des
créances est utilisée pour des raisons de non maîtrise du
risque de change ou d'une aversion aiguë envers ce dernier. Ce type
d'opération relève du principe suivant : si l'on ne peut
contrôler les effets du risque encouru, il faut éliminer les
causes.
Certes, cette méthode permet une réduction du
risque de change, cependant, elle n'est pas toujours possible du fait qu'elle
entraîne des effets néfastes. En effet, l'opérateur qui
facture en monnaie nationale condamne son partenaire étranger à
subir seul le risque de change. L'entreprise étant implantée dans
un environnement concurrentiel risque de voir ses transactions avec
l'extérieur diminuer voire même disparaître.
2. Le choix de la devise de
facturation
Afin de palier aux inconvénients du choix de la monnaie
nationale comme monnaie de facturation, il y a la possibilité de la
facturation en une monnaie étrangère.
Cette technique peut être plus bénéfique
dans la mesure où elle permet d'éviter, par rapport à la
facturation en monnaie nationale, de renvoyer la charge de la couverture sur le
partenaire étranger qui peut répugner à y recourir.
Toutefois, les parties arrivent rarement à s'entendre sur
une monnaie du fait que les intérêts de l'importateur et de
l'exportateur sont diamétralement opposés.
L'importateur est intéressé par une facturation
en une devise faible susceptible de se déprécier par rapport
à sa monnaie nationale et par conséquent faire diminuer le
montant à payer ; par contre l'exportateur préfère
facturer dans une monnaie forte qui peut s'apprécier et le faire
profiter ainsi d'un gain de change.
L'indexation de la devise de facturation à un panier de
devises (le droit des tirages spéciaux D.T.S) peut être un outil
de partage du risque entre l'importateur et l'exportateur.
Il existe aussi une autre forme de facturation, qui consiste
en la facturation en plusieurs monnaies. Cette technique vise à partager
le risque sur les parties et compenser les pertes éventuelles sur une
monnaie par des gains sur une autre.1
3. La compensation des positions de change
opposées
« Cette technique consiste à utiliser les
mêmes devises à l'export et à l'import afin de
réduire naturellement l'exposition au risque de change dans une devise.
Ainsi une entreprise contrainte d'acheter ses matières premières
en Dollar proposera une facturation en Dollar à ses clients à
l'export. Elle diminue de cette façon le recours au marché des
changes et réalise des économies en terme de spread et de
commission de change. La compensation se définit à partir du
tableau de suivi de la position de change. Elle requiert la définition
d'un cours de couverture interne auquel seront valorisées les
opérations en sens opposés. Elle nécessite la mise en
place d'un compte en devises sur lequel les encaissements viendront couvrir les
décaissements.
1 F. Mehdi, Les opérations de couverture et de
placement sur le marché des changes, Diplôme supérieur des
études bancaires, Ecole Supérieure de Banques d'Alger, 2001, P
28.
Lorsqu'elle est réalisée entre les entités
juridiques d'un même groupe, la compensation des positions
opposées repose sur de véritables contrats à terme entre
ces dernières. »1
4. L'auto couverture
L'auto couverture consiste en la détention
simultanée d'une créance et d'une dette libellées dans la
même devise et de termes voisins. L'entreprise peut donc payer ses dettes
en devises avec les devises reçues après le règlement de
ses créances. Cela évite le risque de change dû aux
variations des cours à très court terme.
La possibilité d'application de cette technique reste
limitée dans la mesure où il n'est pas toujours possible d'avoir
des dettes et des créances libellées dans une même monnaie
et encore moins de même terme.
5. L'action sur les délais Cette
technique consiste à agir sur les délais de règlement en
devises étrangères. Deux
types sont à distinguer, à savoir le termaillage et
l'escompte financier :
5.1. Le termaillage
« Le termaillage consiste pour une entreprise à
accélérer ou à retarder ses paiements en devises
étrangères selon les prévisions et les évolutions
de hausse ou de baisse des cours de change, en fonction, bien
évidemment, de l'incidence éventuelle des agios. »2
Le paiement anticipé est appelé lead, tandis que le
paiement différé est nommé lag.
Un exportateur qui a des créances en devises
susceptibles de se déprécier par rapport à sa monnaie
nationale (ou de compte) aurait intérêt à
accélérer leurs encaissements. Par contre dans le cas d'un
exportateur qui a des créances en devises fortes susceptibles de
s'apprécier à terme, le termaillage consiste à
éloigner les échéances de paiement afin de
bénéficier de la hausse de la devise.
Pour l'importateur, le termaillage consiste à retarder
les paiements de ses fournisseurs quand les dettes sont exprimées en
devises faibles. Par contre, il consiste à accélérer le
paiement de
1 M. Sion, Gérer la trésorerie et la
relation bancaire, op. cit., P 238.
2 P. Prissert & P. Garsuault & S. Priami, Les
opérations bancaires avec l'étranger, La revue banque
éditeur, Paris,1995, P 117.
ses fournisseurs et réduire la durée du
crédit dont il a bénéficié dans le cas où la
devise est forte pouvant s'apprécier et alourdir le montant de la
dette.
Le tableau ci-dessous mentionne les principales décisions
à prendre, compte tenu de la tendance de la devise :
|
Importations
|
Exportations
|
La devise s'apprécie
|
Accélérer le paiement
|
Retarder le paiement
|
La devise se déprécie
|
Retarder le paiement
|
Accélérer le paiement
|
Le termaillage suppose implicitement un accord de la
contrepartie sur une modification de la position de change à son
désavantage avec ou sans compensation. Il suppose aussi que la dette ou
la créance n'était pas préalablement couverte.
Le termaillage constitue une véritable opération
de spéculation, le trésorier agissant uniquement en fonction de
ses anticipations. C'est une technique peu utilisée, ne serait-ce que
parce que l'évolution des cours de change est peu prévisible,
aussi le niveau de la trésorerie et les contraintes commerciales
constituent des limites pour l'application du termaillage.
5.2. L'escompte financier
L'escompte financier est un instrument qui concerne
l'exportateur qui cherche à raccourcir le délai de sa
créance, il peut donc accorder un escompte pour paiement anticipé
afin de bénéficier d'un paiement au comptant. Le montant de cet
escompte constitue le coût de couverture de l'exportateur.
Le coût de l'escompte n'est en fait qu'un calcul actuariel.
Il est égal à :
Coût de l'escompte
|
=
|
Prix
|
Prix - 1 Taux Nbre jours Base annuelle
)
+ ×
(
|
Il ne faut pas oublier de prendre en compte (soustraire)
les intérêts éventuels que l'exportateur perçoit
en plaçant sa liquidité sur le marché ou les
intérêts qu'il paye en empruntant sur le marché.
En utilisant cette technique, l'exportateur ne limite pas
uniquement le risque de change mais aussi le risque de crédit et le
manque de trésorerie.
6. La compensation interne des positions
La compensation interne des positions (netting) consiste en
une compensation des créances et des dettes réciproques entre les
différentes entités d'un groupe. L'objectif du netting
étant de rationaliser les flux de règlement à
l'intérieur d'un groupe par une réduction des volumes
transférés d'une société à
l'autre1.
La compensation peut être faite entre deux ou plusieurs
filiales et pour une seule ou plusieurs monnaies. Un centre de compensation
peut aussi être créé à l'échelon du groupe,
afin d'organiser le cycle de compensation, centraliser l'information et
calculer la compensation. Ce centre peut être un département
spécialisé de la maison mère ou bien une
société juridiquement autonome.
6.1. La compensation bilatérale
La compensation bilatérale s'applique à deux
sociétés qui étant simultanément débitrice
et créditrice l'une envers l'autre, y compris dans des monnaies
différentes, peuvent convenir d'un transfert limité au solde net
de leurs engagements2.
Exemple :
Soit une multinationale française ayant deux filiales :
une en Suisse et une autre au Japon.
La filiale suisse possède une créance de EUR
1.000.000 sur la filiale japonaise, qui à son tour possède une
créance de EUR 400.000 sur la filiale suisse.
La compensation bilatérale (schéma 5) consiste
à faire apparaître une seule position (position nette), qui est
donc une créance de EUR 600.000 détenue par la filiale suisse sur
la filiale
1 M. Debauvais & Y. Sinnah, La gestion globale du
risque de change, nouveaux enjeux et nouveaux risques, op. cit., P 140.
2 Op. cit., P 140.
japonaise. Ainsi la couverture contre le risque de change se
limitera pour EUR 600.000 au lieu de EUR 1.400.000.
Schéma 5 : Compensation bilatérale
Avant compensation
Après compensation
Filiale suisse
Filiale suisse
EUR 1.000.000
EUR 400.000
EUR 600.000
Filiale japonaise
Filiale japonaise
6.2. La compensation multilatérale
Le principe de la compensation multilatérale (clearing)
est identique à celui de la compensation bilatérale, sauf que le
clearing se passe entre plusieurs filiales avec plusieurs transactions
(schéma 6).
La mise en place d'un centre de compensation permet de
dégager un solde net de chacune des sociétés, qui prend en
compte les règlements à effectuer ou les paiements à
recevoir vis-à-vis de l'ensemble des sociétés du
groupe.
Exemple
Soit une multinationale française qui a quatre filiales,
une au Canada, une au Japon, une autre en Suisse et une autre en Russie.
Le schéma 6 synthétise les créances et les
dettes des unes et des autres.
Schéma 6 : Compensation
multilatérale Avant compensation
Filiale
Filiale
i
400000
150000
50000
310000
Filiale
Filiale
canadienne
La compensation multilatérale (schéma 7) consiste
à faire apparaître une seule position (position nette) entre les
filiales deux à deux, cela a permis de réduire le montant total,
sujet à la couverture, de EUR 2.695.000 jusqu'à EUR 525.000.
Schéma 7 : Compensation
multilatérale Après compensation
100000
Filiale
Filiale
90000
Filiale
canadienne
Filiale
i
La compensation multilatérale avec centre de compensation
(schéma 8) consiste à faire apparaître une seule position
par filiales, cela a permis de limiter la couverture au montant de EUR
270.000.
Schéma 8 : Compensation
multilatérale
Après compensation avec un centre de
compensation
Filiale
j n i
Filiale
i
Filiale
r
Filiale
canadienne
Centre de
compensation
Le netting permet de réduire le nombre et le volume des
transactions, et donc de réduire le nombre et le volume des
opérations de change et des opérations de couverture contre le
risque
de change.
Toutefois, cette technique présente certaines limites
quant aux réglementations de certain pays qui ne permettent pas son
utilisation, aussi le netting reste-il un instrument de gestion intragroupe.
6.3. Les centres de refacturation
Dans le système des centres de refacturation, les
différentes sociétés du groupe ne sont plus en contact
avec leurs clients, elles établissent leurs factures à l'ordre du
centre de refacturation qui leur règle les factures dans leurs monnaies.
Le centre de refacturation se fait payer par les clients.
Ce système prend en compte tous les paiements (intra ou
extra groupe), et le risque de change est reporté sur le centre de
refacturation qui doit établir régulièrement un cours de
change interne au groupe.
6.4. La mise en commun
La mise en commun (pooling) est la centralisation la plus large
des opérations en devises des différentes entités du
groupe. Tous les flux de trésorerie en devises, qu'ils soient
entre sociétés du groupe ou entre sociétés du
groupe et sociétés externes au groupe, sont centralisés
dans un cash center. Les excédents en devises de certaines
filiales sont utilisés pour financer les besoins en devises d'autres
filiales.
La gestion de trésorerie du groupe est totalement
centralisée. L'avantage est que le besoin minimal dans chaque devise est
réduit à son niveau le plus faible dans ce système
centralisé que dans tout autre système.
7. Les clauses contractuelles
La technique des clauses contractuelles consiste à
inclure dans le contrat d'achat ou de vente des clauses permettant un
ajustement du prix, suite à une évolution du cours de la devise
de facturation, afin d'éliminer ou de réduire l'exposition au
risque de change.
On distingue quatre grands types de clauses contractuelles :
7.1. Les clauses d'indexation proportionnelles
La clause d'indexation proportionnelle (à taux fixe)
consiste en une répercussion totale de la variation du cours de la
devise sur la contre-valeur de la somme à payer. Si le cours de la
monnaie de facturation augmente, le prix baisse, et si le cours baisse, le prix
augmente.
Certes, cette technique permet une élimination du
risque de change pour une partie, cependant, elle n'est pas toujours possible
du fait qu'elle condamne l'autre partie à subir seule le risque de
change.
7.2. Les clauses d'indexation proportionnelles avec
franchise
L'indexation proportionnelle avec franchise consiste en une
répercussion de la variation du cours de la devise de facturation sur le
prix mais uniquement au-delà d'un seuil déterminé
conjointement par l'importateur et l'exportateur.
7.3. La clause de risque partagé
La clause de risque partagé est une clause qui permet de
répartir le risque entre l'acheteur et le vendeur en cas d'une
évolution défavorable des cours pour l'un ou pour l'autre.
Généralement la répartition se fait par
moitié, mais tout autre pourcentage de répartition peut
être négocié.
7.4. La clause multidevises
La clause multidevises (clause de change multiple) permet
d'exprimer le montant du contrat en plusieurs devises avec la
possibilité pour l'une des parties de choisir la monnaie de
règlement à l'échéance.
Cette technique permet en fait de spéculer.
Après avoir exposé les instruments internes, il
en ressort qu'ils permettent de couvrir le risque. Cependant, elles demeurent
techniquement difficiles à mettre en oeuvre ; ce qui pousse l'entreprise
à faire appel à des instruments externes, objet de la prochaine
section.
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