La problématique du contrôle de l'Etat sur les collectivités territoriales décentralisées au regard de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996( Télécharger le fichier original )par John Richard KEUDJEU DE KEUDJEU Université de Douala Cameroun - DEA 2008 |
Paragraphe 2 : L'expression de la libre administration des collectivitésterritoriales décentralisées dans le cadre du contrôle de l'Etat
L'expression de la libre administration des collectivités locales dans le cadre du contrôle de l'Etat est avérée par le respect des conditions d'accomplissement de la décentralisation (A) d'une part et d'autre part par l'extension du contrôle a posteriori et l'accroissement et la célérité de l'intervention du juge (B). A) L'effectivité des conditions d'accomplissement de la décentralisation L'utilisation de l'expression `'conditions d'accomplissement de la décentralisation'' au lieu de celle de `'conditions de la décentralisation'', vient de ce que contrairement à la déconcentration, la décentralisation peut fort bien, tout en étant instituée par les textes, n'avoir guère d'effectivité94(*). Rappelons que ces conditions se résument en l'existence d'affaires locales, des autorités indépendantes du pouvoir central et une gestion autonome. Ce qui se ramène à deux principes majeurs : Le principe de spécialité et celui d'autonomie. Ces conditions ont été consacrées constitutionnellement95(*) et réglementées par les différents textes législatifs en vigueur96(*), même si le décret réglementant les pouvoirs de tutelle reste attendu. Ce qui nous amène à relativiser ces conditions, car étant encore de manière transitoire sous l'empire de la loi communale de 1974 et son décret de 1977 sur les pouvoirs de tutelle. Ce d'autant plus qu'avec l'emprise qu'a encore le pouvoir exécutif sur les actes et les organes locaux, cette libre administration est encore susceptible de degré. Ceci, malgré l'extension du contrôle a posteriori. B) L'extension du contrôle a posteriori L'utilisation de l'expression « extension » ici, nous permet de cerner l'évolution qu'a connue la tutelle sur les actes pour ne s'assimiler aujourd'hui qu'à un simple contrôle de légalité. Elle peut être appréciée au travers de l'étendue qu'avait la tutelle sur les actes sous l'empire de la loi communale de 1974 et son décret de 1977. Ces textes faisaient de l'approbation la règle cardinale pour l'entrée en vigueur de tout acte local97(*). C'est dans ce sens que l'article 10 du décret n°71/91portant sur les pouvoirs de tutelle sur les communes disposait que « dans les quinze jours qui suivent la session du conseil, le délégué du gouvernement, le maire ou l'administrateur municipal adresse au préfet sous pli recommandé avec accusé de réception, les délibérations prises par le conseil, aux fins d'approbation ». Cette disposition sans aucune précision quant à la nature de la délibération, était interprétée lato sensu et faisait des collectivités territoriales de véritables majeurs incapables. Aujourd'hui par contre, avec la loi d'orientation de la décentralisation, l'on assiste effectivement à la consécration de l'extension du contrôle a posteriori au détriment de celui à priori. Ceci se justifie par l'entrée en vigueur immédiate des actes liés au fonctionnement quotidien des collectivités territoriales sous réserve de leur remise en cause ultérieure par le représentant de l'Etat98(*). L'effectivité de l'extension du contrôle a posteriori est d'autant plus avérée que le champ d'application du pouvoir d'approbation est réduit aux seuls actes les plus importants de la collectivité. Il s'agit au sens de l'article 70 de la loi d'orientation de la décentralisation des actes pris dans les domaines suivants : - Les budgets initiaux, annexes, les comptes hors budget et les autorisations spéciales de dépense ; - Les emprunts et garanties d'emprunts ; - les affaires domaniales ; - les garanties et prises de participation ; - les conventions relatives à l'exécution ou au contrôle des marchés publics, sous réserve des seuils de compétence prévues par la réglementation en vigueur ; - les délégations de service public au delà du mandat en cours du conseil municipal ; - le recrutement de certains personnels, suivant les modalités fixées par voie réglementaire. Il en est de même des plans régionaux d'aménagement soumis préalablement à leur adoption au visa du représentant de l'Etat. Toutefois, même pour ces actes soumis obligatoirement à approbation tel que le budget, l'institution d'une chambre des comptes auprès de la cour suprême99(*) tend à amenuiser davantage les pouvoirs du représentant de l'Etat. L'institution du déféré traduit le fait que le représentant de l'Etat dans la collectivité ne jouit plus du pouvoir d'annulation comme sous l'égide de loi communale de 1974. En effet, il se contente de transférer l'acte querellé au juge qui est seul habilité désormais à pouvoir l'annuler, exception faite des actes manifestement illégaux100(*). C'est cette institution du déféré qui accentue encore l'extension du contrôle a posteriori. Ce rôle reconnu au juge met ainsi en exergue l'accroissement et la célérité de son intervention.
C) L'accroissement et la célérité de l'intervention du juge administratif
L'accroissement de l'interventionnisme du juge tient compte de l'opportunité offerte au représentant de déférer l'acte devant le juge administratif101(*), il est de même maintenu à l'égard de toute personne physique ou morale justifiant d'un intérêt pour agir, la possibilité de contester devant le juge administratif compétent102(*), un acte visé aux articles 68, 69 et 70 de loi d'orientation de la décentralisation103(*). La perspective sus évoquée met en exergue le traditionnel recours pour excès de pouvoir. Mais compte tenu de la procédure administrative souvent compliquée, il serait intéressant pour le législateur camerounais de donner à l'administré le pouvoir de saisir le représentant de l'Etat dans la collectivité lorsqu'il estime qu'un acte ne le satisfait pas ou est susceptible de porter atteinte à une liberté publique comme le fait son homologue français. Cette possibilité permet de faire la distinction entre le déféré spontané et le déféré provoqué.104(*). Lorsqu'il est exercé directement par le préfet, le déféré est dit spontané. Lorsque par contre il est saisi d'une demande, mise en oeuvre par les administrés, le déféré est dit provoqué S'agissant de la célérité dans l'intervention du juge, elle est effective, contrairement aux pouvoirs de l'autorité de tutelle sous l'empire du décret de 1977 qui jouissait d'un large pouvoir discrétionnaire105(*). Avec la loi d'orientation de la décentralisation, l'on assiste véritablement à une réglementation des délais quant à l'intervention du juge. Ces délais reflètent l'accent mis sur la célérité. C'est dans ce sens que la juridiction administrative saisie par le représentant de l'Etat dans un délai de 2 mois - contre tout acte local - est tenue de rendre sa décision dans un délai maximal d'un mois106(*). De même, l'on relève la précision qu'apporte l'alinéa 2 de l'article 72 de la loi d'orientation de la décentralisation qui, fixe à quarante cinq heures (45h) le délai maximum pour donner sa décision si l'acte attaqué est de nature à compromettre l'exercice d'une liberté publique ou individuelle. CONCLUSION DU CHAPITRE
De la commune consécration de la libre administration des collectivités territoriales décentralisées et de la tutelle de l'Etat sur ces collectivités, se dégage la nécessité d'apprécier la nature de ce rapport. Démontrer la nécessité de ce contrôle dans la gestion locale se justifie par le but du contrôle, lequel est de garantir la libre administration des collectivités locales. C'est fort de cela que vérifier la matérialité de cet objectif a suscité un aperçu sur la réalité de la libre administration des collectivités locales ; ceci au travers des conditions de la libre administration de ces collectivités d'une part et d'autre part de l'effectivité de la libre administration de ces collectivités dans le cadre de ce contrôle de l'Etat. Mais, faire état de cette compatibilité, suffit-elle en elle même pour apprécier la foi décentralisatrice actuelle du législateur camerounais ? Cette foi décentralisatrice sera mise en exergue au travers de la rénovation des modalités et finalités du contrôle de l'Etat sur les collectivités territoriales décentralisées. CHAPITRE II : LA RENOVATION DES MODALITES ET FINALITES DU CONTROLE DE L'ETAT SUR LES COLLECTIVITES TERRITORIALES DECENTRALISEES
« Force est de constater [soulignait M. CHIRAC à Rennes en 1998] que l'Etat a constamment cherché et souvent avec succès, à reprendre d'une main ce qu'il avait donné de l'autre »,107(*) ce qui a souvent justifié une tutelle rigide. Mais, l'on peut néanmoins relevé une certaine avancée dans l'environnement juridique en matière de libre administration locale. Cette avancée est perçue de par les modalités (section 1) et finalités (section 2) actuelles du contrôle de l'Etat sur les collectivités locales. * 94 CHAPUS (R.), Droit administratif général, op.cit, p.383 * 95 Art. 55 et 56, Loi n° 96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la constitution du 02 juin 1972 * 96 Loi n° 2004-17 du 22 juillet 2004 d'orientation de la décentralisation, Loi n° 2004-18 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux communes, Loi n,°2004-19 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux régions * 97 FINKEM (M.), Communes et gestion municipale au Cameroun : Institutions municipales, Finances et budget, Gestion locale, Interventions municipales, Yaoundé, Presses du Groupe Saint François, Janvier 1996, p.106 * 98 Art. 69, Loi n°2004-17 du 22 juillet 2004 d'orientation de la décentralisation * 99 Loi n°2003/005 du 21 avril 2003 fixant les attributions, l'organisation et le fonctionnement de la chambre des comptes auprès de la cour suprême ; laquelle comprend une section de contrôle et de jugement des comptes des comptables des collectivités territoriales décentralisées et de leurs établissements. * 100 Art. 71 al. 4, Loi n°2004-17 d'orientation de la décentralisation * 101 Art. 71 al. 2 Loi n°2004-17 d'orientation de la décentralisation * 102 L'accent mis sur la compétence du juge administratif est ici fondé sur la réforme récente qu'a connu la chambre administratif de la cour suprême et, qui comprend désormais en son sein 5 sections :une section du contentieux de la fonction publique, une section du contentieux fiscal et financier, une section du contentieux des contrats administratifs, une section du contentieux de l'annulation des questions diverses. Cf. Art. 9 al. 1, Loi n° 2006/016 du 29 décembre 2006 portant organisation de la cour suprême. * 103 Il s'agit au sens de l'art. 68 des actes soumis à transmission et exécutoires quinze jours après leur transmission au représentant de l'Etat ; et des actes de gestion quotidienne exécutoires de plein droit selon l'art. 69 * 104 MORAND-DEVILLER (J.), Cours de droit administratif, 7ème éd, Paris, Montchrestien, Septembre 2001, Pp 183 - 185 * 105 Classification opérée parmi les pouvoirs de l'administration par référence à la plus ou moins grande liberté qui lui est reconnue d'apprécier l'opportunité de la mesure à prendre. Le pouvoir discrétionnaire de l'administration se distingue de la compétence liée. Dans ce cas, la réunion des compétences légales l'oblige à prendre l'acte Cf.. GUILLIEN (R.) et VINCENT (J.), (dir.), Lexique des termes juridiques, 11e éd, Paris, Dalloz, 1998, p. 425 * 106 Art. 71 al 1 et 2, Loi d'orientation de la décentralisation * 107 Propos tirés de BAGUENARD (J.), La décentralisation, Paris, Puf, Coll. « Que sais-je ? », 7ème éd, n°1879, Février 2004, p.6 |
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