La problématique du contrôle de l'Etat sur les collectivités territoriales décentralisées au regard de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996( Télécharger le fichier original )par John Richard KEUDJEU DE KEUDJEU Université de Douala Cameroun - DEA 2008 |
Section 1 : Les modalités actuelles du contrôle de l'Etat sur les collectivitésterritoriales décentralisées La rénovation des modalités du contrôle de l'Etat sur les collectivités territoriales camerounaises tient compte de l'évolution amorcée par le nouveau dispositif. Cette évolution se caractérise par la restriction du champ de la tutelle et l'allègement de ses procédés. Nous cernerons cette évolution de manière comparative entre ce qui se faisait sous l'empire de la loi communale de 1974 et, ce qui se fait actuellement sous l'égide des lois du 22 juillet 2004 sur la décentralisation108(*). Hier, le contrôle de l'Etat était exclusivement confié à l'autorité de tutelle109(*)qui jouissait d'un véritable pouvoir d'approbation, d'annulation absolue de tous les actes locaux110(*), de même que d'un véritable pouvoir d'instruction en matière locale111(*). Ainsi, s'appesantir sur l'évolution de ce registre de contrôle, nécessite que l'on s'attarde sur le contrôle administratif de l'Etat (paragraphe 1) d'une part et d'autre part sur le contrôle budgétaire et financier (paragraphe 2). Paragraphe 1 : Le contrôle administratif de l'EtatLe contrôle administratif de l'Etat sur les collectivités locales s'exerce suivant deux options. L'une privilégiant l'administration en mettant en exergue un contrôle par le biais d'un organe administratif (A) et l'autre dans laquelle l'organe administratif n'est qu'une courroie de transmission (B). A) Les organes administratifs de contrôle et l'étendue de leurs pouvoirs.
La constitution reprise par la loi d'orientation de la décentralisation dispose que « l'Etat assure la tutelle sur les collectivités territoriales décentralisées [...] » d'une part et d'autre part, « dans [les collectivités locales], un délégué nommé par le Président de la République représente l'Etat »112(*). Au sens de la loi d'orientation, le gouverneur est le délégué de l'Etat dans la région et, à ce titre il a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif, du respect des lois et règlements et du maintien de l'ordre public. A l'instar de ce dernier, le préfet assure la tutelle sur les communes113(*). Nous apprécierons l'étendue de contrôle au travers de son intervention tant sur les organes (1) que sur les actes (2) locaux. 1) Le contrôle sur les organes Il est d'emblée nécessaire de rappeler que les collectivités territoriales décentralisées camerounaises comprennent les communes et les régions114(*), et que les organes locaux comprennent tant les organes délibérants - conseil municipal pour les communes et régional pour les régions - que les exécutifs locaux - maires et adjoints pour les communes et président du conseil régional pour les régions. Ainsi, nous verrons le contrôle sur les organes délibérants (a) avant d'en venir à celui les organes exécutifs (b) a) Le contrôle sur les organes délibérants. L'autorité administrative dispose à l'égard des organes locaux d'une gamme de sanctions modulées selon la gravité de la faute dont se rendraient coupables les organes délibérants. S'agissant du pouvoir de sanctions sur le conseil municipal, sous l'empire de la loi communale du 5 décembre 1974, le conseil municipal pouvait être dissout par décret. En cas d'urgence, il pouvait être suspendu par acte motivé de l'autorité de tutelle pour une durée n'excédent pas deux mois (2 mois)115(*). Tout conseiller ayant manqué à trois sessions pouvait également être déclaré démissionnaire d'office. La même sanction pouvait être appliquée à tout le conseil sur rapport du préfet pour une durée n'excédent pas deux mois. Le préfet avait de même qualité pour adresser un avertissement ou infligé un blâme au président du conseil municipal. A cet effet, M. Martin FINKEM affirma qu'il ne s'agissait plus de tutelle, mais d'un véritable pouvoir hiérarchique exercé par le préfet sur les organes locaux116(*). Au regard du dispositif législatif actuel, le contrôle sur le conseil municipal, se traduit toujours par des pouvoirs de suspension exercés par le ministre de l'administration territoriale et de la décentralisation117(*) et de dissolution exercés par le Président d la République118(*). Mais contrairement à la réglementation antérieure, la suspension et la dissolution sont soumises à conditions. Au sens de l'article 46, elle ne peut intervenir qu'en cas d'accomplissement d'actes contraires à la constitution, d'atteinte à la sécurité de l'Etat ou à l'ordre public, de mise en péril de l'intégrité du territoire national, d'impossibilité durable de fonctionner normalement. Cette réglementation permet au juge garant de la liberté de pouvoir contrôler l'exercice de cette tutelle. La suspension du conseil municipal peut aussi intervenir en temps de guerre pour des motifs d'ordre public ou d'intérêt général, ceci jusqu'à la cessation des hostilités119(*).Mais ce procédé est une entrave à la démocratie locale, car le Président de la République dispose d'autres moyens bien plus puissants pour juguler ce genre de crise que la suspension du conseil. Il s'agit de l'Etat d'urgence ou de l'Etat d'exception120(*). La dissolution du conseil est soumise aux mêmes conditions que la suspension, auxquelles il faut ajouter les cas de persistance ou d'impossibilité de rétablir la situation qui prévalait antérieurement à l'expiration du délai de deux mois. La cessation d'activité quant à elle n'intervient que lorsqu'un conseiller a manqué à trois sessions successives sans raisons valables121(*) ou qu'il a refusé sans excuses valables de remplir les fonctions qui lui sont dévolues par la loi et les règlements122(*). Il est de ce fait déclaré démissionnaire par le ministre de l'administration territoriale et de la décentralisation. De cette réglementation du pouvoir de sanction de l'autorité de tutelle, l'on en déduit une certaine juridicisation du contrôle qui, l'emporte progressivement sur des questions personnelles ou d'opportunité. Mais, il reste à déplorer le fait qu'en cas de dissolution d'un conseil municipal ou de démission de tous ses membres, que le conseil soit remplacé par une délégation nommée par le ministre chargé des collectivités territoriales123(*). Surtout qu'il ne sera procédé à la réélection du conseil que dans un délai de six (6) mois à compter de la date de dissolution124(*). Ce qui est une entorse à la décentralisation. D'où la nécessité de diminuer ce délai. S'agissant de la sanction éventuelle sur le conseil régional, celui-ci peut être suspendu ou dissout par le Président de la République dans les mêmes conditions que le conseil municipal125(*).En cas d'intelligence avec l'ennemi, en temps de guerre, tout conseiller régional peut être suspendu par décret du Président de la République pour des motifs d'ordre public ou d'intérêt général126(*). Cette suspension court jusqu'à la cessation des hostilités. Pendant cette période, le (ou les) conseiller (s) suspendu (s) ne peut (peuvent) numériquement être remplacé (s), excepté si la mesure vise à réduire de moitié le nombre des membres du conseil. A la différence du conseil municipal, ces sanctions ne peuvent être prises que par décret du Président de la République sur proposition du ministre chargé des collectivités territoriales et, après avis du conseil constitutionnel127(*). La question qui demeure réside au niveau de la nature juridique de l'avis en question. S'agit-il d'un avis simple ou d'un avis conforme ? Seule la pratique y apportera une réponse. A l'instar du conseil municipal, tout membre du conseil régional qui aura manqué à trois sessions successives sans motifs légitimes ou en cas de refus de remplir ses fonctions sans raisons valables peut être déclaré démissionnaire par le ministre chargé des collectivités territoriales. Tout comme le conseil municipal, en cas de dissolution du conseil régional, le Président de la République crée une délégation spéciale sur proposition du ministre chargé des collectivités territoriales, qui se substitue au conseil durant six (6) mois jusqu'à la réélection d'un nouveau conseil régional128(*). b) Le contrôle sur les exécutifs locaux
Le contrôle sur les exécutifs locaux porte sur le maire et sur l'exécutif régional, constitué du président du conseil régional et du bureau régional. La loi n°2004-18 du 22 juillet 2004, fixant les règles applicables aux communes a repris mutatis mutandis la sanction appliquée sous l'égide la loi communale de 1974129(*). Ainsi, l'exécutif communal peut être suspendu en cas de violation de la loi et des règlements en vigueur ou pour faute lourde pour une période n'excédent pas trois (3) mois. Au delà de cette période, ils peuvent soient être réhabilités soit révoqués.. La révocation est prononcée par le Président de la République130(*). C'est notamment le cas du maire de Njombé-Penja qui a été suspendu depuis février et emprisonné à Nkongsamba. De même en cas d'atteinte à la fortune publique, d'infraction, peut suivre une sanction pénale assortie de déchéance. En cas de carence avérée ou de faute lourde dans l'exercice de leurs fonctions, le maire et ses adjoints peuvent être révoqués par décret du Président de la République. Le maire peut également, après avoir été entendu, être destitué par délibération du conseil municipal, dans le cadre d'une session extraordinaire, convoquée par le représentant de l'Etat à son initiative ou à celle de la majorité des 2/3 des membres du conseil. Cette délibération emporte d'office suspension du maire et de ses adjoints dès son adoption. Elle est rendue exécutoire par arrêté du ministre chargé des collectivités territoriales131(*). Mais préalablement à toutes ces sanctions, un maire qui pour une cause postérieure à son élection ne remplit plus les conditions requises pour être maire ou qui se trouve dans un cas d'incompatibilité prévue à l'article 55, doit cesser immédiatement ses fonctions. Lorsqu'il refuse de démissionner, le ministre chargé des collectivités territoriales prononce sa suspension par arrête pour une durée qu'il fixe. Il est mis fin à ces fonctions par décret du Président de la République.132(*) Toutefois, l'innovation de ces lois vient de la graduation dans la sanction, de la procédure de sanction ainsi que de l'autorité de tutelle jouissant du pouvoir de sanction. La sanction va de la suspension à la révocation en passant par la cessation d'activité. Au niveau de la procédure, la sanction doit être motivé, de même qu'elle ne peut intervenir qu'après explication écrite du mis en cause sur les faits qui lui sont reprochés ou qu'il ait été entendu devant le conseil municipal133(*). S'agissant des autorités habilitées à prendre des sanctions, tandis que la suspension relève de la compétence du ministre chargé des collectivités territoriales, la révocation ne peut être prise que par le Président de la République. L'on relève aussi que les lois du 22 juillet 2004 sont plus soucieuses de la protection des droits ; ceci par le respect des droits de la défense et de l'éventualité d'un recours pour excès de pouvoir134(*). En ce qui concerne le contrôle sur l'exécutif régional, l'on se contentera ici d'une description et d'une analyse prospective de la situation, étant donné que la région est de création récente. Les sanctions dont l'exécutif régional peut faire l'objet vont de la suspension à la dissolution en passant par l'éventualité d'une cessation d'activité. Ainsi, au sens de l'article 72 de loi n° 2004-19 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux régions, le président et le bureau régional peuvent être suspendus par décret du Président de la République, dans les cas identiques à ceux du conseil régional135(*). La cessation de fonctions intervient au sens de l'article 74 de la loi sur les régions lorsque, le Président de la République, pour une cause extérieure à son élection, ne remplit plus les conditions requises pour être président ou qui se trouve dans un cas d'incompatibilité136(*) prévues par la loi. Le ministre chargé des collectivités territoriales lui enjoint de se démettre aussitôt desdites fonctions, sans attendre l'installation de son successeur. Lorsque le président du conseil régional refuse de démissionner, le ministre chargé des collectivités territoriales lui notifie la cessation immédiate de ses fonctions et propose au Président de la République la constatation de la déchéance. Cette cessation des fonctions s'étend des inéligibilités aux incompatibilités137(*). 2) Le contrôle sur les actes
Le contrôle administratif de l'Etat sur les actes locaux est celui effectué par le représentant de l'Etat sur les décisions des organes locaux. Antérieurement, tous les actes locaux étaient soumis au pouvoir d'approbation du représentant de l'Etat138(*) et, il conditionnait l'entrée en vigueur de ces actes. Aujourd'hui par contre, les actes pris par les organes locaux sont exécutoires de plein droit quinze (15) jours après leur transmission au représentant de l'Etat et après leur publication ou leur notification aux intéressés139(*). Ainsi, les décisions réglementaires et individuelles prises par les exécutifs locaux dans le cadre de leurs pouvoirs de police, les actes de gestion quotidienne sont exécutoires de plein droit dès leur publication ou leur notification. De cette innovation, une distinction s'oppose entre les actes soumis à transmission et exécutoires de plein droit et ceux nécessitant une approbation préalable. L'on en déduit une gamme variée de sanctions sur les actes locaux. Cette gamme oscille entre le pouvoir d'approbation (a), le pouvoir d'annulation (b) et celui de substitution (c). a) Le pouvoir d'approbation Il intéresse les décisions prises par les autorités locales, mais dont le caractère exécutoire est subordonné à leur approbation préalable, qui rétroagit à la date de leur approbation140(*). Le décret du 25 mars 1977 relatif aux pouvoirs de tutelle soumettait à l'approbation préalable sans réserve tous les actes, arrêtés, délibérations des divers organes locaux au pouvoir d'approbation. Seule l'approbation conférait le caractère exécutoire à un acte local141(*). Le maire, le délégué du gouvernement ou l'administrateur municipal disposait à cet effet de quinze (15) jours après le conseil pour adresser au préfet les délibérations pour approbation ; lequel les soumettait à son tour au gouverneur ou au ministre de l'administration territoriale selon le cas. Mais le fait le plus marquant en matière d'approbation était celui suivant lequel, l'annulation par le juge du refus d'approbation ne valait pas approbation142(*). Le pouvoir de tutelle s'apparentait ainsi à un véritable droit de veto ; c'est-à-dire un droit de blocage accordé à l'autorité de tutelle. Aujourd'hui, bien que le pouvoir d'approbation reste de mise, il est désormais restreint aux seuls actes les plus importants de la collectivité locale. Le législateur maintien ainsi l'approbation préalable du représentant de l'Etat sur les actes suivants : - Les budgets annexes ; les comptes hors budget et les autorisations spéciales de dépense ; - Emprunts et garanties d'emprunts ; - Les affaires domaniales ; - Les garanties et prises de participation ; - Les convocations relatives à l'exécution ou contrôle des marchés publics ; - Les délégations du service public au-delà du mandat en cours du conseil municipal : - Le recrutement de certains personnels ; - Les plans régionaux et communaux de développement et les plans régionaux d'aménagement du territoire143(*). Les délibérations prises et décisions prises dans tous ces différents domaines doivent être approuvées dans un délai maximal de trente (30) jours à compter de la date de leur transmission au représentant de l'Etat. Passé ce délai, l'approbation est considérée comme ayant été tacitement accordée. L'une des restrictions non des moindres au pouvoir d'approbation est le fait que l'annulation de la décision de refus d'approbation par le juge administratif saisi par le Président du conseil régional ou le maire équivaut à une approbation, dès notification de la décision à la collectivité territoriale144(*) . b) Le pouvoir d'annulation
Suivant les articles 13 et 14 du décret de 1977, le ministre de l'administration territoriale pouvait annuler les actes locaux soit d'office, soit sur rapport du préfet, soit sur la demande d'un contribuable de la commune ou de toute personne intéressée145(*). Ainsi, l'on distinguait sous l'empire de la loi communale de 1974, l'annulation d'office qui intervenait lorsque l'acte administratif local violait les lois et règlements de la République ou lorsque l'acte en cause avait été pris par un conseil en dehors d'une session régulière d'une part et d'autre part l'annulation relative qui frappait l'acte administratif local, qui bien que respectant toutes les conditions de légitimité avait été pris dans un contexte qui rendait sa crédibilité suspecte. Aujourd'hui par contre, excepté les cas des actes locaux manifestement illégaux, l'autorité de tutelle n'est plus habilitée à annuler les actes locaux. Elle ne dispose désormais que de la faculté de déférer cet acte devant le juge administratif compétent pour appréciation de la légalité146(*). Ce qui fait désormais de l'autorité de tutelle, une simple courroie de transmission. L'on en déduit une garantie notable pour la libre administration locale, ceci avec la disparition du contrôle d'opportunité et le raffermissement du contrôle a posteriori au détriment du contrôle a priori. c) Le pouvoir de substitution d'action
La substitution est une mesure exceptionnellement grave, car elle autorise l'autorité de tutelle à agir au nom et pour le compte de la collectivité, laissant sur la « touche » l'autorité légitime. Ce qui pousse M. Martin FINKEM à présenter ce pouvoir comme « l'étape suprême de l'exercice de la tutelle »147(*). Pour le Pr. CHAPUS, « c'est un pouvoir remarquable en ce qu'il permet à l'autorité de tutelle de s'ingérer de façon particulièrement marquée dans les affaires de l'institution décentralisée et en même temps de faire beaucoup plus que ce qui est permis au pouvoir hiérarchique »148(*). En guise de rappel, la loi communale de 1974 ne consacrait ce pouvoir qu'en matière financière. Au sens de l'article 136 de cette loi, l'autorité qui approuvait le budget d'une commune - le gouverneur - pouvait supprimer ou réduire les dépenses pour cause d'irrégularité ou d'inopportunité, mais ne pouvait ni les augmenter ni en inscrire de nouvelles d'autant qu'elles n'étaient obligatoires. Le gouverneur pouvait se substituer à l'exécutif pour reconduire par douzièmes provisoires sur la base des recettes et des dépenses de l'exercice précédent, un budget communal qui n'avait pas été approuvé dans les délais. Pour les autres actes, ce pouvoir était exclusivement réservé au préfet. Avec les lois du 22 juillet 2004 sur la décentralisation, le pouvoir de substitution porte désormais non seulement sur le budget, mais aussi sur la nécessité de respecter les lois et règlements de la République. Ainsi, lorsque le maire, le délégué du gouvernement ou le président du conseil régional refuse ou s'abstient de poser les actes qui lui sont prescrits par la législation et la réglementation en vigueur, le ministre chargé des collectivités territoriales, saisi par le représentant de l'Etat peut y faire procéder d'office. Cette substitution ne pourrait intervenir que lorsque cette mesure présente un intérêt intercommunal ou interrégional149(*). Ce pouvoir est davantage original en ce que la mesure décidée par l'autorité de tutelle qui s'est substituée est susceptible d'être considérée comme prise au nom de l'institution locale et comme engageant, si elle est préjudiciable à des tiers, la responsabilité de cette dernière. Toutefois, ce pouvoir de substitution qui vise à garantir la continuité et l'harmonie du service public local, est néanmoins regrettable, car il porte atteinte à l'idée même de décentralisation. 3) La procédure de mise en oeuvre du contrôle
La procédure de contrôle est fondée sur le principe de la transmission des actes au représentant de l'Etat (a), laquelle transmission est soumise au respect du formalisme et des délais liés à la transmission (b). a) Les conditions de la transmission
Le caractère exécutoire des actes des autorités locales nécessite la transmission au représentant de l'Etat, comme condition pour l'entrée en vigueur de ces actes. Cette transmission est assortie d'un accusé de réception, dont la preuve peut être apportée par tout moyen150(*). S'agissant des décisions réglementaires et individuelles prises par le président du conseil régional dans le cadre de l'exercice de ses pouvoirs de police, les actes de gestion quotidienne sont exécutoires de plein droit dès qu'il est procédé à leur publication ou notification aux intéressés. Ces décisions font l'objet de transmission au représentant de l'Etat151(*). Mais à ces actes exécutoires de plein droit dès transmission, il faut ajouter que d'autres actes locaux ne peuvent être exécutoires qu'après approbation préalable de l'autorité de tutelle152(*).
b) Formes et délais de la transmission
En matière de forme, aucune référence textuelle actuelle ou ancienne n'est précise quant à la forme que doit avoir l'acte administratif. Le principe en la matière étant l'absence de formalisme153(*).Ainsi, les décisions des autorités de tutelle peuvent être incluses aussi bien dans une simple lettre ou télex, ou une circulaire que dans un arrêté en bonne et due forme, c'est-à-dire comportant après visas des textes en vertu desquels ils sont pris, un dispositif reparti en articles. Concernant les délais, les actes locaux sont exécutoires de plein droit quinze (15) jours après la délivrance de l'accusé de réception et après leur publication ou leur notification aux intéressés ; bien que ces délais puissent être réduits par le représentant de l'Etat et, qu'il peut demander une seconde lecture de l'acte concerné. La demande correspondante revêt un caractère suspensif, aussi bien pour l'exécution de l'acte que pour la computation des délais applicables en cas de procédure contentieuse, conformément à la législation en vigueur154(*).
B) Le pouvoir de saisine Certes, l'autorité locale pouvait sous la loi communale de 1974 saisir la juridiction administrative lorsqu'elle estimait qu'un acte de l'autorité de tutelle lui causait grief. Mais, avec les lois du 22 juillet 2004 sur la décentralisation, l'on assiste à la naissance d'un véritable contrôle juridictionnel, car le représentant de l'Etat ne jouit plus de la faculté d'annuler d'office les actes locaux, cette compétence revenant à la juridiction administrative. Ce contrôle est ainsi matérialisé par l'institution d'un déféré155(*) pouvant émaner du préfet ou du gouverneur selon le cas. Ainsi, une étude sur la notion de déféré nécessite que l'on s'attarde sur sa nature juridique et son domaine (1) d'une part et d'autre part sur son moment d'intervention et les cas de déféré assortis de demande de sursis à exécution (2).
1) La nature juridique du déféré et le domaine du déféré
Apprécions tout d'abord la nature du déféré (a) avant d'en venir à son domaine (b). a) La nature juridique du déféré La loi d'orientation de la décentralisation ne s'attarde pas sur la nature du déféré. Elle se contente de disposer en son article 71 alinéa 1 que « le représentant de l'Etat défère à la juridiction administrative compétente les actes prévus aux articles 68 et 69 qu'il estime entachés d'illégalité... ». Or, faire montre de sa nature voudrait que l'on puisse effectivement dire de quel type de recours s'agit-il ? En effet, la notion de déféré est l'objet de moult controverses doctrinales quant à sa nature. Pour certains autres, le déféré devait être distingué des autres recours pour excès de pouvoir : le préfet pouvant seul le mettre en oeuvre. La procédure de sursis à exécution qui s'y attache est spécifique, il peut viser les contrôles et marchés des collectivités territoriales, ce qui n'est pas le cas du recours pour excès de pouvoir, sauf à l'encontre des actes détachables proprement dits156(*). Pour d'autres auteurs à l'instar du Pr. CHAPUS, si le déféré est spécifiquement organisé par la loi, il est de même nature que le recours pour excès de pouvoir de droit commun : son objet est en effet d'obtenir du tribunal administratif l'annulation, en raison de leur illégalité, des actes contre lesquels il est dirigé.157(*) ; D'où pour lui, le déféré est un recours spécial en annulation pour excès de pouvoir pour cause d'illégalité158(*). La jurisprudence française a elle aussi consacrée la thèse de l'assimilation du déféré au recours pour excès de pouvoir159(*) qu'il s'agisse des règles relatives aux délais (deux mois computés pareillement) ou à leur intervention en cas de recours gracieux, de l'obligation d'être motivé pour être recevable, de la possibilité pour le préfet de se désister en cours d'instance ou en cas de leur irrecevabilité sans condition de délai pour les actes « inexistants ». En guise de rappel, l'on distingue deux types de déféré : le déféré spontané qui est l'apanage du préfet et le déféré provoqué qui est la conséquence de l'action des administrés. Toutefois, quoique la loi d'orientation de la décentralisation dispose en son article 74 que « toute personne justifiant d'un intérêt pour agir, peut contester devant le juge administratif compétent, un acte visé aux articles 68 et 69 [...] », elle ne précise pas clairement en son article 76 que toute peut aussi saisir l'autorité de tutelle à cette fin. b) Le domaine du déféré : Les actes déférables Au sens des articles 69 et 71 de la loi d'orientation de la décentralisation, les actes déférables sont d'une part les actes dont la loi impose leur transmission après adoption au représentant de l'Etat c'est-à-dire des décisions réglementaires ou individuelles prises par le président du conseil régional ou le maire dans le cadre de l'exercice de leurs pouvoir de police, les actes de gestion quotidienne et d'autre part les actes soumis à approbation préalable du représentant de l'Etat. Les uns sont des actes unilatéraux - tels les budgets initiaux, annexes, les comptes hors budget, les délégations de service publique au delà du mandat en cours du conseil - et les autres sont des contrats - telles les conventions de coopération internationales, les conventions relatives à l'exécution ou au contrôle des marchés publiques160(*). De ces actes déférables, il est à relever d'abord que ce sont uniquement ceux accomplis au nom des collectivités locales, ayant un caractère administratif ; c'est-à-dire que le droit exclut les actes accomplis par le maire en tant que agent de l'Etat161(*) d'une part et d'autre part les actes de droit privé - contrats de droit privé à l'égard desquels la juridiction administrative est incompétente. Ensuite, aux contrats directement conclus par ces collectivités, sont assimilés opportunément (par la jurisprudence) les contrats (administratifs) passés au nom et pour le compte des collectivités, par les institutions privées, telles les sociétés d'économie mixte locales. Enfin, s'agissant des actes unilatéraux, le principe que seul sont déférables ceux qui pourraient faire l'objet d'un recours ordinaire pour excès de pouvoir, conformément au principe d'assimilation ; c'est-à-dire que sont seuls déférables les actes ayant un caractère décisoire (et non pas à titre d'exemple les circulaires interprétatives)162(*). 2) Le moment du déféré et les déférés assortis de sursis à exécution
Le déféré doit être exercé dans le respect des délais (a) et dans certains cas, être assortis de sursis à exécution (b).
a) Le moment du déféré
Le déféré ne pouvant intervenir qu'après la transmission de l'acte au représentant de l'Etat, lorsqu'il reçoit l'acte, il en apprécie la légalité externe (c'est-à-dire les cas d'incompétence, de vice de procédure et de forme) et interne (c'est-à-dire des illégalités en raison du contenu de l'acte et des illégalités en raison du but de l'acte) au sens où elle est définie par la jurisprudence administrative163(*).A la suite de cet examen, il peut : - S'il estime l'acte légal, lorsque l'autorité locale en cause lui en fait la demande, informer celle-ci de sa décision de ne pas saisir la juridiction administrative, mais cette décision ne le lie pas et il peut revenir sur elle s'il y a des éléments nouveaux ; - S'il croit y découvrir l'illégalité, l'article 71 de loi d'orientation de la décentralisation prévoit que le représentant de l'Etat porte à la connaissance du président du conseil régional ou du maire par tout moyen laissant trace écrite des illégalités relevées. A cet effet, il défère à la juridiction administrative dans un délai maximal de deux mois (2) suivant la transmission de l'acte entachée d'illégalités164(*). b) Les déférés assortis de demande de sursis à exécution Le déféré peut être assorti d'une demande de sursis à exécution selon une procédure allégée par rapport à celle du droit commun dans la mesure où une seule condition - celle de soulever un « moyen sérieux » et de nature à justifier l'annulation requise - est remplie165(*). Lorsque l'acte déféré au tribunal est de nature à compromettre l'exercice d'une liberté publique ou individuelle, la procédure est accélérée : La juridiction administrative ou un de ses membres délégué à cet effet, prononce le sursis dans un délai maximal de quarante huit (48) heures166(*). Au vu de ce qui en est du contrôle administratif de l'Etat sur les collectivités locales, quid du contrôle budgétaire et financier ? * 108 Pour cette analyse, FINKEM (M.), Commune et gestion municipale au Cameroun : Institutions municipales, Finances et budget, Interventions municipales, Yaoundé, Presses du Groupe Saint François, Janvier 1996 ; Mécanismes de la décentralisation, Cours de l'E.N.A.M, Yaoundé, Centre de recherche et de documentation, Décembre 2004 : ANOUKAHA (F.), (dir.), La décentralisation, Tome 9, Edition spéciale, Faculté des sciences juridiques et politiques, Université de Dschang, 2005 * 109 Les pouvoirs de tutelle sur les communes étaient exercés par le ministre de l'administration territoriale, sous son contrôle par le gouverneur et le préfet. Cf. art.1 al. 1, Décr. n° 77/91 du 25 mars 1977 déterminant les pouvoirs de tutelle sur les communes. * 110 Art. 11, Décr. n°77/91 du 25 Mars 1977 * 111 Art. 2, Décr. n°77/91 du 25 Mars 1977 * 112 Cf. art. 55 al. 3 et 58, loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 portant révision de la constitution du 02 juin 1972 * 113 Art. 67, Loi N° 2004-17 du 22 juillet 2004 d'orientation de la décentralisation * 114 Art. 55 al. 1, Loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 * 115 Art. 23, Loi n°74/23 du 5 décembre 1974 portant organisation communale, art. 18, Décret n°77/91 du 25 mars 1977 déterminant les pouvoirs de tutelle sur les communes. * 116 FINKEM (M.), Commune et gestion municipale au Cameroun : Institutions municipales, Finances et budget, Interventions municipales, op.cit, p.105 * 117 Art. 46, Loi n°2004-18 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux communes * 118 Art.47, Loi sur les communes * 119 Art. 52, Loi n° 2004-18, op.cit * 120 Art. 9 al.1 et 2, loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 * 121 Art. 48, Loi n° 2004-18 du 22 juillet 2004, op.cit * 122 Art. 50, Loi n° 2004-18 du 22 juillet 2004, op.cit * 123 Art. 59, Loi n° 2004-18 du 22 juillet 2004, op.cit * 124 Art. 55, Loi n° 2004-18 du 22 juillet 2004, op.cit * 125 Art. 48 pour la suspension et 49 pour la dissolution, Loi n° 2004-19 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux régions. * 126 Art. 58, Loi n° 2004-19 du 22 juillet 2004, op.cit * 127 Art. 49, Loi n° 2004-19 du 22 juillet 2004, op.cit * 128 Art. 50, Loi n°2004 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux régions * 129 Art. 57, Loi n° 74/23 du 5 décembre 1974 portant organisation communale * 130 Art. 94, Loi n° 2004-18 du 22 juillet 2004, fixant les règles applicables aux communes * 131 Art. 95 al.1 et 2, Loi n° 2004-18 du 22 juillet 2004, op.cit * 132 Art. 98, Loi n° 2004-18 du 22 juillet 2004, op.cit * 133 Art. 94 et 95, Loi n° 2004-18 du 22 juillet 2004, op.cit * 134 CE. Ass. 17 Février 1950, Dame LAMOTTE * 135 Art. 72 et 48, Loi n° 2004-19 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux régions. * 136 Art. 8 et 9, Loi n°2004-004 du 14 juillet 2004 fixant les conditions d'élection des conseillers régionaux. * 137 Art. 10 et 11, Loi n°2004-004, op.cit et art. 75, Loi n° 2004-19 du 22 juillet 2004 fixant lès règles applicables aux régions * 138 Art. 9, 10 et 11, Décret n°77/91 du 25 mars 1977 déterminant les pouvoirs de tutelle sur les communes. * 139 Art. 68, Loi n°2004-17 du 22 juillet 2004 d'orientation de la décentralisation * 140 CHAPUS (R), Droit administratif général, Tome 1, 13ème éd, Paris, Montchrestien, Août 1999, p.390 * 141 Art. 11, Décret n° 77/91 du 25 mars 1977déterminant les pouvoirs de tutelle sur les communes. * 142 Ibid * 143 Art. 70, Loi n°2004-17 du 22 juillet 2004 d'orientation de la décentralisation * 144 Art. 73 al. 2, Loi n°2004-17 du 22 juillet 2004, op.cit * 145 Art. 13 et 14, Décret n°77/91 du 25 mars 1977 * 146 Art. 71, Loi n°2004-17 du 22 juillet 2004, op.cit * 147 FINKEM (M.), Commune et gestion municipale au Cameroun : Institutions municipales, Finances et budget, Gestion locale, Interventions municipales, Yaoundé, Presse du Groupe Saint François, 1996, p.108 * 148 CHAPUS (R.), Droit administratif général, op.cit, p.390 * 149 Art. 96, Loi n°2004-18 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux communes et art. 82, Loi n°2004-19 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux régions. * 150 Art. 68, Loi n°2004-17 du 22 juillet 2004 d'orientation de la décentralisation * 151 Art. 69, Loi n°2004-17 du 22 juillet 2004 d'orientation de la décentralisation * 152 Art. 70, Loi n°2004-17 du 22 juillet 2004 d'orientation de la décentralisation * 153 CHAPUS (R.), Droit administratif général, op.cit, p.480 * 154 Art. 68 ? Loi n°2004-17 du 22 juillet 2004 d'orientation de la décentralisation * 155 Lire sur la question, MORRAND-DEVILLER (J), Cours de droit administratif, 7ème éd, Paris, Montchrestien, Septembre 2001, Pp. 183-185, TURPIN (D.), Doit de la décentralisation : Principes - Institutions - Compétences, Paris, Gualino-éditeur, Coll. « Mémentos », 2003, Pp. 42-47, CHAPUS (R.), Droit administratif général, Tome 1, 13ème éd, Paris, Montchrestien, Août 1999, Pp.394-404 * 156 TURPIN (D.), Doit de la décentralisation : Principes - Institutions - Compétences, op.cit, p. 45, voir aussi CE.4 mai 1934, Département de la Sarthe * 157 CHAPUS (R.), Droit administratif général, op.cit, p. 394 * 158 Ibid * 159 CE. 18 Avril 1986, COPER d'Ille-et-vilaine, 27 Février 1995, Commune de chalon s/Marne * 160 Cf. Art. 70 et 71, Loi n° 2004-17 du 22 juillet 2004 d'orientation de la décentralisation * 161 Compte tenu du fait qu'en tant que agent de l'Etat, le maire est soumis au pouvoir hiérarchique ; d'où le fait que les actes pris dans ce cadre ne soient pas déférables. Lire sur la question, CHAPUS (R), Droit administratif général, op.cit, p. 235 * 162 CHAPUS (R.), Droit administratif général, op.cit, Pp.397-398, TURPIN (D.), Droit de la décentralisation : Principes - Institutions - Compétences, op.cit, Pp. 45-46 * 163 CHAPUS (R.), Droit administratif général, op.cit, Pp. 970-994 et 994-1010 * 164 Le but visé dans l'information de l'autorité locale des illégalités qui entachent l'acte et l'éventualité d'une annulation, c'est pour qu'elle puisse prévenir une annulation en corrigeant elle-même l'illégalité. Cf. RIVERO (J.) et WALINE (J.), Droit administratif, 18ème éd, Paris, Dalloz, 2000, p. 419 * 165 Article 72 al 1 loi n° 2004/17. Il est à relever dans l'attente des textes d'application en se fondant sur le droit français. Aussi lorsque la juridiction administrative est saisie par une personne lésée, les deux conditions habituelles de sursis à exécution doivent être réunies. CE ; 22/11/1984 Alain, in TURRIN (D.), op.cit. ; p 45 * 166 Article 72 al 2 loi n°2004/17. Voir aussi RIVERO (J.) et WALLINE (J.), op.cit. p 419 |
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