La problématique du contrôle de l'Etat sur les collectivités territoriales décentralisées au regard de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996( Télécharger le fichier original )par John Richard KEUDJEU DE KEUDJEU Université de Douala Cameroun - DEA 2008 |
CONCLUSION DU CHAPITREEnfin l'on en vient à conclure que malgré la consécration constitutionnelle de la libre administration des collectivités territoriales décentralisées par des conseils élus, le Cameroun a opté plus pour la décentralisation, que pour la libre administration, car la libre administration s'entend d' « une communauté d'habitants ayant une existence réelle, c'est-à-dire ayant une connaissance d'elle-même et animée d'un esprit local ; une liberté administrative de détermination des prestations et de réglementation locale ; au-delà de l'égalité du régime juridique appliquée à ces communautés, des différences dans les situations de fait des administrés, conséquence de la liberté d'action précisément reconnue par ces régimes »301(*).
CHAPITRE II : LES ENJEUX DU CONTROLE DE TUTELLE SUR LES COLLECTIVITES TERRITORIALES DECENTRALISEES
L'utilisation de l'expression « enjeux » n'est peut être pas très adaptée mais, vise à faire état des implications qui caractérisent le processus de décentralisation territoriale au Cameroun. C'est le cas du caractère politique ambigu de cette décentralisation territoriale (section 1). Ce caractère est avéré par le poids qu'accorde la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 à l'institution régionale au Cameroun. Ce qui justifie la timide reconnaissance d'une dynamique locale propre ; doublée d'une méfiance qui atteste la résistance de la tutelle et met à l'ordre du jour la nécessité de réformer la tutelle actuelle (section 2).
Section 1 : La conception politique ambiguë de la décentralisation territoriale auCameroun302(*)
En principe, il s'agit de la conception politique ambiguë de la régionalisation. Mais, nous préférons parler de la conception politique ambiguë de la décentralisation territoriale, vu la place non moins considérable de l'institution communale matérialisée par la création des communautés urbaines. L'appréciation de cette conception politique ambiguë de la décentralisation territoriale au Cameroun se fera au travers de la reconnaissance d'une dynamique locale propre et la méfiance à l'égard du régionalisme politique d'une part et d'autre part par la création des communautés urbaines perçue comme un moyen de contrôle de l'expansion de l'opposition (paragraphe 1). Ce qui permettra de mettre en exergue les éventuelles justifications de la tutelle actuelle (paragraphe 2) Paragraphe 1 : La décentralisation régionale au Cameroun
Il est d'emblée nécessaire de rappeler que le Cameroun a fait le choix pour une décentralisation administrative303(*). C'est de ce choix que sera développée la timide reconnaissance d'une dynamique locale propre et la méfiance à l'égard de l'institution régionale (A) ; laquelle méfiance peut justifier la création des communautés urbaines (B). A) La timide reconnaissance d'une dynamique locale propre et la méfiance à l'égard de l'institution régionale
La timide reconnaissance d'une dynamique locale sera d'abord mise en exergue (1), puis, l'on en viendra à ce qu'il en est de la méfiance (2). 1) La timide reconnaissance d'une dynamique locale propre
La reconnaissance de cette timide dynamique locale tient compte tout d'abord de la reconnaissance par le constituant d'intérêts propres à la région, en opposition aux intérêts nationaux304(*). Ce qui met à l'ordre du jour la démarche du constituant camerounais suivi du reste par le législateur qui procède schématiquement par la distinction, l'autonomisation, la hiérarchisation et la mise en relation des trois groupes d'intérêts à savoir de haut en bas : Les intérêts supérieurs de la nation305(*), les intérêts supérieurs de l'Etat - en tant que personne morale de droit public, structure administrative garant de l'intérêt général, de l'intérêt public, de l'égalité devant les lois de la République - et, les intérêts régionaux élevés à la dimension constitutionnelle, protégés dans la Constitution et représentés au niveau national, c'est-à-dire au Sénat. Cette reconnaissance d'intérêts propres traduit plus que l'idée de personnalité morale ; elle évoque une réalité identitaire autonome, une projection de la personnalité sociologique à distinguer du projet national dans le cadre étatique. Evoquer l'idée d'intérêts propres, qui n'est pas en principe réductible à la notion de compétence ou à celle d'attribution, c'est aborder la région sous un angle politique. La reconnaissance de cette dynamique locale est aussi manifestée par la possibilité, reconnue au président de la région d'agir devant le Conseil constitutionnel à l'effet de protéger les intérêts de la région susceptibles d'être mis en cause par une loi votée ou par un traité dont l'autorisation de ratification a été donnée. Ce droit d'ester devant le Conseil constitutionnel attribué au président de la région, cette personnification de la région en la personne de son président participe d'une démarche politique. De même, le fait que la constitution ait élevé les conflits d'attribution entre l'Etat et les régions où entre les régions en conflits justiciables devant le Conseil constitutionnel est un élément important qui interdit d'aborder la région comme une collectivité administrative et simplement gestionnaire. D'un autre coté, il faut relever la source démocratique du pouvoir des autorités de la région, que ce soit les délégués des départements, ou les représentants des chefferies traditionnelles. L'ancrage sociologique, traditionnel et historique de ces dernières, au-delà de l'instrumentalisation administrative datant de l'époque coloniale, invite à voir en la région autre chose qu'un ancrage administratif. C'est fort de cela que M. Vincent AUBELLE affirme que la démocratisation fût-elle locale ne peut s'organiser qu'à partir d'un espace propre au politique306(*). Un autre pan de cette reconnaissance se trouve dans la représentation de la région au niveau de la vie politique nationale par le Sénat307(*) ; véritable chambre des régions, ou chacune d'elle est représentée au niveau de la vie nationale par dix (10) sénateurs, indépendamment de la densité de sa population. En effet, à coté de la chambre des citoyens - qu'est l'Assemblée nationale - se trouve la chambre des régions qui participe de manière égalitaire à la production législative, et assure une vigilance particulière pour tout ce qui touche la vie des régions. L'on en conclut que les régions se trouvent directement par son président ou indirectement par le Sénat, au coeur des institutions politiques de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996. A ces éléments, il y a lieu de relever que la région est dans le sillage actuel de la décentralisation, le cadre presque unique de promotion de l'idée d'autochtonie, couplée de la protection des minorités. Le président du conseil régional est un autochtone de la région308(*). Il est vrai que cette disposition peut être justifiée dans la mesure où l'on a décidé de reconnaître en la région un centre d'intérêts protégés, il est donc normal que la personnification de ses intérêts le soit par ce qui est le plus authentiquement local et régional309(*). Mais il n'en déplaise que cette notion d'autochtonie soit critiquable à plus d'un titre. C'est le cas du trouble qu'elle génère face à la définition plurielle et contradictoire de la citoyenneté républicaine. En effet, comme le souligne fort remarquablement le Pr. Léopold DONFACK SOKENG, s'il est constant que la Constitution camerounaise dispose sous forme de principe manifestement absolu dans son article 1er que la République du Cameroun « une et indivisible (...) l'égalité devant la loi de tous les citoyens », et que « tout homme a le droit de se fixer en tout lieu et de se déplacer librement », il n'en demeure pas moins que ces discriminations constitutionnelles ouvrent la voie à une classification des citoyens dont l'une des plus critiquables est celle entre « citoyens autochtones » que l'on opposerait aux « citoyens allochtones » ou « allogènes »310(*). En effet, « l'autochtonie place l'appartenance tribale au dessus de la citoyenneté et viole le principe d'égalité des citoyens devant les fonctions politiques »311(*). Et, outre le fait qu'un citoyen puisse être « allogène » dans sa propre patrie est contradictoire, ne court-on pas le risque d'une définition arbitraire et fluctuante des minorités et de l'autochtonie au gré des intérêts politiques divers ? Comment ne pas dès lors souligner que ces discriminations fondées sur des critères forts subjectifs sont porteuses de germes d'implosion sociale dès lors qu'elle met l'accent sur ce qui divise plutôt que sur ce qui unit d'une part et remettent en cause les droits fondamentaux de nombre des citoyens d'une République pourtant « une et indivisible »312(*). Cette critique est d'autant plus avérée que la doctrine ne s'attarde guère sur cette distinction « autochtones » et « allochtones » ou « allogènes » mais, renvoie généralement à la notion de « communautés d'habitants ». Francis Paul BENOIT définit à cet effet la libre administration comme « une communauté d'habitants ayant une existence réelle c'est-à-dire ayant une connaissance d'elle-même et animée d'un esprit local [...] »313(*). Ainsi, cette distinction devrait purement et simplement être supprimée et l'on ne devrait plus percevoir une collectivité locale que comme la traduction institutionnelle de l'idée de communauté et de la volonté de solidarité qui anime les habitants qu'elle regroupe314(*). Malgré l'ambiguïté soulevée par la notion d'autochtonie, il n'en demeure pas moins que cette notion fait de la région une entité perçue sous le mode identitaire, sous le mode de représentation c'est-à-dire d'expression politique ; ce qui ne manque pas de susciter une méfiance à l'égard de cette institution. 2) La méfiance à l'égard de l'institution régionale
La méfiance organisée vis-à-vis de l'institution régionale est magnifiée par la régionalisation étroitement contrôlée dont le Cameroun s'est doté. Cette régionalisation est « organisée autour de l'idée de la délégation de fonctions de gestion », autour de ce que M. Philippe MENYE ME MVE présente comme l'idée d'un Etat essoufflé mais toujours désireux de réguler le social315(*), un Etat qui est obligé de confier aux nouveaux rouages territoriaux une parcelle de réalisation de ces politiques publiques. Cette méfiance à l'endroit d'une institution régionale qui se serait dotée d'une dimension politique est apparue tout au long du débat constitutionnel en décembre 1995. La lecture du rapport de la commission des lois relatives au projet de la constitution révèle ceci : « le choix du Cameroun est celui d'une décentralisation poussée [...] parce que la décentralisation prévue ici est une décentralisation administrative qui confère une simple autonomie administrative et financière aux régions et non une autonomie politique, une tutelle bien ordonnancée est nécessaire pour la préservation de l'ordre unitaire »316(*). Ce choix de la logique administrative est reflété par le procédé même de « constitution » des unités territoriales, à savoir l'érection des provinces en régions. Ce procédé est quelque peu étrange, car la province est une unité administrative et non pas une unité sociologique. L'on comprend du reste que cette entité soit modulable selon le bon vouloir du Président de la République, ainsi que le prévoit l'article 61 alinéa 2 de la Constitution. La collectivité ainsi créée brille par sa précarité, quoique dirigée par un conseil élu. Les modalités de suspension ou de dissolution du conseil régional, de suspension ou de destitution des conseillers individuels l'illustrent bien317(*). La compétence normative des régions est strictement encadrée ; L'Etat se réservant d'approuver l'essentiel des actes avant leur mise en application318(*). La tutelle qui s'y exerce est pesante, ridicule et la phobie de l'évolution d'une dynamique interrégional échappant au contrôle vigilant et répressif de l'Etat, prégnante. Du reste, l'article 2 de la loi fixant les règles applicables aux régions définit la région comme « une collectivité territoriale décentralisée constituée de plusieurs départements ». S'il est vrai que la Constitution prévoit que les conseillers régionaux sont pour partie les délégués départementaux élus au suffrage indirect, il ne semblait pas que les départements aient été directement transformés par la Constitution en collectivités territoriales décentralisées. Comment en effet une collectivité décentralisée pourrait-elle être constituée d'unités administratives déconcentrées fonctionnant sur un mode administratif totalement différent ? Le département n'est pas qu'une assise spatiale, une entité géographique, c'est un cadre administratif relevant de l'Etat en tant que personne morale de droit public319(*). Cette approche de la loi mérite d'être clarifiée. La méfiance est surtout perceptible avec le rappel constant des intérêts supérieurs de la nation, rappel qui vise à exprimer la phobie centrifuge qui imprègne l'ensemble de la réflexion et du travail normatif sur la décentralisation, à exprimer le message selon lequel la régionalisation n'est pas l'antichambre du fédéralisme ou de la sécession320(*). Ainsi, dans la foulée de l'énoncé selon lequel « la République du Cameroun est un Etat unitaire décentralisé », il est précisé à l'article 55 alinéa 4 de la Constitution que « l'Etat veille au développement harmonieux de toutes les collectivités territoriales décentralisées sur la base de la solidarité nationale, des potentialités régionales et de l'équilibre interrégional ». L'Etat réalise cette mission au moyen de l'action législative. Ainsi, l'article 3 alinéa 2 de la loi d'orientation de la décentralisation rappelle que les collectivités territoriales de la République « exercent leurs activités dans le respect de l'unité nationale, de l'intégrité du territoire et de la primauté de l'Etat ». Cette méfiance est d'autant plus accentuée que lorsqu'un conseil délibère en dehors de ses réunions légales ou sur un objet étranger à ses compétences, le représentant de l'Etat prend toutes les mesures pour que l'assemblée se disloque immédiatement. Il est de même interdit à tout conseil régional de publier des proclamations et adresses, d'émettre des voeux politiques menacent l'intégrité du territoire ou l'unité nationale, ou de se mettre en communication avec un ou plusieurs conseils régionaux hormis les cas prévus par la législation en vigueur. Dans ces cas, des poursuites judiciaires sont engagées à l'encontre des conseillers régionaux auteurs desdits voeux, adresses, proclamations ou communications, à la diligence du représentant de l'Etat321(*). En cas de condamnation, les participants à la réunion sont déclarés, par jugement exclus du conseil régional et inéligible pendant les cinq (5) années qui suivent cette condamnation. Cette disposition avec celle relative au contexte de guerre comme suffisant pour suspendre des conseillers régionaux méritent certainement d'être corrigées; car s'agissant de l'alinéa 1 de cet article 8, de deux choses l'une : s'il s'agit de retrouvailles de conseillers en dehors d'une session normale, il ne s'agit tout simplement pas d'une session du conseil mais d'un regroupement régi par la réglementation relative aux réunions, sous la réserve des immunités que la réglementation serait amenée à accorder, en tant que tel, le temps de leur mandat, aux conseillers régionaux. S'il s'agit maintenant d'une réunion du représentant de l'Etat, la notion d' « objet étranger » aux compétences du conseil régional ne peut être laissée à la seule appréciation du conseil correspondant à ses sessions légales, il est à parier que son ordre du jour est connu du représentant de l'Etat dans la région, surtout si elle doit aboutir à une conséquence aussi grave que la dislocation du conseil. Que signifie, au demeurant, cette dislocation immédiate ? Est-ce la fin de la séance litigieuse ou la fin de la session du conseil ? D'où, une nécessaire clarification. Le deuxième alinéa est quant à lui, particulièrement confus, qui vise à la fois des organes et des individus pris comme tels. Ce d'autant plus que la notion de « communication » avec un ou plusieurs conseils régionaux est vague et méritait d'être précisée pour que sur son fondement, les poursuites pénales puissent être enclenchées. La communication hors les cas prévus par la loi est telle forcement intelligence avec l'ennemi ou complot sécessionniste322(*) ? S'agissant des poursuites, il est curieux que l'on interdise des actes attribués à un conseil régional, mais que l'on punisse les conseillers individuels « auteurs » de ces actes. Quand l'assemblée a entériné un voeu, une proclamation, une adresse, engagée une communication avec une autre (laquelle devrait donc en bonne logique être `'punie'' elle aussi), ne faut-il pas considérer que cette assemblée a endossé la démarche, faisant que les conseillers individuels n'aient plus de visibilité devant la loi ? Quel est l'objectif poursuivi en brisant cet écran, pour atteindre les conseillers ? Pour le reste, la notion de `'participant à la réunion'' est large et déborde les seuls conseillers régionaux. Le secrétaire général y est, le représentant de l'Etat aussi, les parlementaires de la région, qui y ont une voix consultative. Comme tout le monde, sauf les absents naturellement aura participé à la réunion, la décision judiciaire emportera, de facto, dissolution du conseil régional. Or cette dernière ne peut intervenir selon l'article 59 alinéa 2 de la constitution que par décision du Président de la République après avis (dont la nature n'est pas précisée) du conseil constitutionnel, ou alors sur démission de tous les membres du conseil. C'est fort de cela que l'on se demande comment concilier toutes ses contradictions323(*)? Et, que M. MENYE ME MVE remarque fort malheureusement que la méfiance, visiblement l'a emporté sur toute autre considération324(*). En conclusion, deux logiques s'affrontent: une logique démocratique appuyée sur le suffrage universel et une logique administrative, appuyée sur la tutelle confinant au pouvoir hiérarchique ; les rapports avec les élus débouchant sur des situations disciplinaires. L'affrontement de ces deux logiques fait cependant place non pas à leur mutuelle exclusion, mais à leur imbrication et confusion. Cet affrontement exprime la lutte, sur le terrain de la redistribution territoriale du pouvoir, entre le centre et la périphérie, entre la liberté démocratique et l'ordre jacobin. Si cette méfiance se limitait encore uniquement aux régions, cela aurait pu encore être `tolérée. Mais, on constate fort malheureusement que cela est étendue jusqu'aux entités communales avec la création des communautés urbaines.
B) La création des communautés urbaines
La création des communautés urbaines remonte à 1987325(*), elles ont été réaménagées par la loi n0 2004-18 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux communes326(*) et les décrets du 17 janvier 2008 portant création des communautés urbaines327(*). La communauté urbaine est au sens de l'article 109 al 2 une personne morale de droit public, dotée de la personnalité juridique et de l'autonomie financière. La création de cette institution est l'objet d'une dichotomie dans sa perception. 1) La communauté urbaine, une institution de contrôle de l'expansion de l'opposition En effet, la conception confuse, voire la méfiance à l'égard de la création des communautés urbaines vient du contexte particulier de leur création qui, jette de l'ombre sur cette institution ; perçue comme exerçant une tutelle déguisée sur les organes communaux. D'où la raison pour laquelle elle est perçue comme une institution de contrôle de l'expansion de l'opposition. Le 27 février 1996, un décret présidentiel érige une dizaine des plus grandes villes en commues à régime spécial dont, la majorité conquises par l'opposition. Cette mesure se traduit par la nomination des délégués du gouvernement dans les villes comme Douala, Bamenda, Garoua, Bafoussam, Kumba, Limbe, Nkongsamba, Ebolowa, Edéa. Ces délégués possèdent les pouvoirs de « super maires » et viennent de facto coiffer les élus locaux. Cette opération a été perçue par les populations et leaders politiques de l'opposition comme la confiscation des résultats des urnes328(*). En effet, c'est depuis 1993 que le Président de la République a signé le décret instituant les communes à régime spécial ; or ce n'est que le 27 février 1996 qu'un décret présidentiel intervient pour ériger ces « communes à régime spécial ». M. John FRU NDI dénonçait en fait dans une déclaration que « c'est depuis 1993 [que] M. BIYA a institué les villes à régime spécial. Mais jusqu'au 27 février 1996, il n'avait pas appliqué les dispositions de ce décret et s'était refusé à nommer les délégués du gouvernement à Kumba, Limbe, Bafoussam, Ebolowa, Garoua parce que ces communes fonctionnaient sous la tutelle des maires RDPC329(*). Parce que l'opposition s'est emparé démocratiquement desdites villes, BIYA et son régime s'empressent de nommer de doter Kumba, Limbe, Nkongsamba et Bafoussam, entre autres cités conquisses par le SDF, les délégués du gouvernement issus des rangs du RDPC, au mépris des lois, des verdicts populaires et de la logique démocratique »330(*). Cette thèse est d'autant plus logique que les communautés urbaines sont des collectivités sui generis. Leur nature sui generis tient au fait que non seulement la Constitution n'en fait pas mention, mais la loi fixant les règles applicables aux communes n'est pas non plus très précise. Elle dispose en effet que « la communauté urbaine est une personne morale de droit public jouissant de la personnalité juridique et de l'autonomie financière »331(*). La question que l'on est en droit de se poser est celle de savoir s'il s'agit d'un établissement public administratif ou d'une collectivité territoriale décentralisé ? S'agit-il d'une décentralisation technique ou d'une décentralisation administrative ? Ce d'autant plus qu'aucune mention n'est faite non seulement quant à son autonomie administrative ni à son substrat sociologique. Pourtant en tant que collectivité territoriale décentralisée, elle devait être le reflet d'une collectivité humaine solidaire de ses problèmes, de son histoire, de ses intérêts contenus dans une portion définie du territoire national »332(*) ; surtout que pour toute véritable libre administration, il est nécessaire qu'il soit dirigé par des conseils élus. Ce qui n'est pas le cas pour les communautés urbaines qui ont à leur tête un délégué du gouvernement et des adjoints, tous nommés par le pouvoir exécutif333(*). Or, comme le souligne le Pr. Maurice HAURIOU, « tant qu'une autorité est nommée par le pouvoir central, alors même qu'elle aurait des attributions propres et jouissant d'une certaine autonomie, il y a centralisation...cela peut constituer la déconcentration, mais ce n'est pas la décentralisation »334(*). Si en effet, les communautés urbaines ne sont pas des collectivités territoriales décentralisées, logiquement, elles ne sont que des institutions à la solde du pouvoir central exerçant non seulement un contrôle déguisé des communes mais aussi, des institutions luttant contre l'expansion de l'opposition. Cette thèse peut toutefois être amenuisée par les nouveaux décrets du 17 janvier 2008. 2) Le visage actuel des communautés urbaines
Certes les communautés urbaines ont connu un réaménagement avec les décrets du 17 janvier 2008 qui les font passer de deux (2) à quatorze (14) ; Ceci avec l'érection des communes à régime spécial en communautés urbaines et de la création des nouvelles communautés urbaines. Mais est-ce que le visage qui primait à la création des communautés urbaines est-il aujourd'hui la même ? L'on peut de prime abord arguer le contraire étant donné que ces communautés sont créées dans un contexte ou le parti au pouvoir a raflé la mise sur la majeure partie du territoire national à l'issue des dernières élections couplées (législatives - municipales) du 22 juillet et 30 septembre 2007. Mais, cette thèse doit être relativisée, car les autorités administratives des communautés urbaines sont généralement partisanes; issues des rangs du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC) tout comme les autorités de tutelle. L'on peut à juste titre relever pour reprendre les propos du délégué du gouvernement actuel NTONEY NTONEY FRITZ qui déclarait pendant la campagne électorale pour les élections couplées de Juillet 2007 que pour que la communauté urbaine fonctionne normalement et que la ville de Douala soit plus belle, il est nécessaire qu'elle ait un conseil issu des rangs du RDPC, c'est-à-dire que les populations votent massivement pour le parti au pouvoir335(*). Ainsi, à l'instar des préfets comme le relevait M. Manassé ABOYA, « ils voient toujours chez les opposants des ennemis de la nation »336(*). Outre cela, l'on ne peut dire que le caractère de collectivités territoriales décentralisées de ces institutions ait véritablement évolué depuis 1987. L'on peut donc relever que beaucoup plus qu'une création fondée sur la logique clientéliste des Etat africains et particulièrement du Cameroun337(*), les communautés urbaines constituent beaucoup plus des institutions visant à contrôler l'expansion de l'opposition et mieux constituent une « tutelle déguisée » de l'Etat sur les communes. Ce qui amène le Pr. Stéphane DOUMBE-BILLE à conclure à « l'étatisation de l'entité communale »338(*). Mais, malgré cette critique, la tutelle ne trouve-t-elle pas de justification ?
* 301 BENOIT (F.-P.), Cité par MENYE ME MVE (Ph.), « Processus de mise en oeuvre de la décentralisation », in Mécanismes de la décentralisation, Cours de l'ENAM, Yaoundé, Centre de recherches et de documentation, Décembre 2004, p. 24 * 302 Lire sur l'ensemble de la question MENYE ME MVE (Ph.), « Processus de mise en oeuvre de la décentralisation », in Mécanismes de décentralisation, Cours de l'ENAM, Yaoundé, Centre de recherche et de documentation, Décembre 2004, Pp. 9-28 ; lire aussi OLINGA (A. D.), La Constitution de la République du Cameroun, Yaoundé, Presses de l'UCAC, Les Editions Terres Africaines, 2006, Pp. 265-292 * 303 L'article 55 al. 2 de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 dispose que les collectivités territoriales jouissent de l'autonomie administrative et financière. Aucune allusion n'est faite quant au volet politique. * 304 En effet, l'article 55 al. 2 dispose que « les collectivités [...] jouissent de l'autonomie administrative et financière pour la gestion des intérêts régionaux et locaux ». De même l'article 58, et son al. 1 met en exergue la notion d'intérêts nationaux * 305Il s'agit de : la souveraineté, l'intégrité territoriale, l'unité nationale, le développement territorial équilibré. * 306 Cité par MENYE ME MVE (Ph.), « Processus de mise en oeuvre de la décentralisation », op.cit, p.13 * 307 Art. 20, Loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 * 308 Art. 57, Loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 * 309 MENYE ME MVE (Ph.), « Processus de mise en oeuvre de la décentralisation », in Mécanismes de décentralisation, Cours de l'ENAM, Yaoundé, Centre de recherche et de documentation, Décembre 2004, p. 15 * 310 DONFACK SOKENG (L.), « les ambiguïtés de la révision constitutionnelle du 18 janvier 1996 », in . MELONE (S.), MINKOA SHE (A.), SINDLOUN (L.), (dir.), La réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 : Aspects juridiques et politiques, Yaoundé, Fondation Friedrich-Ebert, 1996, p. 46 * 311 WANDJI K. (J F), « Modification de la constitution : L'urgence est ailleurs que dans l'article 6 al. 2», in Le Messager, Quotidien camerounais d'information, n°2509 du jeudi 29 Novembre 2007, p. 10 * 312 Ibid, p. 47 * 313 BENOIT (F.-P.), Cité par MENYE ME MVE (Ph.), « Processus de mise en oeuvre de la décentralisation », op.cit, p.24 * 314 NACH MBACK (Ch.), « L'institution communale au Cameroun : Difficiles mutation d'un double legs colonial ? », in Solon, Revue africaine de parlementarisme et de démocratie, Vol2, n°1, 2003, p 129 * 315 MENYE ME MVE (Ph.), « Processus de mise en oeuvre de la décentralisation », op.cit, p.15 * 316 Rapport Hilarion ETONG, Tiré de MENYE ME MVE (Ph.), « Processus de mise en oeuvre de la décentralisation », op.cit, p.15, Lire aussi OLINGA (A. D.), La Constitution de la République du Cameroun, Yaoundé, Presses de l'UCAC, Les Editions Terres Africaines, 2006, p. 271 * 317 Cf. Chapitre 1 : La limitation de la libre administration des collectivités territoriales décentralisées, 2ème parie, Pp. 62-87 * 318 Art. 70, Loi n°2004-17 du 22 juillet 2004 d'orientation de la décentralisation * 319 OLINGA (A. D.), La Constitution de la République du Cameroun, Yaoundé, Presses de l'UCAC, Les Editions Terres Africaines, 2006, p.272 * 320 MENYE ME MVE (Ph.), « Processus de mise en oeuvre de la décentralisation », op.cit,p. 16 ; lire aussi . OLINGA (A. D.), La Constitution de la République du Cameroun, op.cit, p. 272 * 321 Art.8, Loi n°2004-19 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux régions * 322 MENYE ME MVE (Ph.), « Processus de mise en oeuvre de la décentralisation », op.cit,p. 17 ; lire aussi OLINGA (A. D.), La Constitution de la République du Cameroun, op.cit, Pp. 273-274 * 323 Ibid * 324 MENYE ME MVE (Ph.), Op.cit, P17. * 325 Année d'adoption de la loi n087/015 du 15 juillet 1987 portant création des communautés urbaines * 326 Voir notamment le titre V : du régime applicable aux agglomérations urbaines, de l'article 109 à, l'article 119 * 327Cf., les décrets du 17 janvier 2008 portant création de nouvelles communautés urbaines, in Cameroon tribune, Quotidien national d'information, n° 9018 du vendredi 18 janvier 2008, Pp. 3-5. * 328 Lire sur cette analyse « Et naquirent les `'supers maires'' », in Les cahiers de mutation, Mensuel camerounais de d'information, Vol 44, Juin 2007, p. 8 * 329 C'est-à-dire le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais * 330 Cf. « Et naquirent les `'supers maires'' », in Les cahiers de mutation, Mensuel camerounais de d'information, Vol 44, Juin 2007, p. 8 * 331 Cf. art 109 al 2, loi n°2004/18 DU 22 Juillet 2004 fixant les règles applicables aux communes * 332 NLEP (R. G.), L'administration publique camerounaise : contribution à l'étude des systèmes africains d'administration publique, Paris, LGDJ, 1986 p.119 * 333 Art 115, Loi n°2004-18 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux communes * 334 Citation tirée de TURPIN (D.), Droit de la décentralisation : Principes - Institutions- Compétence, Paris, Gualino éditeur, 1996, p0 15 * 335 Propos déclarés pendant le journal de 2oh sur les antennes de la FM.105 pendant la campagne électorale pour le compte des élections couplées du 22 Juillet 2007 * 336 Propos tirés de l'émission « cet Hebdo » du dimanche sur les antennes de la télévision privée STV à 12 h. * 337 Lire sur cette question BAYART (J. F.), l'Etat au Cameroun, Paris, Presse de la fondation nationale des sciences politique, 1985 * 338 Propos tirés de NLEP (R. G.), L'administration publique camerounaise : contribution à l'étude des systèmes africains d'administration publique, op.cit, p. 97 |
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