TROISIEME PARTIE :
VOYAGE AU CENTRE DE
LA TERRE... ET DANS LE
TEMPS.
III - VOYAGE AU CENTRE DE LA TERRE... ET DANS LE
TEMPS.
L'objet de notre démarche consiste ainsi à
montrer comment ce voyage au centre de la terre constitue aussi un voyage dans
le temps, un retour dans le passé. Pour ce faire, Jules
Verne procède, entre autre et pour ce qui nous
intéresse, par l'explication et la description des différentes
couches géologiques qui se succèdent le long du périple
des voyageurs : il s'agit du principe même de la
stratigraphie32. Plus les héros s'enfoncent vers le centre de
la terre, plus ils remontent le cours du temps, partant des origines du monde
pour arriver à l'apparition de l'homme. Ce procédé permet
ainsi de crédibiliser le voyage en s'appuyant sur des bases
scientifiques. Le cratère et le conduit du volcan par lesquels
s'effectue la descente, constituent alors une formidable machine à
remonter le temps.
Le monde de Jules Verne est
clos33, fermé, limité dans l'espace (et dans le temps
?). La recherche du centre de la terre est aussi la recherche d'un « point
zéro », source de l'origine du monde. Or les héros de
Jules Verne n'atteignent pas ce point de départ qui
constitue aussi un point d'arrivé (celui du voyage). Car la science
physique et géologique de cette fin de 19° siècle ne permet
pas de préciser exactement la structure interne du globe, et donc de
permettre aux explorateurs d'aller jusqu'au bout de leur objectif.
Jules Verne s'en sort alors par une astuce très subtile
: les héros se retrouvent à la fin de leur parcours
expulsés par un volcan en éruption34, et atterrissent
finalement en Italie, le berceau même de la civilisation gréco-
romaine. Or cette civilisation gréco-romaine se croyait, il y a deux
millénaires, au centre du monde et au centre de la terre (ce
géocentrisme était flagrant dans les cartographies
contemporaines, plaçant le domaine méditerranéen au centre
du monde, tel que conçu et imaginé par les érudits de
l'époque35). D'autre part, rappelons aussi que pour bon
nombre de scientifiques, l'origine de la vie sur terre tire une partie de ses
origines de la combinaison des éruptions volcaniques, de l'eau, des
météores d'origine extra-terrestre36...
32 Partie de la géologie qui étudie les
couches de l'écorce terrestre en vue d'établir l'ordre normal de
superposition et l'âge relatif.
33 Op. cit. COMPERE Daniel. Un voyage
imaginaire de Jules Verne. Voyage au centre de la terre. Page 10.
34 Ce qui permet aussi à l'auteur de ne pas
faire revenir ses héros par le chemin emprunté à l'aller,
et ainsi d'économiser des pages d'écriture redondantes.
35 Cependant, certains émettaient des avis
contraires, comme, notamment, Claude Ptolémée
(environ 100-170 après J.C.) qui avait réussi à calculer
la circonférence de la terre. Par conséquent, il
démontrait aussi que la terre est ronde, et que donc le domaine
méditerranéen ne pouvait constituer le centre du monde
(plutôt le centre d'un monde, celui des romains...).
36 Evidemment, il existe d'autres
éléments qui entrent en compte, mais nous ne citons ici que ceux
qui permettent
Cependant, le voyage en lui-même est
précédé par un premier voyage qui consiste en
l'acheminement des expéditeurs et du matériel au point de
départ prévu par le document d'Arne Saknussemm. Ce premier voyage
représente, dans le roman, quand même 145 pages37 :
« Le véritable voyage commençait
»38, en parlant de la descente proprement dite.
Les expéditeurs se dirigent ainsi en Islande, et plus exactement vers le
cratère du Sneffels. C'est durant ces 145 pages que Jules Verne
précise qu'il s'agit d'une expédition scientifique et
géographique, telle que celles menées par les grands explorateurs
du 15° et du 16° siècle. Le vieux parchemin à l'origine
de cette aventure date d'ailleurs du 16° siècle39.
A) - Une expédition scientifique et
géographique.
Dès le début roman, Jules Verne
nous décrit ses héros comme des scientifiques, des
spécialistes des sciences de la terre. Ainsi, concernant le professeur
Lidenbrock : « Il était professeur au Johannaeum et faisait un
cours de minéralogie »40. Et pour renforcer encore
plus ce caractère, une page plus loin l'auteur nous
énumère des types de cristallisation, des variétés
de minéraux : « Mais lorsqu'on se trouve en présence des
cristallisations rhomboédriques, des résines
rétinasphaltes, des ghélénites, des fangasites, des
molybdates de plomb, des tungstates de manganèse et titianites de
zircone, il est permis à la langue la plus adroite de fourcher.
»41 ; ou encore des noms de savants et scientifiques que
le professeur Lidenbrock connaît : « MM. Humphry Davy, de
Humboldt, les capitaines Franklin et Sabine, ne manquèrent pas de lui
rendre visite à leur passage à Hambourg. MM. Becquerel, Ebelmen,
Brewster, Dumas, Milne-Edwards, Sainte-Claire-Deville, aimaient à le
consulter sur des questions les plus palpitantes de la chimie
»42.
d'expliquer en partie ce roman de Jules
Verne.
37 Soit plus d'un tiers du roman.
38 Op. cit. VERNE Jules. Voyage au
centre de la terre. Page 145.
39 Ibid. page 18.
40 Ibid. page 3.
41 Ibid. page 4.
42 Ibid. page 5 ; néanmoins, l'auteur fait
preuve ici d'incohérence et d'anachronisme : «Edmondo Marcucci
a signalé le premier un étrange anachronisme : Lidenbrock affirme
avoir discuté du noyau intérieur de la Terre avec Humphry Davy en
1825. Or, étant âgé de 50 ans en 1863, il avait 12 ans en
1825 ! Cette discussion est donc impossible, mais elle arrange Verne, car elle
apporte une caution à son personnage. Davy étant mort en 1829, il
pouvait difficilement placer cette rencontre plus tard...». Op. cit.
COMPERE Daniel. Un voyage imaginaire de Jules Verne. Voyage au
centre de la terre. Page 50.
L'énumération est un procédé cher
à Jules Verne, il contribue à donner du poids et
de la réalité à son aventure43.
Ce même professeur a fait paraître en 1853 un
« Traité de Cristallographie transcendante »44
; toute sa collection de minéraux fait l'objet d'une classification
rigoureuse, caractéristique d'un esprit positiviste, classificateur,
à l'image du Positivisme d'Auguste Comte : « A
la cassure, à l'aspect, à la dureté, à la
fusibilité, au son, à l'odeur, au goût d'un minéral
quelconque, il le classait sans hésiter parmi les six cents
espèces que la science compte aujourd'hui »45 ;
« Tous les échantillons du règne minéral s'y
trouvaient étiquetés avec l'ordre le plus parfait, suivant les
trois grandes divisions des minéraux inflammables, métalliques et
lithoïdes »46.
Le narrateur, Axel, son neveu, avoue qu'il mordit «
avec appétit aux sciences géologiques ; j'avais du sang de
minéralogiste dans les veines, et je ne m'ennuyais jamais en compagnie
de mes précieux cailloux »47.
De même, Jules Verne utilise dans son
texte des figures de rhétorique, telle que la comparaison ou l'image,
qui reprennent des éléments des sciences de la terre (et de la
vie, et plus particulièrement la vulcanologie) : « laboratoire
culinaire »48, « imagination volcanique
»49, « Quelle gloire attend M. Lidenbrock et rejaillira
sur son compagnon »50, « Mais il fallait de telles
épreuves pour provoquer chez le professeur un pareil épanchement
»51 , etc...
Néanmoins, l'incertitude concernant l'aboutissement du
voyage demeure. En effet, les théories concernant la structure du centre
du globe terrestre s'affrontent en cette deuxième moitié de
19° siècle : « C'est que toutes les théories de la
science démontrent qu'une pareille entreprise est impraticable !
»52 . Axel oppose ainsi à son oncle la
théorie de la chaleur interne
43 VIERNE Simone. Jules Verne. Une vie, une
oeuvre, une époque. Paris : Balland, 1986. Page 158.
44 Op. cit. VERNE Jules. Voyage au
centre de la terre. Page 5. Il s'agit d'un ouvrage évidemment
purement imaginaire !!!.
45 Ibid.
46 Ibid. page 9.
47 Ibid.
48 Ibid. page 2.
49 Ibid. page 34.
50 Ibid. page 59.
51 Ibid. page 227.
52 Ibid. page 47.
(ou centrale), et ce dernier la réfute en lui
prétextant qu'il existe peut-être des seuils, des
discontinuités, permettant ainsi la faisabilité de
l'entreprise... D'ailleurs le professeur ne déclare-t-il pas à
son neveu : « ni toi ni personne ne sait d'une façon certaine
ce qui se passe à l'intérieur du globe, attendu qu'on
connaît à peine la douze-millième partie de son rayon ;
c'est que la science est éminemment perfectible, et que chaque
théorie est incessamment détruite par une théorie nouvelle
»53 . Le professeur partage ainsi la théorie de
Davy et de Poisson, s'opposant à celle de la chaleur
centrale54.
Ainsi, nul doute que le voyage sera couronné par un
succès : « Ce sera là un beau voyage
»55, dit Graüben à Axel.
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