B) - Un voyage dans le temps.
Outre le fait que ce voyage est une expédition
scientifique et géographique, ce dernier est aussi, et c'est ce qui
constitue le point central de notre travail, un formidable moyen de voyager
dans le temps, à travers les différentes époques
géologiques qui se sont succédé au cours de l'histoire de
l'évolution de la terre56. Ainsi, hormis le manomètre
et la boussole, le chronomètre fait partie intégrante des
instruments amenés dans l'expédition, car c'est lui qui va
permettre de mesurer le temps réel (celui qui s'écoule à
la surface de la terre, alors que les voyageurs seront situés à
l'intérieur du globe, sans aucun référentiel comme le
soleil, la lune, les étoiles ou autres moyens d'apprécier l'heure
qu'il est). Ce dernier est donc « un chronomètre de Boissonnas
jeune de Genève, parfaitement réglé au méridien de
Hambourg »57.
Quelques pages avant que le voyage proprement dit ne commence
(page 145), Axel nous fait un exposé relativement détaillé
(et probable) de l'origine de l'Islande, île tirant sa source
d'après lui des feux souterrains58. Ainsi : « la
succession des phénomènes qui constituèrent
53 Ibid. page 48 ; cf. aussi note de bas de page
n° 8 de ce mémoire.
54 Ibid. page 150 ; cf. supra.
55 Ibid. page 55.
56 Cf. Document N°1.
57 Ibid. page 96.
58 Ibid. pages 128, 129 et 130.
l'Islande provenaient de l'action des feux intérieurs
»59. Sa description et son explication nous font alors
déjà remonter le cours du temps, tout comme le voyage au centre
de la terre.
Effectivement, d'un point de vue géologique, l'Islande
correspond à une des parties émergées de la dorsale
médio-atlantique de part et d'autre de laquelle les continents (Europe
et Amériques) s'éloignent (c'est ce que l'on appelle la
tectonique des plaques). De cette dorsale (où des remontées de
magma s'effectuent) les geysers et les volcans, par exemple, tirent ainsi leurs
origines. Ainsi, sont expliqués les nombreux épanchements
volcaniques décrits durant la traversée de l'Islande pour arriver
au pied du Sneffels60.
Pour appuyer le caractère dual du voyage (à la
fois dans l'espace et dans le temps), dès le début de la descente
Axel nous énumère parfaitement, en partant des plus
récentes aux plus anciennes, les époques géologiques qui
se sont succédé sur terre : « pliocène,
miocène, éocène, crétacé, jurassique,
triasique, pernien, carbonifère, dévonien, silurien, primitif
»61. Le pernien est plus connu actuellement sous le nom de
permien. Enfin, certaines époques géologiques ne sont pas
mentionnées, comme le cambrien et l'ordovicien (correspondant a
priori ici au primitif ; ère primaire) ainsi que le
paléocène et l'oligocène (respectivement situés de
part et d'autre de l'éocène ; ère tertiaire). De
même, rappelons que le Quaternaire fait ici partie intégrante de
l'ère tertiaire. Pour autant, ces propos préfigurent le contenu
du voyage.
C'est ainsi que la descente emmène d'abord les
voyageurs « en pleine époque de transition, en pleine
période silurienne »62. Jules
Verne remonte ainsi le cours du temps, en partant des époques
les plus anciennes pour arriver aux plus récentes. D'ailleurs Axel,
quelques pages plus loin, confirme cet état de fait : « Depuis
la veille, la création avait fait un progrès évident. Au
lieu des trilobites rudimentaires, j'apercevais des débris d'un ordre
plus parfait ; entre autres, des poissons Ganoïdes et ces Sauropteris dans
lesquels l'oeil du paléontologiste a su découvrir les
premières formes du reptile. Les mers dévoniennes étaient
habitées par un grand nombre d'animaux de cette espèce, et elles
les déposèrent par milliers sur les roches de nouvelle formation.
Il devenait évident que nous remontions l'échelle de la
59 Ibid. page 130.
60 Cf. chapitres XII à XV.
61 Ibid.
62 Ibid. page 165. L'auteur explique même en
note de bas de page l'origine du nom : « Ainsi nommée parce que
les terrains de cette période sont fort étendus en Angleterre,
dans les contrées habitées autrefois par la peuplade
vie animale dont l'homme occupe le sommet
»63. Enfin, une page plus loin, les voyageurs
découvrent une mine de charbon64 caractéristique de
l'époque carbonifère et permienne : « A cette âge
du monde qui précéda l'époque secondaire
»65. Il en est alors fini avec l'ère primaire... ce
qui correspond quand même à un voyage d'environ 330 millions
d'années66.
De la géologie nous passons alors à la
paléontologie, et il faut alors attendre 70 pages environ pour que les
explorateurs arrivent en pleine ère secondaire : « Voilà
toute la flore de la seconde époque du monde, de l'époque de
transition »67. Effectivement, quelques pages plus loin,
et à propos du combat de deux animaux d'abord difficilement
identifiables, le professeur Lidenbrock reconnaît un : «
ichtyosaurus » et un : « plesiosaurus
»68 dinosaures typiques de l'ère secondaire, et
plus particulièrement du jurassique. Entre temps, Jules
Verne fait voyager quelques moments ses héros en pleines
ères tertiaire et quaternaire : « Voilà la
mâchoire inférieure du mastodonte, disais-je ; voilà les
molaires du dinotherium ; voilà un fémur qui ne peut avoir
appartenu qu'au plus grand de ces animaux, au megatherium »69.
Ces dinosaures sont effectivement typiques de ces ères
géologiques :
· Le mastodonte est un mammifère fossile de la
fin du Tertiaire et du début du Quaternaire, voisin de
l'éléphant, mais muni de molaires mamelonnées et parfois
de deux paires de défenses.
· Le dinotherium est un mammifère fossile ayant
vécu au miocène en Europe. De la taille des
éléphants, il possédait à la mâchoire
inférieure deux défenses recourbées vers le sol.
· Le megatherium est un grand mammifère fossile des
terrains tertiaires et quaternaires d'Amérique du Sud, qui atteignait
4,5 mètres de long.
Source = Dictionnaire Petit Larousse,
1996.
celtique des Silaures ».
63 Ibid. page 169. Dans le paragraphe
précédent, Jules Verne nous décrit aussi
les terrains dévoniens dans l'étincellement des «
schistes », du « calcaire » et des «
vieux grès rouges ». La couleur rouge revient souvent comme
qualificatif des terrains observés ici, ces derniers ayant connu
probablement en cette période une forte oxydation
d'éléments ferrugineux.
64 Ibid. page 170.
65 Ibid. page 172.
66 Les différentes échelles des temps
géologiques construites par les géologues ne s'accordent pas
toutes quant à la datation exacte du début de l'ère
primaire...
67 Ibid. page 242.
68 Ibid. page 271.
69 Ibid. page 243.
L'arrivée dans l'ère tertiaire se fait, quant
à elle et outre la digression précédente, 30 pages plus
loin. Encore une fois, c'est par la paléontologie que se fait la
datation des terrains environnant, puisqu'Axel, le narrateur, fait
référence à des carapaces de glyptodons gisant sur le sol
: « J'apercevais aussi d'énormes carapaces dont le
diamètre dépassait souvent quinze pieds. Elles avaient appartenu
à ces gigantesques glyptodons de la période pliocène dont
la tortue moderne n'est plus qu'une petite réduction
»70. La période pliocène est clairement
mentionnée ici, datation correcte puisque le glyptodon appartient
réellement à la période pliocène -
pléistocène, le pléistocène correspondant à
la période la plus ancienne du Quaternaire, celle des principales
glaciations71.
Quelques pages plus loin, c'est aux origines de l'homme que
nous assistons. En effet, à la page 305, le professeur Lidenbrock
découvre une tête humaine, au milieu d'une mer d'ossements de
toutes sortes. Par la nature des terrains environnants, le professeur
Lidenbrock peut ainsi confirmer la théorie de MM. Milne - Edwards et de
Quatrefages selon laquelle les origines de l'homme remontent au
Quaternaire72 : « L'authenticité d'un fossile humain
de l'époque quaternaire semblait donc incontestablement
démontrée et admise »73. D'ailleurs, page
312, ce même professeur ne déclare-t-il pas : « c'est
là un homme fossile, et contemporain des mastodontes dont les ossements
emplissent cet amphithéâtre ».
Finalement, Axel nous prouve qu'il s'agit bien d'un voyage
dans le temps auquel il aspirait depuis longtemps : « Ce rêve
où j'avais vu renaître tout ce monde des temps
antéhistoriques, des époques ternaire et quaternaire, se
réalisait donc enfin ! »74.
70 Ibid. page 301.
71 Jusqu'à il y a - 20.000 ans environ, nous
étions encore en pleine période de glaciations.
72 Op. cit. VIERNE Simone. Jules Verne.
Une vie, une oeuvre, une époque. Page 162.
73 Op. cit. VERNE Jules. Voyage au
centre de la terre. Page 306.
74 Ibid. page 318.
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