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Espace et temps dans l'oeuvre de Jules Verne : « Voyage au centre de la terre » et dans le temps.

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par Lionel Dupuy
Université de Pau et des Pays de l'Adour - Certificat International d'Ecologie Humaine 1999
  

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B) - Un voyage dans le temps.

Outre le fait que ce voyage est une expédition scientifique et géographique, ce dernier est aussi, et c'est ce qui constitue le point central de notre travail, un formidable moyen de voyager dans le temps, à travers les différentes époques géologiques qui se sont succédé au cours de l'histoire de l'évolution de la terre56. Ainsi, hormis le manomètre et la boussole, le chronomètre fait partie intégrante des instruments amenés dans l'expédition, car c'est lui qui va permettre de mesurer le temps réel (celui qui s'écoule à la surface de la terre, alors que les voyageurs seront situés à l'intérieur du globe, sans aucun référentiel comme le soleil, la lune, les étoiles ou autres moyens d'apprécier l'heure qu'il est). Ce dernier est donc « un chronomètre de Boissonnas jeune de Genève, parfaitement réglé au méridien de Hambourg »57.

Quelques pages avant que le voyage proprement dit ne commence (page 145), Axel nous fait un exposé relativement détaillé (et probable) de l'origine de l'Islande, île tirant sa source d'après lui des feux souterrains58. Ainsi : « la succession des phénomènes qui constituèrent

53 Ibid. page 48 ; cf. aussi note de bas de page n° 8 de ce mémoire.

54 Ibid. page 150 ; cf. supra.

55 Ibid. page 55.

56 Cf. Document N°1.

57 Ibid. page 96.

58 Ibid. pages 128, 129 et 130.

l'Islande provenaient de l'action des feux intérieurs »59. Sa description et son explication nous font alors déjà remonter le cours du temps, tout comme le voyage au centre de la terre.

Effectivement, d'un point de vue géologique, l'Islande correspond à une des parties émergées de la dorsale médio-atlantique de part et d'autre de laquelle les continents (Europe et Amériques) s'éloignent (c'est ce que l'on appelle la tectonique des plaques). De cette dorsale (où des remontées de magma s'effectuent) les geysers et les volcans, par exemple, tirent ainsi leurs origines. Ainsi, sont expliqués les nombreux épanchements volcaniques décrits durant la traversée de l'Islande pour arriver au pied du Sneffels60.

Pour appuyer le caractère dual du voyage (à la fois dans l'espace et dans le temps), dès le début de la descente Axel nous énumère parfaitement, en partant des plus récentes aux plus anciennes, les époques géologiques qui se sont succédé sur terre : « pliocène, miocène, éocène, crétacé, jurassique, triasique, pernien, carbonifère, dévonien, silurien, primitif »61. Le pernien est plus connu actuellement sous le nom de permien. Enfin, certaines époques géologiques ne sont pas mentionnées, comme le cambrien et l'ordovicien (correspondant a priori ici au primitif ; ère primaire) ainsi que le paléocène et l'oligocène (respectivement situés de part et d'autre de l'éocène ; ère tertiaire). De même, rappelons que le Quaternaire fait ici partie intégrante de l'ère tertiaire. Pour autant, ces propos préfigurent le contenu du voyage.

C'est ainsi que la descente emmène d'abord les voyageurs « en pleine époque de transition, en pleine période silurienne »62. Jules Verne remonte ainsi le cours du temps, en partant des époques les plus anciennes pour arriver aux plus récentes. D'ailleurs Axel, quelques pages plus loin, confirme cet état de fait : « Depuis la veille, la création avait fait un progrès évident. Au lieu des trilobites rudimentaires, j'apercevais des débris d'un ordre plus parfait ; entre autres, des poissons Ganoïdes et ces Sauropteris dans lesquels l'oeil du paléontologiste a su découvrir les premières formes du reptile. Les mers dévoniennes étaient habitées par un grand nombre d'animaux de cette espèce, et elles les déposèrent par milliers sur les roches de nouvelle formation. Il devenait évident que nous remontions l'échelle de la

59 Ibid. page 130.

60 Cf. chapitres XII à XV.

61 Ibid.

62 Ibid. page 165. L'auteur explique même en note de bas de page l'origine du nom : « Ainsi nommée parce que les terrains de cette période sont fort étendus en Angleterre, dans les contrées habitées autrefois par la peuplade

vie animale dont l'homme occupe le sommet »63. Enfin, une page plus loin, les voyageurs découvrent une mine de charbon64 caractéristique de l'époque carbonifère et permienne : « A cette âge du monde qui précéda l'époque secondaire »65. Il en est alors fini avec l'ère primaire... ce qui correspond quand même à un voyage d'environ 330 millions d'années66.

De la géologie nous passons alors à la paléontologie, et il faut alors attendre 70 pages environ pour que les explorateurs arrivent en pleine ère secondaire : « Voilà toute la flore de la seconde époque du monde, de l'époque de transition »67. Effectivement, quelques pages plus loin, et à propos du combat de deux animaux d'abord difficilement identifiables, le professeur Lidenbrock reconnaît un : « ichtyosaurus » et un : « plesiosaurus »68 dinosaures typiques de l'ère secondaire, et plus particulièrement du jurassique. Entre temps, Jules Verne fait voyager quelques moments ses héros en pleines ères tertiaire et quaternaire : « Voilà la mâchoire inférieure du mastodonte, disais-je ; voilà les molaires du dinotherium ; voilà un fémur qui ne peut avoir appartenu qu'au plus grand de ces animaux, au megatherium »69. Ces dinosaures sont effectivement typiques de ces ères géologiques :

· Le mastodonte est un mammifère fossile de la fin du Tertiaire et du début du Quaternaire, voisin de l'éléphant, mais muni de molaires mamelonnées et parfois de deux paires de défenses.

· Le dinotherium est un mammifère fossile ayant vécu au miocène en Europe. De la taille des éléphants, il possédait à la mâchoire inférieure deux défenses recourbées vers le sol.

· Le megatherium est un grand mammifère fossile des terrains tertiaires et quaternaires d'Amérique du Sud, qui atteignait 4,5 mètres de long.

Source = Dictionnaire Petit Larousse, 1996.

celtique des Silaures ».

63 Ibid. page 169. Dans le paragraphe précédent, Jules Verne nous décrit aussi les terrains dévoniens dans l'étincellement des « schistes », du « calcaire » et des « vieux grès rouges ». La couleur rouge revient souvent comme qualificatif des terrains observés ici, ces derniers ayant connu probablement en cette période une forte oxydation d'éléments ferrugineux.

64 Ibid. page 170.

65 Ibid. page 172.

66 Les différentes échelles des temps géologiques construites par les géologues ne s'accordent pas toutes quant à la datation exacte du début de l'ère primaire...

67 Ibid. page 242.

68 Ibid. page 271.

69 Ibid. page 243.

L'arrivée dans l'ère tertiaire se fait, quant à elle et outre la digression précédente, 30 pages plus loin. Encore une fois, c'est par la paléontologie que se fait la datation des terrains environnant, puisqu'Axel, le narrateur, fait référence à des carapaces de glyptodons gisant sur le sol : « J'apercevais aussi d'énormes carapaces dont le diamètre dépassait souvent quinze pieds. Elles avaient appartenu à ces gigantesques glyptodons de la période pliocène dont la tortue moderne n'est plus qu'une petite réduction »70. La période pliocène est clairement mentionnée ici, datation correcte puisque le glyptodon appartient réellement à la période pliocène - pléistocène, le pléistocène correspondant à la période la plus ancienne du Quaternaire, celle des principales glaciations71.

Quelques pages plus loin, c'est aux origines de l'homme que nous assistons. En effet, à la page 305, le professeur Lidenbrock découvre une tête humaine, au milieu d'une mer d'ossements de toutes sortes. Par la nature des terrains environnants, le professeur Lidenbrock peut ainsi confirmer la théorie de MM. Milne - Edwards et de Quatrefages selon laquelle les origines de l'homme remontent au Quaternaire72 : « L'authenticité d'un fossile humain de l'époque quaternaire semblait donc incontestablement démontrée et admise »73. D'ailleurs, page 312, ce même professeur ne déclare-t-il pas : « c'est là un homme fossile, et contemporain des mastodontes dont les ossements emplissent cet amphithéâtre ».

Finalement, Axel nous prouve qu'il s'agit bien d'un voyage dans le temps auquel il aspirait depuis longtemps : « Ce rêve où j'avais vu renaître tout ce monde des temps antéhistoriques, des époques ternaire et quaternaire, se réalisait donc enfin ! »74.

70 Ibid. page 301.

71 Jusqu'à il y a - 20.000 ans environ, nous étions encore en pleine période de glaciations.

72 Op. cit. VIERNE Simone. Jules Verne. Une vie, une oeuvre, une époque. Page 162.

73 Op. cit. VERNE Jules. Voyage au centre de la terre. Page 306.

74 Ibid. page 318.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault