D - Une géographie traditionnelle et
descriptive.
La méthode inductive prime dans les démarches
scientifiques, le paradigme en géographie est naturaliste, le
déterminisme physique et environnemental28 est
prégnant (cf. la géomorphologie). La géographie - et les
autres sciences -, décrit souvent les phénomènes qu'elle
étudie plus qu'elle ne les explique. Cette vision classique doit se
concevoir dans une conception idiographique de la géographie, qui
s'intéresse plus aux lieux et à leurs particularités,
qu'à la volonté de dégager des règles
générales, des lois (nomos en grec, ce qui donne
nomothétique, s'opposant à idiographique).
E - Et Jules Verne dans tout cela ?
Bien que contemporain de ces inventions et aussi d'autres
qu'il a vues naître, comme le téléphone, la radio, les
rayons X ou encore l'automobile29, ces dernières ne jouent
pas dans l'oeuvre de Jules Verne un rôle important.
Néanmoins, Jules Verne utilise les
découvertes scientifiques et techniques de son époque comme
support de ses nombreuses aventures, et souvent, à chaque roman
correspond la description, l'explication et l'utilisation d'une (ou de
plusieurs) invention récente. Il traduit et diffuse ainsi à un
large public les derniers progrès en matière de science et de
technique, et extrapole à partir de ces derniers les possibilités
qu'ils pourraient offrir à l'avenir si l'utilisation qui en est faite
devait aller en augmentant. Or, Jules Verne, extrapole plus
qu'il n'anticipe, ce qui peut expliquer en partie le fait que certaines de ses
prédictions (de « relatives » prédictions) se soient
réalisées, et que d'autres stagnent dans le domaine de
l'irréel ou encore de la science-fiction... Ainsi, ce qui est
remarquable dans son oeuvre, c'est sa capacité d'extrapolation qui se
développe à la limite de l'anticipation. Voilà l'un des
points centraux qui mérite d'être souligné. Ce subtil
équilibre entre rationalisme, imagination et science-fiction est,
semble-t-il, au centre de l'oeuvre de Jules
Verne30. Car, le fait est, que souvent le réel vient
à dépasser tôt ou tard ce qui avant était de la
science-fiction...
28 Pour le déterminisme en géographie,
cf. Karl Ritter (1779-1859) ; pour l'environnementalisme, cf.
Frédérick Ratzel (1844-1904).
29 Le téléphone est inventé en
1876 par Alexander Graham Bell (1847-1922) ; les rayons X
découverts par Roentgen en 1895 ; la radio
inventée en 1890.
30 En effet, nous émettons ici uniquement et
simplement une hypothèse de travail.
Jules Verne est un optimiste du
progrès, même si parfois il tient des propos sceptiques sur
l'avenir de l'humanité face à une modernisation accrue et
à outrance. Ainsi, dans Cinq semaines en ballon (1863)
:
« - D'ailleurs, dit Kennedy, cela sera
peut-être une fort ennuyeuse époque que celle où
l'industrie absorbera tout à son profit ! A force d'inventer des
machines, les hommes se feront dévorer par elles ! Je me suis toujours
figuré que le dernier jour du monde sera celui où quelque immense
chaudière chauffée à trois milliards d'atmosphères
fera sauter le globe !
- Et j'ajoute, dit Joe, que les Américains n'auront
pas été les derniers à travailler à la machine.
»31
Ce passage sceptique sur les effets a posteriori de
l'industrie s'insère dans un plus large roman où, au contraire,
les progrès scientifiques et techniques sont présentés
comme les outils destinés à l'élaboration d'un monde
meilleur. D'ailleurs, Jules Verne, traduit dans ses romans les
goûts de la société du moment. Ainsi, nous pouvons citer
:
Voyage au centre de la terre (1864),
Jules Verne traduit l'intérêt croissant du public
pour la géologie, la paléontologie, la minéralogie, les
théories de l'évolution.
De la terre à la lune (1865), il traduit
les goûts du public en matière de balistique,
d'aéronautique, d'astronomie et de la recherche d'une éventuelle
forme de vie extra-terrestre.
Cinq semaines en ballon (1863), ainsi que dans
Le tour du monde en 80 jours (1873), il traduit
l'intérêt porté aux voyages, aux découvertes,
à la géographie et à l'histoire.
Enfin, dernier exemple que nous citerons ici, dans Vingt
mille lieues sous les mers (1870), il décrit les
goûts en matière d'océanographie et d'exploration
sous-marine.
Jules Verne reprend aussi par la suite des
thèmes moraux et essaie de faire connaître certains abus sociaux
et environnementaux contemporains. Par exemple, dans L'Ile à
hélice (1895) il décrit le fléau des
politiciens et des missionnaires qui détruisirent les cultures
31 VERNE Jules. Cinq semaines en
ballon. Paris : Hetzel, 1996 (réédition de l'ouvrage
original de 1863). Page 124.
indigènes de diverses îles polynésiennes.
Dans Le Sphinx des glaces (1897), il met en garde contre
l'extinction imminente des baleines. Dans Le Testament d'un
excentrique (1899), il signale (déjà) la pollution
causée par l'industrie du pétrole. Enfin, car la liste pourrait
être allongée, dans le Village aérien
(1901), il dénonce le massacre des éléphants pour leur
ivoire.
Ainsi, Jules Verne semble visionnaire, mais
aussi inspirateur ; en effet, les responsables du programme APOLLO 11 (du
16/07/1969) se sont sans doute inspirés des romans de Jules
Verne. Pour autant, ont-ils choisis la Floride comme lieu de
départ d'après le roman de Jules Verne, ou ce
dernier n'a-t-il fait preuve en fait que de bon sens...?
De notre point de vue, Jules Verne a
essayé de traduire la complexité du monde par une approche
transdisciplinaire en proposant des voyages dits « extraordinaires »,
en ce sens qu'ils sortent de l'ordinaire, en diffusant les derniers
résultats des recherches scientifiques et techniques. Cette
transdisciplinarité est à la base de la démarche
adoptée par l'écologie humaine, d'où le choix de notre
part de cet auteur et de ce thème de recherche («
Espace et Temps dans l'oeuvre de Jules Verne »). Car, si les
voyages de Jules Verne sont extraordinaires - en dehors de la
norme, à la marge -, il ne faut pas oublier qu'en cette fin de 20°
siècle, les scientifiques se sont rendu compte que les progrès
scientifiques et techniques ne peuvent réellement se réaliser que
si la recherche s'effectue à la marge de sa discipline de
prédilection. Cette constatation très appuyée aujourd'hui
s'oppose ainsi à l'hyperspécialisation qui ferme toute chance
d'avancer dans le domaine de la connaissance scientifique (et technique).
Ainsi, Jules Verne a-t-il fait de l'écologie humaine
avant même que le terme ne soit inventé, et que la discipline ne
soit envisagée. Est-ce alors de l'anticipation, de l'imagination ou de
l'extrapolation de sa part...?
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