Le rétablissement de l'Etat de droit dans une société en reconstruction post-conflictuelle: l'exemple de la sierra léone( Télécharger le fichier original )par Jukoughouo Halidou Ngapna Institut des Droits de l'Homme de Lyon & Université Pierre Mendès France de Grenoble - Master 2, Recherche, Histoire du Droit, Droit et Droits de l'Homme 2007 |
CONCLUSION GENERALEL'étude d'une société en reconstruction post conflictuelle nécessite le recul suffisant pour observer les faits, analyser les données et interpréter les résultats des hypothèses. Comme nous l'avions fait remarquer au début de notre étude, le processus de rétablissement de l'Etat de droit dans une société en reconstruction post conflictuelle est gouverné essentiellement par le principe de justice. Justice pénale pour les victimes et contre les criminels, justice réparatrice pour l'ensemble de la société, dont la cohérence et les interactions doivent être rétablies. Répondre aux dilemmes et contradictions que représentent les caractéristiques d'une société en fin de conflit suppose la prise en charge non seulement des données personnelles, mais aussi et surtout collectives pour harmoniser et arbitrer les intérêts de toutes les couches sociales. Le premier dilemme est organique : à qui faire confiance pour rétablir l'équilibre dans une société ? Quelle est l'institution, l'organe ou la personnalité susceptible d'identifier et de mener à bien les objectifs de la nouvelle société ? La société sierra léonaise, en crise d'identité après 10 ans de conflit, a besoin d'être rassurée, de reconstruire les bases du lien social et du vivre ensemble. La mise en place des mécanismes de justice transitionnelle nécessite l'existence d'une autorité publique légitime. Cette autorité peut être consensuelle et chargée exclusivement de mener le processus transitionnel à terme327(*). Il peu aussi, comme c'est le cas de la Sierra Léone, s'agir d'un pouvoir démocratiquement élu qui, en plus des autres fonctions régaliennes l'Etat, se charge du processus de rétablissement de l'Etat de droit. Le rétablissement de l'ordre constitutionnel choisi par la Sierra Léone dès les premiers mois de la transition a produit des résultats positifs dans la stabilisation de la société. Pourtant il y avait un risque encore important d'instabilité. En effet, rétablir dans les fonctions de Président Ahmad Tejan KABBAH était un parti pris qui suscitait un certain nombre de questions fondamentales. Ce dernier ne disposait pas d'une puissance militaire suffisante pour rétablir son autorité sur tout le pays, son influence se limitant à Freetown et à sa périphérie. Le reste du territoire, y compris les régions d'exploitation des ressources stratégiques, étaient aux mains du RUF/AFRC. Pour combler ce déficit, la mise en place d'une imposante Mission des Nations unies a permis de rétablir la sécurité et d'instituer des projets alternatifs au conflit. Le choix organique doit obéir au plan interne à une double légitimité : la légitimité élective et la légitimité par la proximité. Les institutions jouissant de la légitimité élective sont ceux dont la création découle plus ou moins directement d'un processus de consultation. Le Président de la République, son gouvernement et le Parlement appartiennent à cette catégorie. Les institutions de justice transitionnelle comme la Cour spéciale et la Commission vérité et réconciliation, crées respectivement à l'initiative du Gouvernement et du Parlement obéissent à cette logique. Parmi les acteurs, la légitimité par de proximité concerne tous les acteurs associatifs. Les ONG et associations tirent leur légitimité d'action de leurs rapports étroits avec la population et les groupes dont ils défendent les intérêts. Ne pas les inclure dans une dynamique décisionnelle serait peu bénéfique pour le succès des réformes à engager. Le second dilemme est processuel : quel processus doit ont mettre en oeuvre pour reconstruire la société et fonder les bases d'un nouveau vivre ensemble ? Pour rendre justice aux victimes, punir les violations des droits de l'Homme et prévenir de tels abus dans le futur, fallait-il pour les sierra léonais choisir entre la mise en ouvre effective de l'Accord de paix de Lomé, c'est-à-dire octroyer l'amnistie aux perpétrateurs d'atrocités et promouvoir la réconciliation ou alors écarter les clauses amnistiantes pour entamer un processus pénal ? La question à laquelle il fallait trouver des réponses était celle de savoir si la justice et la réconciliation étaient conciliables. En effet, les objectifs de justice et de réconciliation ne sont pas inconciliables, mieux, l'un ne peut valablement exister sans l'autre. Si l'effet principal de la justice pénale est la punition, son objectif est de permettre aux perpétrateurs d'assumer leurs actes, aux victimes d'être reconnues et à la société d'espérer une stabilisation. La justice n'est pas que strictement pénale, elle est aussi réparatrice en permettant des mécanismes secondaires de responsabilité. Le retour des ex-combattants dans leurs régions d'origine, la prise en compte des besoins des victimes et la punition de ceux qui portent la plus grande responsabilité dans les crimes est une composition originale dont les résultats ont permis aux Sierra léonais de renouer avec la paix et une certaine justice sociale. La société sierra léonaise étant éminemment consensuelle, tous les procédés considérés comme facteurs de division du pays comme la lustration ou le vetting ont été écartés pour laisser la place à la formation et à la sensibilisation, plus propice à la responsabilisation de la société. Le rétablissement de la démocratie, de la sécurité et de l'Etat de droit dans une société en reconstruction, en plus d'être soumis à des dilemmes est aussi une question d'intransigeances. Des intransigeances relatives aux principes fondamentaux qui doivent gouverner les politiques mises en place dans ce cadre. Les droits de l'Homme et les traditions constituent cette base fondamentale sur laquelle s'appuient les décisions publiques. Pas les droits de l'Homme de manière exclusive, ni les traditions sans prise en compte de l'ensemble des principes fondamentaux qui gouvernent les sociétés humaines. L'esprit de la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples dont le préambule reconnaît la prise en compte « des traditions historiques et des valeurs des civilisations africaines qui doivent inspirer et caractériser leurs réflexions ( ...)328(*) » est révélatrice de l'arbitrage nécessaire qui doit exister entre les valeurs traditionnelles africaines et les droits de l'Homme qui sont considérés, à tort ou à raison, de conception éminemment occidentale329(*). La justice transitionnelle permet de mettre en place un certain nombre de mécanismes répressifs et préventifs dans le domaine du droit et de la sécurité de l'Etat et des personnes. La répression, les réparations et la réconciliation sont les maîtres mots de cette entreprise, la consolidation de ces acquis et leur pérennité appelant un certain nombre de réformes dans les appareils de l'Etat. La bonne gouvernance politique et économique fonde le développement des pays en transition, apportant ainsi une alternative à la violence comme moyen d'expression, de conquête politique et d'accumulation de richesses. La redistribution équitable du produit issu de l'exploitation des ressources naturelles par l'implication des acteurs locaux dans l'adoption et la mise en place des politiques de développement, l'assainissement des comptes publics et la lutte contre la corruption concourent à cet équilibre étatique. La Sierra Léone s'est inspiré de plusieurs modèles de justice transitionnelle pour mettre en place la Cour spéciale et la Commission vérité et réconciliation. Mais, elle a fait preuve d'originalité dans la conception et le mandat de ces deux institutions. La Cour spéciale a emprunté aux TPIR et TPIY leur Règlement de procédure et preuves ainsi que leurs spécialistes et juristes. Elle y a ajouté la législation interne, en incriminant sur la base des lois nationales330(*), et les juges nationaux qui siègent aux côtés des internationaux. C'est la remarquable expérience d'une Cour hybride dont le principal mérite est de siéger sur les lieux où les atrocités ont été commises, permettant ainsi aux populations de s'approprier le processus de répression des crimes de guerre qu'elles ont subis. A l'état actuel de son processus, nous pouvons tout de même regretter la faiblesse des moyens dont elle dispose, notamment le manque des pouvoirs relatifs au Chapitre VII de la Charte des Nations unies et la faiblesse de ses moyens financiers qui ont considérablement ralenti le cours des procès. Les affaires sont encore en jugement alors que deux des principaux accusés sont décédés331(*). La Commission vérité et réconciliation a quant à elle pris en compte les différentes modalités de gestion des conflits des peuples sierra léonais. Les rituels traditionnels de réhabilitation, de purification et d'hommage aux morts et les procédés plus classiques d'audition et d'enquête ont débouché sur un rapport qui fixe les principaux enjeux de la consolidation de la paix en Sierra Léone. Chose inédite, la CVR et la Cour spéciale ont commencé leurs mandats presqu'au même moment. Le manque de précisions dans leurs statuts respectifs quant aux échanges éventuels d'informations a laissé planer un doute sur les objets des deux institutions et a freiné l'enthousiasme des populations à coopérer avec l'une ou l'autre. Il serait opportun, dans le cadre de mise en place d'institutions de justice transitionnelle, d'anticiper et de préciser les rapports entre une cour et une commission de vérité. Les institutions de justice transitionnelle ont permis de poser les jalons de la future société sierra léonaise, des avancés considérables étant obtenues dans la confiance des populations vis-à-vis de leurs institutions publiques, dans la reconstruction du tissu social et le rétablissement de la démocratie. Malgré tout, la société et l'Etat sierra léonais restent encore fragiles. Fragiles à cause des contraintes politiques, économiques, culturels et sécuritaires. Dans la sous région d'Afrique de l'Ouest, la Côte d'Ivoire et le Libéria sont, chacun à sa manière entrain de renouer avec la stabilité pendant que la Guinée montre des signes de faiblesse. Plus loin dans la région des Grands lacs, le Burundi, le Sud Soudan, la République Démocratique du Congo et l'Uganda sont entrain de sortir progressivement su cycle de la violence. Ce sont là des exemples qui sont loin de ne pas susciter des intérêts scientifiques. Tout au long de cette étude, nous avons essayé de présenter des mécanismes de justice transitionnelle, c'est-à-dire les principaux procédés à mettre en oeuvre pour assurer une sortie de crise fiable et durable. Cependant, environ 45% de pays qui sortent d'une crise plus ou moins grave retombent dans les travers de la violence moins de cinq ans après la fin du conflit332(*). Les causes de cette rechute sont plus à rechercher dans la période d'avant le conflit que celle qui a suivi la guerre, car les guerres sont le résultat de la fragilité d'un Etat, cette fragilité s'évaluant à travers un certain nombre de critères. Les clés de la compréhension et de la gestion des problèmes posés par une situation post-conflictuelle résident donc dans une analyse complète de la situation de stabilité qui a précédé le déclenchement de la guerre. Comprendre que les Etats en guerre aujourd'hui ont été fragiles avant le conflit et le seront après, détecter dans les sociétés en reconstruction post-conflictuelle des signes de fragilité permettront d'anticiper et de réduire les risques de transformation d'une crise éventuelle en une guerre effective. Notre propos occupe donc une position médiane entre deux types de fragilités : la fragilité dite primaire, celle qui précède le déclenchement de la guerre et la fragilité secondaire, qui vient après la transition. Ces deux types de fragilité présentent des caractères similaires, même si les conclusions ne sont pas les mêmes. Cette étude a vocation à être poursuivie, d'abord pour les questions relatives à la justice transitionnelle qu'elle n'a pu aborder ou approfondir, notamment en ce qui concerne la réinsertion des enfants soldats, l'assainissement des institutions de la police et de l'armée, le de la réparation symbolique dans la réconciliation, les diverses dynamiques de la réparation et de la réhabilitation, le rôle des Nations unies et des ONG, etc. Ensuite, du fait qu'elle est consacrée à l'analyse d'une situation en cours, notre étude est soumise à l'évolution de la situation du pays. Que ce soit au niveau de la Cour spéciale, notamment avec le décès de Hinga NORMAN et les délibérations qui se terminent ou de la situation politico institutionnelle du pays avec les prochaines élections, la fin de la Mission des Nations unies et la création de nouvelles institutions de gestion du pays. Enfin, ce travail est susceptible d'être complété par une analyse plus exhaustive des indicateurs de la fragilité de l'Etat et de la recherche des solutions à mettre en oeuvre pour endiguer l'évolution vers la violence. INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES333(*) 1. 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Etats-Unis, 27 juin 1986 · NZIRORERA, CAS n° ICTR-97-20, Decision on the Defence Motion Seeking an Order to the Prosecutor to Investigate the Circumstances of the Crash of the President HABIARIMANA's Plane, 2 Juin 2000 · Prosecutor Vs FURUNDZIZA, cas n° IT-95-17 du 16 juillet 1998 · Prosecutor vs. Issa SESSAY, SCSL-04-15-PT-140. «Decision on Defence Motion Seeking the Disqualification of Judge ROBERTSON from the Appellate Chamber» 13 mars 2004. · TAYLOR case, SCSL-2003-01-I, Prosecutor, vs. Charles Ghankay TAYLOR · The AFRC case, n° SCSM-2004-16-PT, Prosecutor vs. BRIMA, KAMARA and KANU · The CDF case, AF n° SCSL-03-14-I, Prosecutor vs. NORMAN, FOFANA and KONDEWA · The Prosecutor Vs Foday Saybana SANKOH (case N° SCSL-2003-02-PT), Withdrawal of Indictment, 8 décembre 2003 · The Prosecutor Vs Sam BOCKARIE, (case N° SCSL-2003-04-PT), Withdrawal of Indictment, 8 décembre 2003 · The RUF case, AF n° SCSL-2004-15 PT, Prosecutor vs. SESSAY, KALLON and GBAO · TPIR, BARAGAWISA, Chambre d'Appel, cas n° ICTR-97-19, arrêt du 3 novembre 1999 6. Sites internet · Centre International pour la Justice Transitionnelle : www.ictj.org · Commission Vérité et Réconciliation: www.trcsierraleone.org · Cour Pénale Internationale: www.icc-cpi.org · Cour spéciale pour la Sierra Léone: www.sc-sl.org · Human Rights Watch : www.hrw.org · Organisation des Nations Unies : www.un.org · Recueil des lois de la Sierra Léone: www.sierra-leone.org/laws.html · Réseau Africain de Recherche sur la Justice Transitionnelle : www.transitionaljustice.org · Sierra Leone Court Monitoring Programme: www.slcmp.org * 327 C'est notamment les exemples du Libéria et de la République Démocratique du Congo où des gouvernements dits de transition ont été mis en place pour régler les questions relatives au rétablissement de l'ordre constitutionnel. * 328 Paragraphe 5 du Préambule de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples. * 329 PANNIKAR, « La notion des droits de l'Homme est-elle un concept occidental ?», Interculture Vol. XVII, n° 1, Cahier 82, pp 3-27, 1984. * 330 La Prevention of cruelty against children Act de 1926 et la Malicious Dammage Act de 1861. * 331 Foday SANKOH est décédé le 30 juillet 2003, avant même l'ouverture de son procès. Hinga NORMAN, quant à lui, est décédé le 22 février 2007 à Dakar pendant que son procès était en phase d'appel. * 332 Chiffre d'une enquête de Paul COLLIER cité par Jean-Marc CHATAIGNER et Hervé MAGRO dans Les Etats et Sociétés Fragiles, Karthala, Paris, 2007. * 333 Les titres présents dans cette rubrique sont ceux qui nous ont été utiles pour les recherches nécessaires à la rédaction du présent mémoire et des travaux à venir. |
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