Le rétablissement de l'Etat de droit dans une société en reconstruction post-conflictuelle: l'exemple de la sierra léone( Télécharger le fichier original )par Jukoughouo Halidou Ngapna Institut des Droits de l'Homme de Lyon & Université Pierre Mendès France de Grenoble - Master 2, Recherche, Histoire du Droit, Droit et Droits de l'Homme 2007 |
CHAPITRE PRELIMINAIRE : COMPRENDRE LE CONTEXTE SIERRA LEONAISLa Sierra Léone moderne, à l'instar du Libéria voisin, est le résultat de l'abolition de l'esclavage au XIXe siècle. Ce petit territoire de 71 740 Km² - confiné entre la Guinée-Conakry au nord-ouest, le Libéria au sud-est et ouvert à l'océan Atlantique au sud - a été découvert en 1462 par l'explorateur Pedro DA CINTRA qui lui donne le nom de Sierra Leone qui signifie en portugais « montagne du lion » à cause des formes montagneuses de la côte. Elle fut achetée par les britanniques en 1787 où ils fondèrent Freetown (la ville des hommes libres), pour y installer les esclaves affranchis qui voulaient retrouver leurs racines africaines. Ces anciens esclaves s'installeront tout au long de la côte à côté des tribus mandingues15(*) installées depuis le XVe siècle. Ces Krio16(*) qui représentent un peu plus de 10 % de la population vont tout de suite s'imposer comme la classe dominante du pays du fait de son niveau d'instruction17(*) et des privilèges qui leur sont accordés par le colon anglais. Cette position dominante se traduira après l'indépendance par des politiques économiques défavorables aux autres parties du pays qui, malgré leurs richesses en métaux précieux18(*), sont restées majoritairement agricultrices et très pauvres. La Sierra Léone, peuplée aujourd'hui d'environ 6 millions d'habitants, est l'un des pays les plus denses d'Afrique19(*). C'est aussi, en raison des ravages de la guerre civile l'un des Etats les plus pauvres du monde20(*) et où l'espérance de vie est la plus courte. L'on peut se demander comment une société qui, à l'indépendance comptait les cadres les plus compétents et dont les richesses minières le prédestinaient à un avenir prospère pouvait arriver à ce niveau de développement économique aussi bas qui la pousserait dans des affrontements aussi sanglants ? En d'autres termes, quelles sont les conditions ayant présidé à la détérioration des relations entre les populations qui vivaient, malgré les différences, dans une relative fraternité et pratiquent pour la plupart21(*) la même religion ? Le conflit de la décennie 1991-2000 (III) qui atteindra son point culminant en 1999 (IV) semble être le résultat logique d'une histoire marquée par des crises politiques à répétition (II) alors que la république est issue d'une décolonisation pacifique (I). I. Une décolonisation progressive et pacifiqueLa Sierra Léone devient en 1792 la première colonie britannique d'Afrique de l'Ouest. La période coloniale sera divisée en deux phases. La première partie, allant de 1792 à 1951 est marquée par une direction centralisée des affaires du pays. C'est une colonie comme toutes les autres, administrée par un gouverneur sous l'autorité directe du ministère des colonies. De part l'histoire spécifique de ce pays, la métropole sera particulièrement attentive à son développement intellectuel et économique, accentué par l'installation dans la ville de Freetown des centaines de colons qui s'occuperont du petit commerce et des exploitations agricoles. La seconde phase de la colonisation de la Sierra Léone est fortement influencée par les mouvements de revendication d'indépendance qui ont secoué les colonies et territoires sous tutelle après la seconde guerre mondiale. Le gouvernement britannique cède à la pression des Sierra léonais et leur octroie une large autonomie en 1951. C'est à cette époque que l'actuelle organisation administrative se met en place. Le pouvoir s'appuie sur les chefferies traditionnelles qui rendent la justice, prélèvent les impôts et exécutent les politiques en matière de santé et d'hygiène. Les Paramount chieves ne sont en revanche pas compétents pour l'éducation, la défense, l'économie et les relations extérieures. En 1954, Milton MARGAÏ est nommé Ministre en chef, la première autorité indigène du pays. Il sera très actif sur le plan national et international. Avec Sékou TOURE de la Guinée-Conakry, Kwame NKRUMAH du Ghana et le président Félix HOUPHOUËT BOIGNY de la Côte d'Ivoire, il sera l'un des représentants de l'Afrique de l'Ouest à la conférence de Bandoeng22(*). C'est donc logiquement qu'il prend la tête du premier gouvernement local avec rang de premier ministre délégué en 1958, conduira les négociations d'indépendance avec le gouvernement britannique et deviendra le premier Président de la République dès 1961. * 15Outre les Krio, la Sierra Léone compte 20 groupes ethniques dont les Temne (30 %), Mende (30 %) et les Bantous. * 16 Ou Créoles, parlent une langue très proche de l'Anglais. * 17 Le Fourah Bay College, fondé en 1827, est la première université moderne d'Afrique noire. Elle formera la première élite de la Sierra Léone et des pays voisins qui se chargeront de la gestion du pays après l'indépendance. * 18 Le sous-sol de l'Est sierra léonais est en effet riche en fer, bauxite, rutile, or, platine, chrome et détient l'un des diamants les plus purs au monde. * 19 On estime sa densité à 84 habitants au km² et les populations sont concentrées dans les grandes villes (Freetown, Port Loko, Lumsar, Makeni, Bo, Kenema, Koidu et Koindu) où l'économie est construite autour des ports et commerces des immigrés libanais et européens. * 20 176ème sur 177 au classement de l'Indice de Développement Humain (IDH) du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), la Sierra Léone a 576 dollars de Produit Intérieur Brut par habitant, 774,5 % de la population vivant avec mois d'un dollar par jour. L'espérance de vie à la naissance est estimée à 41 ans pendant que les taux d'alphabétisation des adultes et de scolarisation au primaire et secondaire sont respectivement de 35,1 et 65% (données tirés du rapport de l'IDH 2006 disponible sur le site Internet du PNUD : www.undp.org). A vrai dire, la guerre n'a fait que cristalliser cette position car une année avant même le début du conflit, le PNUD classait déjà le pays au 160e rang de l'IDH, voir Jean-Marc CHÂTAIGNER, L'ONU dans la crise en Sierra Léone : les méandres d'une négociation, KARTHALA, Paris 2005. * 21 60% de la population est musulmane, 10 % chrétienne et 30 % animiste. * 22 La conférence de Bandoeng de 1955 est l'un des évènements les plus marquants de la vie des pays du Tiers-monde et sous colonisation. |
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