Le rétablissement de l'Etat de droit dans une société en reconstruction post-conflictuelle: l'exemple de la sierra léone( Télécharger le fichier original )par Jukoughouo Halidou Ngapna Institut des Droits de l'Homme de Lyon & Université Pierre Mendès France de Grenoble - Master 2, Recherche, Histoire du Droit, Droit et Droits de l'Homme 2007 |
B. Organe d'instruction et de poursuitesLe Procureur reçoit les informations relatives aux crimes relevant de la compétence de la Cour, conduit les enquêtes et soutient l'accusation devant l'organe juridictionnel. Il jouit des immunités et des avantages liés à l'exercice de ses fonctions. Le Procureur est la tête visible de l'organe d'instruction au point où l'évocation des fonctions cet organe ramènent souvent à la seule personne du Procureur. Pourtant, l'organe de poursuites et d'instruction jouit d'une organisation particulière (1) et a des attributions touchant aux droits et à la liberté des personnes (2).
L'organe d'instruction d'une institution judiciaire internationale est organisé de manière hiérarchique. Le procureur est à la tête et est secondé par un vice-procureur qui doit être de nationalité différente que lui (art. 42 § 2 du Statut de Rome, art. 13 § 3 Statut du TPIR). En ce qui concerne la Cour spéciale, le Procureur est nommé, en vertu de l'article 15 du statut de la Cour spéciale par le Secrétaire général des Nations unies pour un mandat de trois ans renouvelables. Le Procureur doit jouir d'un très grand niveau de compétence en matière de droit international des droits de l'Homme et du droit international humanitaire et d'une expérience accrue en ce qui concerne la conduite des opérations de poursuite et d'instruction des affaires criminelles. Il est choisi parmi des personnes qui font preuve d'une grande moralité et intégrité ; il est indépendant des autres organes de la Cour, ne reçoit aucune instructions des Nations unies, de son gouvernement d'origine ou de quel autre gouvernement que ce soit. Le Procureur bénéficie des avantages et immunités liées à l'exercice de ses fonctions. Par contre, le Procureur adjoint quant à lui est nommé par le gouvernement de Sierra Léone. Il seconde le Procureur dans ses fonctions et assure la vacance en cas d'absence et d'incapacité et sous délégation expresse de la part du Procureur186(*). Il jouit des mêmes avantages et immunités que lui. Le bureau du Procureur est constitué d'un certain nombre d'experts et d'agents juridiques qui, en raison de la diversité des crimes qui tombent sous la juridiction de la Cour doivent détenir des compétences en matière du droit international humanitaire et des droits de l'Homme, mais aussi des procédures psychologiques de recueil des témoignages des enfants et d'autres personnes victimes des crimes particuliers comme les violences sexuelles. L'article 15 du statut de la Cour in fine donne comme attributions au bureau du Procureur l'initiation des programmes de réintégration et de réhabilitation des enfants. Cet ensemble de fonctionnaires sont soumis aux mêmes exigences d'indépendance que le Procureur et son adjoint187(*). La Cour spéciale pour la Sierra Léone a connu depuis 2002 trois procureurs successifs188(*). David CRANE, le tout premier Procureur a été très efficace au lendemain de sa nomination. Neuf mois après cette nomination, il produira ses sept premières inculpations et aura parcouru le pays pour mener des campagnes de sensibilisation des populations rurales sur son rôle et l'importance que la poursuite des responsables des crimes de guerre représentait pour la pérennité de la paix en Sierra Léone. Il était secondé dans ses fonctions par Desmond De SILVA qui le remplacera au bout de son premier mandat. M. De SILVA est un britannique inscrit au barreau sierra léonais depuis 1968. Sa nomination par le gouvernement sierra léonais a causé des remous au sein de la communauté des juristes sierra léonais car le statut prévoir expressément que le Procureur adjoint soit sierra léonais189(*). En 2003, le bureau du Procureur comptait 65 agents dont les trois cinquièmes sont sierra léonais190(*). Il y avait des experts en droits de l'Homme et compte tenu du fait que le mariage forcé était constitutif de crime de guerre, une section spéciale était consacrée aux questions de crimes sexuels. Le bureau du Procureur ne dispose pas d'agents de force suffisants pour conduire l'arrestation des inculpés. L'assistance des membres de la police civile de l'UNAMSIL, de la police nationale de Sierra Léone et des autres Etats est nécessaire à la conduite de ces objectifs. A cet effet, les officiers de la section de recherches de la police sierra léonaise ont été particulièrement motivés pour apporter leur soutien aux investigations du Procureur.
Les attributions de l'organe des poursuites et de l'instruction sont principalement de rechercher les preuves destinées à soutenir l'accusation devant l'audience de fond, la présentation de ces preuves devant un juge impartial et les réquisitions des peines. Selon la règle 39 (i) des RPP de la Cour, le Procureur peut rechercher, procéder aux auditions et interrogations des témoins et suspects. Les textes fondamentaux de la Cour font du Procureur le responsable de la mise en place des mécanismes de protection des victimes et surtout des témoins. Il devra alors prendre, en relation avec l'organe d'administration judiciaire, des mesures de désintéressement et de réinstallation à l'étranger de ceux dont la sécurité serait menacée pour leur témoignage devant la Cour. Il recherchera autant que possible la coopération des Etats191(*) concernés, - en vertu de la coopération judiciaire - ainsi que de tout organisme de coopération policière internationale comme INTERPOL. Les mesures d'enquête se font selon deux principales approches : l'approche interventionniste et une autre plus respectueuse de la souveraineté des Etats. Les TPI, conformément à l'application des pouvoirs découlant du Chapitre VII de la Charte, agissent directement sans autorisation étatique préalable ou de contrôle juridictionnel. Il peut demander à l'organe juridictionnel de prendre toutes les ordonnances utiles pour faciliter l'enquête. Le Procureur jouit des pouvoirs exorbitants en ce qui concerne les droits et surtout la liberté des personnes soumises à l'enquête, notamment en ce qui concerne les mesures provisoires. Il s'agit, selon la Règle 40 des RPP de la Cour qu'en cas d'urgence, le Procureur peut demander à un Etat d'arrêter et de placer en détention des personnes susceptibles d'être suspectées, ceci conformément aux règles de procédure de l'Etat en question. Il peut aussi demander au juge de prononcer la mise en détention provisoire (règle 40 bis) d'un suspect dans les cellules du tribunal. Le Procureur doit exercer ces compétences touchant à la liberté des personnes poursuivies en toute conformité avec les RPP car, selon les principes d'Habeas Corpus, tout accusé qui serait détenu irrégulièrement obtiendrait immédiatement sa liberté dès que le juge reconnaîtra cette illégalité, quelle que soit la gravité des faits retenus contre lui. Par principe, le procureur bénéficie d'un pouvoir illimité dans la recherche des preuves. Ce pouvoir doit rester dans une éthique pour que les preuves recueillies soient validées par le juge à l'audience. C'est-à-dire que la garantie judiciaire du respect de l'intégrité de la preuve se fait a posteriori par le juge qui écarte les preuves recueillies irrégulièrement. La réussite d'une juridiction pénale dépend de la coordination entre les différents organes ses rapports avec l'extérieur. C'est précisément ce dont doit s'assurer l'Organe d'administration judiciaire. * 186 La règle 38 des RPP de la Cour spéciale amendée le 7 mars 2003. * 187 En effet, le Procureur et les membres de son bureau n'ont à recevoir d'aucune source que ce soit des instructions ou des injonctions en ce qui concerne l'ouverture ou non d'une acquête. Il en va de même lorsqu'il s'agit de procéder à un acte d'expertise ou de contre-expertise. Statut TPIR, article 15 § 2, statut de la Cour spéciale article 15 in fine. Voir également la jurisprudence NZIRORERA, cas n° ICTR-97-20, Decision on the Defense Motion Seeking an Order to the Prosecutor to Investigate the Circumstances of the Crash of the President HABIARIMANA's Plane, 2 Juin 2000. * 188 Le premier Procureur est l'américain David CRANE. Il a été remplacé per Desmond DE SILVA, QC qui assumera les fonctions jusqu'en 2006 avant d'être remplacé en décembre 2006 par un autre américain, Stephen J. RAPP, précédemment assistant du Procureur du Tribunal Pénal International pour le Rwanda, notamment pour les affaires des accusés de la Radio et Télévision Mille Collines. * 189 L'article 15 § 4 du statut stipule que «The Prosecutor shall be assisted by a Sierra Leonean Deputy Prosecutor...». La transgression de cette règle par le gouvernement sierra léonais n'allait pas faciliter la perception de la Cour par les juristes locaux qui se sont sentis lésés dès le début et qui ont même introduit un pourvoi à la Cour suprême pour contester la constitutionnalité de la loi de ratification de l'accord de création de la Cour spéciale. * 190 Marieke WIERDA et Tom PERIELLO, op cit. * 191 Si l'on se réfère aux règles appliqués par la CPI, le Procureur demande au Greffe de saisir l'Etat par voie diplomatique afin d'obtenir sa coopération dans l'arrestation des suspects et la transmission des éléments de preuve et des documents nécessaires. |
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