4.5. DISCUSSION GENERALE ET
CONCLUSIONS
Les troubles cognitifs du VIH ont été
décrits par plusieurs auteurs au cours de ces dix dernières
années91, 102, 106, 110, 126, 217, 218. Bien qu'il soit
généralement reconnu que la démence du SIDA est une
démence sous corticale156, peu d'auteurs se sont
intéressés à préciser les caractéristiques
du tableau neuropsychologique.
Cette étude avait pour but de définir plus
précisément le patron sous-cortical des troubles cognitifs des
patients au stade de SIDA, avec ou sans démence. Nous avons, pour ce
faire, choisi une batterie de tests neuropsychologiques permettant d'identifier
des patients avec une atteinte cognitive modérée et
sévère. Cette batterie était suffisamment courte pour
être bien tolérée.
Nos résultats montrent que les troubles cognitifs
n'étaient pas liés à la dépression, puisque les
patients avec des troubles cognitifs modérés étaient plus
déprimés que les patients des autres groupes, sans aucune
relation avec le ralentissement psychomoteur ou les troubles mnésiques.
Une telle absence de lien entre la dépression et les troubles cognitifs
des patients sidéens a déjà été
trouvée172.
Nos résultats permettent d'analyser les trois
degrés de troubles cognitifs rencontrés chez ces patients
sidéens : NTC, TCM, Déments.
Le premier groupe (NTC) était différent des
séropositifs asymptomatiques uniquement en terme de ralentissement
psychomoteur. Ces résultats sont concordants avec des études
longitudinales réalisées chez les séropositifs
évoluant vers un SIDA déclaré, qui montraient qu'un
ralentissement psychomoteur est le seul facteur présymptomatique,
précurseur d'une évolution vers une démence.
Le second groupe (TCM) était caractérisé
par:
1) une aggravation significative du ralentissement
psychomoteur et des troubles du contrôle exécutif (ralentissement
des performances au TMT/B et TMT/B-A). Ce qui suggère que la
bradyphrénie soit un élément important et un trait
précoce des troubles cognitifs modérés observés
chez les patients avec un SIDA déclaré.
2) Une chute des performances aux sous-tests «initiation,
attention, conceptualisation et mémoire» de l'échelle de
Mattis;
3) une altération précoce du rappel libre et du
rappel indicé.
L'ensemble de ces éléments est en faveur d'un
dysfonctionnement frontal précoce.
Dans le groupe des déments, le ralentissement
psychomoteur était plus marqué, avec une composante importante de
bradykinésie (Purdue Pegboard, TMT/A), alors que la composante cognitive
était plus stable (TMT/B-A). L'importance du ralentissement psychomoteur
chez les patients sidéens (avec ou sans démence) a
déjà été soulignée106, 133, 218.
Dans les sous-tests de l'échelle de Mattis, le sous-test
«mémoire» était le seul qui était
significativement détérioré par rapport aux patients avec
des TCM. Dans le test de Grober et Buschke, le tableau mnésique des
patients déments, comparé à celui des patients avec des
troubles modérés, était caractérisé par une
aggravation significative des troubles du rappel libre, mais le rappel total
restait identique, confirmant, chez ces patients, la nature
sous-cortico-frontale des troubles.
Nos résultats confirment donc la distinction entre des
patients présentant des troubles modérés
caractérisés par une bradyphrénie, une inattention, une
baisse de la capacité de conceptualisation, ainsi qu'une baisse de
l'initiation et troubles mnésiques et des patients déments chez
qui la bradyphrénie et les troubles du rappel libre sont plus
sévères. Elle souligne cependant l'identité des troubles
dans les deux groupes. Pourtant, nous n'avons pas pu examiner les patients
déments incapables d'effectuer les épreuves et ne pouvons
affirmer que le profil neuropsychologique reste identique chez ces patients
présentant un stade avancé de démence.
Le profil neuropsychologique caractéristique de la
démence sous corticale a été défini par
Albert219 comme étant «une association d'une forme
particulière de trouble mnésique, d'un ralentissement
général des activités intellectuelles et d'une
altération de la personnalité, d'une altération de la
capacité à manipuler des connaissances acquises».
Dans cette étude, le tableau neuropsychologique des
patients avec des troubles cognitifs modérés était en
accord avec une perturbation sous corticale précoce des troubles
cognitifs. Comme attendu, les patients déments montraient un
déclin significatif dans toutes les mesures, à l'exception
notable de la composante langage du MMSE. Cependant, ces patients avec une
démence débutante, montraient un tableau neuropsychologique
caractérisé par la présence de bradyphrénie et
bradykinésie et de troubles mnésiques en l'absence d'aphasie,
apraxie, agnosie. Le profil mnésique, concernant à la fois le
rappel libre et l'index de sensibilité aux indices, montrait une baisse
de performance chez les patients avec des TCM et les patients déments,
comparés aux patients, au stade SIDA, sans troubles cognitifs.
Cependant, le déficit au rappel libre était plus
sévère chez les patients déments que chez les patients
avec des troubles cognitifs modérés, et il n'y avait pas de
différence en terme de réponse à l'aide d'un indice
sémantique. Ce type de troubles du rappel libre amélioré
par un indice sémantique était, globalement en accord avec le
tableau mnésique généralement observé dans les
démences sous corticales156, 220. Cependant, si cette
amélioration par un indice était supérieure à ce
qui a été observé chez les patients avec une maladie
d'Alzheimer, elle était moins bonne que chez des patients avec d'autres
démences sous corticales, comme la maladie de Huntington ou de
Parkinson156. La variabilité dans le rappel total
observée dans les performances des patients présentant une
démence du SIDA, nous a conduits à définir deux
sous-groupes, en fonction de l'index de sensibilité aux indices (ISI).
Premièrement, un sous-groupe de patients avec un ISI élevé
(=50), ce qui suggère que l'information encodée ait
été stockée, mais que les patients ont du mal à la
récupérer spontanément, un trait similaire à ce qui
est généralement le cas dans les démences sous corticales.
Et deuxièmement, un sous-groupe de patients avec un ISI faible (<50)
ce qui suggère que l'information encodée n'ait pas
été stockée et ne peut donc pas être
récupérée avec une aide indicée, un trait similaire
à ce qui est observé dans la maladie d'Alzheimer. Les deux
tableaux mnésiques sont indépendants de la
sévérité de la démence.
Ces résultats suggèrent donc une
hétérogénéité dans la démence du
SIDA. Cette hypothèse nécessite cependant d'autres
investigations.
Cette étude souligne la plus grande sensibilité
de l'échelle de Mattis aux troubles cognitifs du stade SIDA. En effet,
contrairement au MMSE, la Mattis permet de distinguer entre la démence
et les troubles cognitifs modérés et de préciser le niveau
de déficit. Les résultats du MMSE comme ceux de la Mattis
montrent qu'il n'y avait pas de différence entre les patients
asymptomatiques et ceux au stade de SIDA sans troubles cognitifs,
suggérant que l'immunodépression ne soit pas une condition
suffisante dans le développement des troubles cognitifs. Les scores du
MMSE chez les patients déments restaient relativement
élevés (25/30), reflétant une préservation globale
des fonctions explorées par ce test, alors que les scores de ces
patients à l'échelle de Mattis étaient plus nettement
perturbés (118/144).
Cette plus grande sensibilité de la Mattis dans les
troubles cognitifs de la démence était liée au fait que
cette échelle explore les troubles neuropsychologiques sous corticaux,
contrairement au MMSE qui est plus corrélé aux troubles
corticaux.
Enfin, cette étude propose une batterie
neuropsychologique courte, permettant un examen au lit du patient et de
caractériser le fonctionnement cognitif à la fois des patients
déments et de ceux présentant des troubles cognitifs modérés.
III. PARAMETRES
NEUROBIOLOGIQUES ET TROUBLES COGNITIFS
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