Les échanges transfrontaliers entre la ville de Rosso Sénégal et la Mauritanie: Organisation et impacts( Télécharger le fichier original )par M. Souleymane DIALLO Université Gaston Berger de Saint-Louis (Sénégal) - DEA de Géographie 2004 |
QUESTIONS DE L' ETUDELa perspective de vérification de cette présente hypothèse, nous a conduit inéluctablement à essayer de répondre sinon d'ausculter les questions suivantes: 1. Comment s'organisent ces activités, qui en sont les principaux acteurs intervenants et quel est leur apport dans le développent urbain de la commune? 2. Comment se présente l'avenir de ces échanges dans le contexte économique et social où se situent les villes du Delta particulièrement ici la ville de Rosso? 3. Quelle place occupent les échanges transfrontaliers dans l'économie locale domestique ? 4. Le développement de la ville de Rosso Sénégal n'est il pas intrinsèquement lié à l'existence des activités attitrées par la frontière et du ``désordre'' qu'elles causent ? OBJECTIFS POURSUIVISLes villes du Delta sont de tailles petites ou moyennes. Elles font partie de cette catégorie d'organismes urbains qui suscitent, dans le contexte africain actuel, un grand intérêt pour la recherche en milieux urbain. Dans ce travail, les objectifs visés sont articulés autour des différents axes ci dessous dégagés : 1. Etudier pour comprendre les dynamiques économiques, sociales et spatiales des agglomérations de la région Nord du pays en procédant à l'étude de cas de la commune de Rosso Sénégal. 2. Voir comment la ville fait face à ses nouvelles responsabilités. Joue-t-elle un rôle moteur ou se laisse-t-elle entraîner par sa voisine du Nord? 3. Apprécier la capacité d'adaptation des populations à faire face à la crise qui affecte les économies locales de ces structures urbaines émergentes. 4. Déterminer l'impact des échanges transfrontaliers dans le développement urbain de ville de Rosso Sénégal. APPROCHE THEORIQUEEtudier les échanges transfrontaliers entre les villes du Delta et la Mauritanie constitue pour nous une nouvelle problématique dans le contexte de recherche où nous sommes. Tout au long de ce travail nous serons emmenés à faire recours à certains notions et concepts, qui constituent les mots clés du sujet que nous abordons. Ils méritent qu'on y apporte quelques éclaircissements qui nous permettrons de nous familiariser avec eux car, sans doute, reviendront-ils souvent tout au long de l'analyse. Qu'entendons nous par « échanges transfrontaliers ou frontaliers » ? Quelle compréhension devons-nous avoir du mot « échange ». Quelles réalités entourent la notion de « frontière » ? Quelle est l'origine du mot ? Quelle est sa signification dans le contexte africain ? Quels sont ses différents rôles, où se situe le débat qui est entretenu autour de la question des frontières? La frontière est susceptible de créer un nouveau type d'espace : l'« espace frontalier ». Qu'en est il de cet espace, et comment est-il analysé et perçu par les auteurs qui s'y intéressent comme sujet de réflexion et qui étudient les nouvelles problématiques qu'il dégage? La notion de frontière Habituellement, la frontière est entendue comme une limite de la souveraineté et de la compétence territoriale d'un Etat. Pour DURRUAU. M.4(*), l'espace étatique est limité par des frontières qui sont des faits géographiques « par le problème que pose leur localisation géographique, et par le phénomène humain dont elles entraînent la création ». NOON. H.5(*) fait l'analyse de la frontière et finit par la définir comme étant « une ligne dynamique de part et d'autre d'une limite». Selon lui, la notion de frontière, dans sa conception, renferme aussi bien le géographique que l'idéologique. En effet, la notion de frontière est omniprésente dans le discours idéologique défendu par les mouvements de revendication nationalistes qui ont émaillé de leur présence et parfois même de leur virulence toute la fin du 19ème et le début du 20ème siècle. La question des frontières a toujours été au centre du débat politique et idéologique. Les compréhensions des différents groupes divergeaient assez souvent tant les arguments utilisés comme termes de référence dans la définition et la justification des légitimités étaient distincts. Les frontières mettent en lumière les intérêts divergents des Etats, surtout quand ils sont voisins. De ce fait, les disparités se dessinent en fonction des critères de définition qu'on prend en compte. Si on met en avant la dimension historique cela peut ne pas être en corrélation avec la dimension idéologique qui elle se réfère, la plus part du temps, au caractère naturel. Sous l'angle historique, les frontières sont tracées en fonction des réalités du passé où elles sont considérées comme un leg dont devait hériter les nouvelles communautés. Les réalités géographiques ont servi, elles aussi, de support pour revendiquer, exiger ou tout simplement ériger des frontières. Ces réalités géographiques peuvent correspondre à des accidents topographiques majeurs, à des tracées hydrographiques de grande envergure comme les fleuves, les rivières, les grands lacs etc. Pour autant ; la frontière n'est pas uniquement une ligne qui sépare des entités territoriales distinctes. Elle est une réalité qui regroupe plusieurs dimensions. On peut en ressortir l'économique, le politique, le social et le culturel. Cet aspect multidimensionnel permet à la frontière de jouer plusieurs rôles en cela qu'elle est un catalyseur d'énergies. RATTI cité par NOON, donne cette définition de la notion de frontière qui a le mérite de faire un tour d'horizon des différentes spécialités des frontières. Il voit en la « frontière » : « un concept duel à la fois, doté de fonctions de séparation entre : des systèmes politiques et institutionnels différents, autour des aspects légaux de contrôle et de pouvoir, mais aussi un rôle de contact et d'intermédiation, entre sociétés et collectivités différentes telles qu' on les observait dans les régions transfrontalières et doté d' effets selon que la barrière économique, le rôle de filtre, plus ou moins perméable ou de celui de zones de contact voire d' intégration économique, se replient ou ouvrent les horizons et les relations.»6(*) Selon BURNET7(*), « les frontières sont des ruptures stables, ce qui ne les empêche pas, comme d'autres ruptures, d'être le lieu de dynamismes particuliers » qui sont les ferments d'autres vocations. Parmi celles-ci, il y a celle créatrice. En effet, la frontière peut favoriser et même être à l'origine de l'installation militaire, du développement des activités douanières etc. Elle a aussi cette capacité de faire émerger des pôles d'attraction qui ont un effet magnétique sur les hommes qui, le plus souvent, ont intérêt à la franchir, ou à profiter du franchissement par les autres : ouvriers, commerçants frontaliers8(*).Comme autres vocations, la frontière divise, désunifie, selon les idéologies qui courent de part et d'autre. G.WACKERMANN9(*) le dit bien, « c'est au nom des frontières que les Etats se protègent politiquement en tentant d'éliminer ou de réduire au silence intérieur et extérieur.» Ces différentes analyses rendent compte de la dimension géographique des frontières. D'autres mettent l'accent sur l'économique. La notion de frontière renvoie à une réalité purement économique de l'avis de certains auteurs. Pour G. WACKERMANN, elle a toujours servi et, sert encore, de base au protectionnisme. En outre, la frontière ne signifie pas toujours et ne s'érige pas tout à fait comme une cassure10(*). Elle peut assurer et, dans bien des cas, assumer un certain nombre de fonctions qui sont souvent complémentaires et qui s'arriment plus ou moins parfaitement au reste de l'économie. Son pouvoir économique se manifeste par la manière dont elle incite les différents acteurs appartenant à des localités différentes mais qui la juxtaposent (la frontière étant une ligne de démarcation), de mettre à profit les différences observées au niveau des législations ou des situations contrastées. Grâce aux opportunités qu'elle ouvre dans ce domaine, la frontière peut encourager les trafics et les commerces internationaux. Ces derniers sont considérés par de nombreux auteurs comme étant lucratifs. D'ailleurs, certaines réalités aux frontières tendent à confirmer cette hypothèse. En effet, sur les frontières on note l'existence de différences de prix, de taux de change inégaux, de pratiques sociales permanentes ou saisonnières. Ces considérations sont valables pour la réalité frontière. Cependant en fonction du contexte de leur émergence, du lieu de leur situation, de leur histoire, les frontières peuvent avoir des significations différentes. En Afrique subsaharienne, les frontières telles que nous les connaissons aujourd'hui, sont une partie intégrante de l'héritage colonial. Elles ont été tracées par les puissances impériales occidentales, non pas « pour permettre un développement des pays africains mais uniquement dans le souci de créer des espaces dont la signification ne dépasse pas celle d'un cadre de prélèvement colonial » IGUE. J. O cité par BENNAFLA11(*). Dans ce sillage on trouve de nombreuses thèses qui établissent des liens étroits entre la situation de sous développement du continent et son émiettement en une multitude d' Etats, ou bien trop grands, ou bien trop petits, qui ont comme point commun, la lancinante équation que pose leur viabilisation. Le morcellement politique est un facteur primordial de différentiation de l'espace et de création des jeunes Etats nations. L'Etat étant synonyme de frontière, les lendemains des indépendances ont fini par « sacraliser » les frontières léguées par les régimes coloniaux malgré les veux pieux, les déclarations d'intention et le combat acharné de plusieurs partisans de l'union africaine. Pape Demba Fall12(*) lit ici une certaine centralité des frontières dans la genèse des Etats africains. Il donne l'exemple du Sénégal pour illustrer son propos. En effet, ce pays, aussi petit qu' il est de par sa superficie qui ne fait même pas 200.000 Km², renferme toute la gamme des frontières identifiées à l' échelle de la planète : - frontières naturelles ( cours d'eau comme les fleuves), - frontières artificielles « allant à travers champs », - frontières maritimes. Longtemps soumises aux feux de la critique, les frontières sont aujourd'hui de mieux en mieux assimilées et les africains ont fini par s'identifier à elles. Les frontières sont devenues des réalités intangibles consacrées dans la charte régissant l'Organisation de l' Unité Africaine (OUA) qui s'est muée aujourd'hui en Union Africaine (UA). Elles ont contribué à l'émergence d'autres espaces. Ces espaces nouvellement créés transcendent les Etats. Ils font qu'en Afrique, la problématique des frontières est, plus que jamais, posée. Les acteurs politiques et économiques regardent les espaces frontaliers de plus en plus comme des territoires économiquement viables surtout avec les différentes crises économiques qui ont traversées le continent noir au cours des dernières décennies du 20ème siècle. La frontière est vécue comme un support et pas seulement comme un lieu de déséquilibre. Les espaces transfrontaliers Le tracé des frontières a fondamentalement contribué à l'apparition d'un nouveau type d'espace qui est le fruit de son dynamisme. Nombres d'analystes ont essayé de mettre la lumière sur le phénomène de leur naissance ainsi que sur les mécanismes de leur fonctionnement. On voit apparaître dans la littérature une multitude de termes et expressions, qui font souvent référence à un ou plusieurs de leurs aspects, pour les nommer. Des auteurs comme IGUE ont consenti des efforts de typification. Pour IGUE il y' a trois sortes d'espaces transfrontaliers en Afrique de l'Ouest. Il les distingue en fonction de leur degré de structuration et parvient à proposer la classification suivante: · les espaces à faibles dynamismes des franges septentrionales arides saharro-saharienes, · les espaces dits alternatifs actifs mais sans équipements conséquents ni supports d'échanges et qui fonctionnent comme de simples couloirs de passage et, · les périphéries nationales qui se singularisent par leur structuration par de nombreuses petites villes frontalières, espaces d'échanges et de marchés autour desquels, s'organisent une véritable vie des relations. Cette typification insiste beaucoup sur le dynamisme souvent constaté dans ces espaces situés aux franges des pays. Ces « espaces périphériques nationaux » qui, selon STARY13(*), sont des espaces économiques articulés sur une ou plusieurs nations. Ils s'appuient sur plusieurs éléments tels que les flux de produits passant d'un Etat à un autre aux grés des opportunités. Plusieurs termes sont ainsi utilisés par différents auteurs qui, pour les spécifier par rapport au reste des territoires, n'hésitent pas à user d'expressions de type descriptives : · « régions informelles » en prenant en considération le développement de petites activités de commerce, d'artisanat, de contrebande, de trafics qui s' y déroulent ..., · « d'espaces d'échange réel » eu égard au déploiement d'une vie des relations très actives qui fait souvent fi des réglementations qui peuvent subsister. Cette dernière appellation permet d'avoir la pleine mesure du dynamisme dont peuvent se prévaloir les espaces transfrontaliers. Le dynamisme, dont font montre les espaces transfrontaliers, suscite des réflexions au niveau de la communauté des chercheurs qui s'intéressent à cette problématique. Au delà de l'effet frontière, d'autres paramètres sont recherchés pour rendre compte du bouillonnement des franges périphériques. Un fait important est à noter, les espaces frontaliers semblent se détourner des territoires nationaux. On les appréhende souvent comme des dynamismes locaux et localisés. Tel n'est pourtant toujours pas le cas. En effet, ces dynamismes que l'on peut abusivement caractériser de locaux, s'avèrent être, des témoins importants à l'effort d'intégration par les mouvements migratoires qui s'y passent sous diverses formes, les mouvements productifs, les mouvements commerciaux spontanément mis en oeuvre par les réseaux de solidarité communautaires, plus ou moins commerciales et religieuses. Elles traduisent un effort d'articulation des territoires à travers les échanges économiques et sociaux. On parle dans la littérature, de triangle de développement, d'espace de proximité, de zone de solidarité et enfin de pays frontière. · triangle de développement renvoie au tropisme économique soulignant l'importance de la combinaison de facteurs de production dans l'espace, · espace de proximité met l'accent sur l'intégration, · les zones de solidarité témoignent d'une certaine homogénéité des systèmes socioculturels partagés par des populations éloignées. · pays frontière se réfère à l'homogénéité des systèmes de valeurs mais aussi similitudes des systèmes de production afférents à un espace transfrontalier qui peut également être un bassin de peuplement. Ces concepts ont un dénominateur commun. Ils renvoient tous, aux dynamiques d'intégration qui peuvent s'opérer au niveau des espaces transfrontaliers, aux contours que prennent ces formes d'intégration aux mécanismes complexes et qui favorisent, pour le moins, les échanges entre différents territoires. Le concept d'échanges transfrontaliers Communément, on parle d'échange lorsque qu'il se produit une opération de transmission, d'un produit, d'une propriété, d'une possession moyennant une contre partie. Cette contrepartie peut se présenter en nature ou en espèce. Dans le premier cas, il est question d'un système de troc où les échanges de biens se font sans intervention de la monnaie. Dans le second cas, l'opération d'échange s'effectue avec le versement d'une somme d'argent équivalente à la valeur marchande du bien ou du produit. Une opération d'échange requiert, nécessairement, l'intervention de plusieurs acteurs dont les rôles et les influences peuvent différer, respectivement, en fonction de leur importance. Les acteurs sont soit des personnes physiques, soit des personnes morales14(*). Les termes de l'analyse ci-dessus font, pratiquement, référence au commerce. En effet, échanger peut vouloir dire simplement commercer tant les propriétés et les caractéristiques sont valables pour expliquer les deux mots. De ce point de vue, si on fait référence aux échanges transfrontaliers, on peut penser, de prime abord, aux activités commerciales, aux échanges internationaux, qui intègrent la réalité de « franchissement » des frontières nationales. Le franchissement des frontières implique les échanges transfrontaliers qui n'ont pas laissé les chercheurs indifférents. Certains d'entre eux ont étudié le phénomène afin d'en définir les mécanismes et de déterminer les incidences sur la vie des nations et de leurs populations. On leur attribue plusieurs qualificatifs qui rendent compte des nombreuses facettes dont ils répondent. On parle tantôt, d'informels, de parallèles, de clandestins, voire d'échanges de contrebande. D. BACH introduit le concept de régionalismes transétatiques aux fins de mieux rendre compte, d'introduire et de mettre à jour la nature et l'aspect des nombreuses activités qui se déroulent au niveau de ces espaces. * 4 Max DURRUAU, (1995,1996) « Géographie Humaine », ed. Armand COLIN/Masson, col. U Géographie, Paris, 468 p. * 5 Henri NOON, (2001), « Régions et Nations » in «Les concepts de la géographie Humaine », Armand COLIN/VUEF, Paris, 333p. * 6 Henri NOON, (2001), idem. * 7Roger BURNET, (2001), « L déchiffrement du monde : théories et pratiques de la géographie », Belin, Paris, * 8 Max DURRUAU, (2002), « Géographie Humaine », Armand COLIN, /VUEF, Paris, 447p. * 9 Gabriel WACKERMANN, (2000), « Géographie Humaine », ellipse Marketing SA, Paris, 352p. * 10 Gabriel WACKERMANN, (2000) idem. * 11 Karine BENNAFLA, (1999), « La fin des territoires nationaux ? Etat et commerce transfrontalier en Afrique Centrale », Politique africaine N° 73 * 12 Pape Demba FALL, 2004, Etats-Nations et migrations en Afrique de l' Ouest : le défi de la mondialisation, UNESCO , 22p. * 13 Bruno STARY, (1997), « De la rente agricole à la rente frontalière : Niablé une petite ville ivoirienne à la frontière du Ghana » in « petites et moyennes villes d'Afrique noire », Karthala, Paris, pp.61-85 * 14 D. BRAND et M. DURASSET, (1999) « Dictionnaire thématique d'histoire et de géographie », Paris, Dalloz, 444p. |
|