Les échanges transfrontaliers entre la ville de Rosso Sénégal et la Mauritanie: Organisation et impacts( Télécharger le fichier original )par M. Souleymane DIALLO Université Gaston Berger de Saint-Louis (Sénégal) - DEA de Géographie 2004 |
PROBLEMATIQUELes relations qu'une ville peut entretenir avec son environnement lointain ou immédiat sont essentielles dans sa structuration économique et sociale. Comme le dit J.B. GARNIER « la ville noue des relations avec d'autres villes qui lui sont proches ou lointaines, qui entretiennent des relations avec elle »2(*). La faiblesse ou la performance de l'économie dans une cité, détermine les conditions de vie de ses populations donc conditionne leur épanouissement. La capacité que peut développer une ville à nouer et à entretenir des relations avec d'autres homologues contribue beaucoup à la construction d'une économie locale dont la bonne tenue reste largement dépendante de la qualité et de l'efficience de ces relations. Ces dernières sont vécues à tous les niveaux et secteurs de la vie économique et sociale. Ce sont surtout des relations d'échange dans l'essentiel des domaines d'activité. Les échanges qu'un organisme urbain développe avec ses milieux, aussi bien intérieur qu'extérieur en font simultanément, un débouché c'est à dire un marché récepteur lieu de consommation et producteur de biens et de services c'est à dire un marché émetteur. Cela rend indispensable son intégration dans les différents niveaux et compartiments de l'armature urbaine de la région ou du pays où il se trouve, voire de la sous région, avec lesquels il est lié par des liens d' interdépendance. Dans l'armature urbaine sénégalaise, on note l'existence de villes bordières comme celles qui longent le fleuve Sénégal. Ce dernier représente la limite septentrionale du territoire national et n'en est pas moins la frontière avec la Mauritanie. Cependant, l'existence d'une frontière ne semble point être un obstacle encore moins un frein qui empêche les villes du Delta de se tourner vers celles de la Mauritanie voisine. Cette ouverture vers ce pays a favorisé l'existence de relations dynamiques dans des domaines aussi divers que variés. Ils vont des échanges de services, de biens en passant par les ressources naturelles. Ils sont aussi commerciaux et socioculturels. Les échanges commerciaux sont, sans conteste, les plus prépondérants. Ils concernent essentiellement les produits et marchandises, les denrées de première nécessité, des matériels divers: appareils électroniques et électroménagers. Aucun doute ne persiste en ce qui concerne l'importance et la diversité des échanges effectués entre ces deux souverainetés. L'activité commerciale entre les deux pays s'insère, d' une part, dans un circuit formel, dans lequel il est contrôlable et contrôlé par les services compétents, représentants les deux Etats. Cela est possible parce que l'essentiel des produits échangés transite par les voies de passage officielles. Cette activité fournit des dividendes considérables aussi bien pour les Etats que pour les collectivités locales directement concernées, grâce aux taxes prélevées sur les biens et les personnes. Cela constitue par ailleurs un ensemble de contingences que bien des acteurs tentent de déjouer en choisissant la pratique de leur activité en toute illégalité. D' autre part, le commerce transfrontalier, pour une large part, gît dans l'informel. Leurs succès sont surtout dus à la surpuissance du franc CFA (devise sénégalaise) sur l'UGUYA (UM : la monnaie mauritanienne). Cet écart dans la valeur des monnaies favorable au Sénégal permet aux commerçants sénégalais de se procurer des produits à des prix relativement bas comparés à ceux qui sont pratiqués au Sénégal. Le non paiement de taxes et les quantités souvent importantes de marchandises échangées, favorisés par la porosité de la frontière fait que ce secteur ne cesse de recruter au sein des populations en manque d'activité. C'est devenu pour beaucoup d'individus un créneau porteur compte tenu du taux de chômage sans cesse galopant, qui frappe tout le pays mais surtout les villes de l' intérieur qui souvent n' enregistrent la présence d' aucune unité industrielle et ont du mal à offrir des emplois salariés. Pour les villes de la région de Saint-Louis, cette situation est rendue plus difficile par les écueils sur lesquels bute le secteur agricole, dont le dynamisme est en perte de vitesse depuis ces dernières décennies et qui a longtemps été perçu comme une vocation naturelle de la région. Aujourd'hui, il occupe une bonne partie de la population des villes de la région sans distinction aucune ni du sexe ni de l'âge. Le caractère illégal, qui fait que la majorité des échanges n'empruntent pas les voies officielles rend difficile le fait d'en parler. En effet, il est pratiquement impossible de dresser des statistiques fiables qui puissent rendre compte de manière fidèle et scientifique l'information sur les quantités et la qualité, mêmes approximatives, des échanges effectués. Cela pose naturellement la problématique des réseaux d'échange. Il serait intéressant d'étudier leur configuration mais aussi et surtout leur opérationnalité dans le contexte géographique et sociologique qui est notre cadre d'étude. Parler des échanges transfrontaliers entre le Sénégal et la Mauritanie c'est aussi évoquer le problème des ressources naturelles. Pour le cas d'espèce il est surtout question de ressources halieutiques tant il est vrai que les deux pays ont en commun le fleuve Sénégal et l'océan atlantique. Les implications économiques et les enjeux stratégiques font que la gestion et l'exploitation de ces ressources demandent une certaine coordination entre les deux ensembles. Si pour le cas du fleuve le problème ne semble point se poser, grâce, d' une part à l'existence d'un organisme régulateur : l'Organisation pour la Mise en Valeur du Fleuve Sénégal (OMVS)3(*) et d'autre part par la timidité du secteur de la pêche fluviatile, cela est loin d'être le cas pour ce qui est des ressources maritimes. En effet malgré la signature d'accords dans ce domaine, il est fréquent de voir la presse faire écho d' heurts entre les pêcheurs sénégalais et les gardes de côte mauritaniens. Cette situation installe souvent les populations des deux pays dans un climat de friction qui n'est jusqu' à présent pas arrivé à bout des relations de « bon voisinage » mais qui, à la longue, peut être source de conflits. La connaissance de l'importance de ces échanges peut aussi être un indicateur de la situation d'interdépendance qui prévaut entre les deux entités territoriales. Outre ceux que nous venons d'évoquer, il y a aussi des échanges socioculturels. Ils sont fondamentaux dans le cas présent. En effet le Sénégal et la Mauritanie sont liés par une histoire commune. Celle ci transparaît dans la communauté des peuples et des langues. Cette symbiose socioculturelle prend sa source aussi bien dans l'histoire ancienne que celle récente. Pendant la période coloniale, la ville de Saint-Louis a été la capitale de la Mauritanie jusqu' à l'accession de celle-ci à la souveraineté internationale en 1960. Si on reconsidère aujourd'hui la situation économique dans les villes du Delta, compte tenu de la conjoncture actuelle, on est tenté de se poser cette question simple mais non moins importante : comment cette population parvient elle à survivre ? En effet, la région du fleuve est réputée de vocation agricole et depuis les programmes d'ajustements structurels des années quatre vingt, le secteur agricole ne cesse de battre de l'aile. La situation s'aggrave, accentuée par une constante augmentation de la population des jeunes. Le problème de l'emploi se pose avec acuité. La recherche de solutions à leurs problèmes de chômage a favorisé l'émergence d'un secteur intermédiaire autrement nommé secteur informel. La question est de savoir si est ce que ce secteur informel n'est pas tributaire des échanges transfrontaliers? Les réponses à ces différentes questions sont d'une importance capitale car elles sont posées dans un contexte de promotion et développement des collectivités locales à partir de leurs ressources locales propres. HYPOTHESES1. L'économie de la Région de Saint-Louis, particulièrement celui de la ville de Rosso Sénégal, dépendrait de sa proximité avec la Mauritanie. 2. La ville de Rosso Sénégal n'existerait que grâce à la rente frontalière, à l'existence du commerce et des échanges entre le Sénégal et son voisin du Nord. 3. Elle dépendrait aussi du développement de plusieurs types d'activités qui sont de prés ou de loin dépendantes de la situation de ville frontière qui offre des emplois en dehors des secteurs traditionnels et qui contribuent à la création de richesses et la formation de revenus pour la collectivité. 4. La ville de Rosso serait structurée par les échanges transfrontaliers. * 2 Jaqueline Beaujeu GARNIER (1997) « géographie urbaine »,4ème édition Paris, 349 p. * 3 OMVS (Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal). Créé conjointement par les Etats du Sénégal, du Mali, et de la Mauritanie en 1971. Sa mission consiste à « la promotion et la coordination des études et des travaux de mise en valeur des ressources du Bassin du fleuve Sénégal sur les territoires des Etats membres. » |
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