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La clausula rebus sic stantibus et les traités internationaux

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par Sami Fedaoui
Université de Rouen - Master I Droit international et européen 2007
  

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Partie II : Les incertitudes de la pratique internationale sans incidence sur l'existence du statut juridique de la clausula.

"Les juristes n'ont cessé de se préoccuper de la théorie rebus sic stantibus. L'histoire du droit international et des relations internationales montre que la théorie a donné lieu à de fréquents abus à des fins directement contraires à l'essence même de la théorie, en sorte qu'elle a plutôt encouru le discrédit tant des juristes que des non-spécialistes. [On] ne doit toutefois pas, pour autant, écarter ce qui est un élément essentiel du droit des traités."24(*) On ne peut que rejoindre cette affirmation lorsque l'on examine l'utilisation dont la clausula a fait l'objet dans la pratique internationale. Encore faut-il préciser que, dans notre étude, l'essence même de la théorie doit être assimilée aux exigences mises en oeuvre par la Convention, principal instrument de référence.

Alors que le régime juridique de la clausula est établi et connu, notamment par référence à la Convention de Vienne de 1969, on pourrait rester dubitatif sur le statut de ce principe dans l'ordre juridique international tant les États ont eu tendance à s'en servir à "contre-courant" de son régime juridique tel que l'admet la Convention ( A ), mais une analyse approfondie de cette pratique permet d'affirmer que celle-ci n'a aucune incidence fondamentale sur le caractère de norme de droit positif de la clausula puisqu'il s'agit precisément d'une simple tendance ( B ).

A. L'incertitude du statut de la clausula entretenue prima facie par son utilisation incompatible avec le droit positif.

D'un certain point de vue, on pourrait considérer que la clause rebus est dépourvue d'un statut de norme internationale de droit positif au soutien de la caducité des traités si l'on s'attache uniquement à relever une tendance indéniable de la pratique diplomatique, celle consistant à utiliser abusivement cette théorie, aboutissant même à y recourir alors que les règles du droit international, telles que posées par la Convention, ne le permettent pas. De cette utilisation en méconnaissance du droit international, tel que posé notamment par la Convention, on pourrait avancer à première vue que cela rend incertain la nature de la clause en tant que norme de droit positif.

C'est particulièrement manifeste avec son utilisation à des cas de figure dans lesquels aucun changement de circonstances pertinent, au sens de la Convention, n'est intervenu, ou encore avec son instrumentalisation qui revient à l'assimiler à un droit de dénonciation unilatérale.

Chapitre 1 : Une utilisation en dépit de l'existence véritable de changement des circonstances.

Tout d'abord, il est essentiel d'indiquer par avance que si l'on se réfère expressément à la Convention, c'est bien parce qu'elle constitue en l'état actuel l'instrument de référence en ce qui concerne le régime juridique de la clausula à l'égard des traités internationaux. L'objection que l'on pourrait se voir opposer ici tient en ce que la Convention n'a été conclue qu'en 1969, ce qui implique qu'elle ne peut être pris en compte pour la période qui précède cette date. Cependant, ce n'est pas sous cet angle que l'on doit procéder, il s'agit au contraire d'effectuer une analyse rétrospective, et cela peut se justifier compte tenu du fait que la Convention est supposée codifier pour l'essentiel le droit des traités.25(*) Ainsi, lorsque l'on évoque la Convention, on peut considérer qu'il s'agit du droit positif dont elle ne fait que certifier l'existence.

Dans cet ordre d'idées, il est question d'identifier les éléments qui pourraient induire une incertitude quant au statut de la clause, et à cet effet on peut observer que les États ont eu tendance à user de la clause en violation de son régime juridique tel que reconnu par la Convention. Il convient donc de montrer que certains cas, révélateurs d'une tendance de la pratique, indiquent un usage de la clause incompatible avec le droit positif, au vu de la Convention.

À cet égard, on constate notamment l'utilisation de ce moyen dans des hypothèses où il n'existait pas de modification pertinente des circonstances de telle sorte qu'elle ne répondait pas aux conditions fixées par le droit positif tel que nous le connaissons au vu de la Convention, notamment au regard des exigences tenant au caractère fondamental du changement et de celles tenant au lien entre le changement et les circonstances ayant constitué une base essentielle du consentement des parties. Ainsi, s'il existe de nombreux cas où une telle utilisation a été opérée par l'État qui entendait se libérer de ses obligations conventionnelles, on peut retenir les exemples tout à fait significatifs que sont les dénonciations du Traité de Paris de 1856 par la Russie en 1870, et du Traité de Versailles de 1919 par l'Allemagne en 1935 et 1936. Ce n'est sans doute pas sans raison qu'il s'agit des exemples qui ont fait l'objet de l'examen le plus approfondi des auteurs du droit international.26(*)

Tout d'abord, on observe que la Russie prétendait se dégager de certaines obligations découlant du traité de Paris de 1856, plus précisement à l'égard des dispositions régissant la démilitarisation de la Mer Noire et l'interdiction de la construction de fortifications sur ses rivages, et c'est ainsi que par plusieurs notes adressées aux représentants diplomatiques russes des États intéressés par ladite convention, elle invoquait la clausula afin de justifier ses allégations visant à reconnaître la caducité de ces engagements. Elle a développé cette argumentation dans la circulaire du Prince Alexandre Gortchakoff du 31 octobre 1870 et tout au long du déroulement de la Conférence de Londres de 1871 en précisant la consistance de ces prétendus changements. Ce sont principalement l'apparition de l'État roumain et le climat de paix entre tous les participants à la Conférence qui constituaient, selon elle, des changements de circonstances entraînant la caducité des obligations en question.

Rappelons que la Convention exige en son article 62 que le changement de circonstances rapporté ait un caractère fondamental et qu'il porte sur des circonstances ayant constitué une base essentielle du consentement des parties, or si l'on peut considérer que l'apparition de la Roumanie, par la fusion des deux principautés de cette région en 1859, constitue bien un fait nouveau par rapport à la situation au moment de la conclusion du Traité de Paris de 1856, celui-ci ne porte pas du tout sur des circonstances ayant déterminé le consentement des parties au traité. En effet, les parties se sont engagés par ce traité parce qu'elles entendaient restreindre la liberté de la Russie en matière d'action militaire, et l'apparition de la Roumanie n'a aucun impact direct ou indirect sur ces circonstances initiales.27(*) Quant à l'état de paix existant entre les participants à la Conférence, la Russie allègue ici un argument qui ne peut même pas être considéré comme attestant d'un quelconque changement car, comme le souligne Haraszti, cet état de fait résulte largement du traité même qui vise cet objectif.28(*) Ainsi, on observe que si l'on doit apprécier cette utilisation de la théorie rebus sic stantibus à la lumière de la Convention, il apparaît clairement qu'elle contrevient au régime juridique entourant ce principe, plus precisément aux conditions encadrant le bien-fondé de ce recours. La Russie a en effet usé de ce motif alors que les changements de circonstances rapportés par elle, pour autant qu'il y avait un changement, ne présentaient aucun lien pertinent et ne modifiaient nullement les circonstances ayant déterminé le consentement des parties à être liées par le traité.

Ensuite, s'agissant de l'Allemagne, c'est principalement à l'encontre du Traité de Versailles de 1919 et des traités de paix subséquents, tels les accords de Locarno de 1925, qu'elle a opposé la clausula afin de pouvoir s'éxonérer des obligations lui incombant. Ainsi, dès mars 1935, l'Allemagne conduite par la politique hitlérienne rétablit le service militaire national, et surtout remilitarise la Rhénanie réoccupée en 1936. De tels agissements constituant violation des traités de paix auxquels l'Allemagne était partie, celle-ci se prévalait de changements de circonstances en vue de déclarer caduques les dispositions du Traité de Versailles. Elle prétendait faire jouer la doctrine de la règle rebus sic stantibus à l'égard des traités de Versailles et de Locarno en se réferant au changement de circonstances engendré par la conclusion d'un pacte d'assistance mutuelle entre l'URSS et la France.29(*)

Reprenons le raisonnement consistant à confronter la pratique diplomatique au droit positif, avec la Convention pour instrument de référence, à cet égard la dénonciation allemande du Traité de Versailles est encore plus significative de la méconnaissance par la pratique du régime juridique de la clause. En effet, le pacte d'assistance mutuelle entre URSS et France n'est pas en soi une circonstance tout à fait changeante par rapport à l'époque de la conclusion des traités de paix puisque cet accord bilatéral a pour objet de consolider le système de sécurité collective mis en oeuvre depuis lors, et il n'affecte en rien la viabilité des engagements souscrits par l'Allemagne. Ce pacte franco-soviétique est un élément éxogène, tout à fait extérieur à l'Allemagne dont l'obligation principale consistait à ne pas entreprendre d'action contrevenant à sa démilitarisation et à la fixation des régimes territoriaux, notamment en Europe occidentale. Ainsi, il s'ensuit que l'Allemagne ne pouvait arguer d'un changement fondamental de circonstances dans la mesure où le changement rapporté n'affectait pas d'une manière radicale la portée de ses engagements mais aussi et surtout celui-ci ne pouvait porter sur des circonstances déterminantes du consentement puisque les Traités de Versailles et de Locarno ont été conclus pour organiser la paix, suite à la première guerre mondiale, par un système de sécurité collective que le pacte d'assistance de 1935 ne faisait que consolider.

À travers ces deux exemples, c'est bien une tendance plus générale qui se dégage selon laquelle les États ont sans doute usé excessivement de la clausula en ce qu'à plusieurs reprises la situation donnée ne pouvait justifier le bien-fondé du recours à la clause rebus, car le droit positif tel que codifié par la Convention ne le permettait pas. Dès lors, on pourrait penser de ce point de vue que le statut de la clause est incertain puisqu'il s'avère que son usage par certains États dans la pratique internationale a pu être incompatible avec le droit positif, tel qu'il a été codifié par la Convention. De même, la pratique internationale a entretenu une certaine indécision sur la qualification de la clause dans la mesure où certains États l'assimilaient à un droit de dénonciation unilatérale, et il est vrai que l'on pourrait mettre en doute son statut tant elle a pu servir de prétexte politique à des prétentions unilatéralistes de certains États en vue de faire échec aux prescriptions du droit international et ce, alors même que le mode de dénonciation des traités est tout à fait indépendant du motif invoqué.

* 24 Document A/CN.4/SR.694, telechargé du site Internet de la Commission du Droit International , 694è séance, p. 152, paragraphe 40.

* 25 Une telle démarche n'est pas très éloignée de celle entreprise par certains auteurs, notamment par Haraszti, qui considèrent que la CVDT n'est pas un instrument qu'il faut apprécier exclusivement ad futurum. Ce qu'elle codifie à l'égard de la clausula est tenu pour règime juridique préexistant. Dans une certaine mesure, cela implique que l'on admette d'y voir une règle juridique objective.

* 26 Ces deux cas de figure ont eu, pour des raisons différentes, un impact important sur le développement du droit international. En effet, la dénonciation russe a été à l'origine de la déclaration de la Conférence de Londres de 1871, laquelle est considérée comme l'affirmation d'un principe essentiel du droit des gens, et s'agissant de la dénonciation allemande, elle esquisse en quelque sorte les prémices de la seconde guerre mondiale.

* 27 L'obligation principale tenant au respect de la neutralisation de la Mer Noire a été consentie essentiellement pour mettre un terme à la guerre de Crimée, dès lors l'apparition de la Roumanie n'est pas un changement pertinent en ce que le consentement des parties n'était en rien lié à l'existence ou non de la Roumanie.

* 28 G. Haraszti, ibid, p. 17.

* 29 On vise ici le traité franco-soviétique d'assistance mutuelle du 2 mai 1935.

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore