La presse quotidienne nationale européenne peut-elle tirer profit du Web 2.0 ?( Télécharger le fichier original )par Marc LEIBA Institut des hautes études en communications sociales de Bruxelles - DESS de Journalisme Européen 2007 |
3.2.2. Diversifier les modèles économiques« Nous avons quatre flux possibles pour générer des revenus sur Internet, explique Pierre Conte, président de Publiprint, en charge des nouveaux médias du groupe Figaro : La publicité, la vente de contenus, le commerce en ligne et l'accès payant aux sites ». (Le Figaro, 22/02/2007). C'est la réponse des éditeurs de presse payante à la gratuité véhiculée par le net, diversifier le modèle économique et exploiter d'autres pistes de revenus. La théorie du marché à deux versants se révèle trop restrictive une fois transposée à l'univers numérique, surtout si la majorité des éditeurs renoncent à l'un des deux versants, c'est-à-dire à la contribution des lecteurs. On objectera avec raison que le métier premier de la presse n'est pas de gagner de l'argent autrement que par la sueur du poignet des journalistes. Cependant, la révolution technologique que nous vivons au quotidien et son impact sur la presse en ligne nous permet de penser que « la presse n'a pas entamé un nouveau chapitre de son Histoire, mais bien une autre Histoire, sous le régime d'Internet » (FOGEL et PATINO, 2005, 16). Loin de prophétiser la disparition du papier, qui offre encore des avantages valorisant comme la simplicité d'accès et le confort de lecture, force est d'admettre que la rencontre de la presse avec Internet, et à plus forte raison le Web 2.0, ouvre des perspectives différentes du modèle classique du papier pour le développement de ce nouveau média. Certes, ceci implique des investissements technologiques conséquents et des compétences dans les disciplines de gestion (marketing, stratégie, ressources humaines) qui ne sont pas à la portée des petits éditeurs. Pour autant, plus aucun titre ne peut faire l'économie d'une présence en ligne qui dépasse le stade basique du site vitrine. En France, Le Figaro illustre parfaitement cette stratégie de modèle économique diversifié. Mais, comme le rappelle Bertrand Gié, directeur adjoint des nouveaux médias du groupe Figaro, « l'actualité, c'est la base de notre métier, c'est notre image de marque, notre vitrine. Avant de penser aux bénéfices, l'objectif est de diffuser des contenus puis donner une visibilité à nos marques ». Il dénonce ainsi la tentation d'oublier la raison d'être d'un quotidien, à savoir produire et distribuer de l'information vérifiée, et dans le cas du Figaro, une information « de qualité ». Sans cette assise éditoriale, pas de modèle économique possible. En quelques années, l'éditeur a réussi à développer sa production éditoriale tout en construisant des synergies avec une activité de commerce en ligne. On trouve d'abord une quinzaine de journalistes chargés de la gestion du figaro.fr, qui accueille les contenus rédigés par les journalistes papiers et qui les actualise entre 07H00 et 23H00, sept jours sur sept. En interne, Le Figaro s'appuie également sur la déclinaison Web du pôle féminin (Madame Figaro) et le site de TV Magazine, le premier magazine français en termes de diffusion. A partir de ça, Le Figaro a renforcé sa capacité de production de contenu, par une stratégie de croissance externe. D'abord le rachat d'AG Presse, une agence qui alimente en contenu financier Le journal des finances, propriété du groupe, et les chaînes bourse et patrimoine du figaro.fr. Ensuite, la prise de contrôle progressive et entièrement achevée du site sportif sport24.com. Enfin, entre février et juin 2007, le groupe Figaro a successivement pris 20 % du capital de Bazarchic.com, un e-marchand spécialisé dans les articles de mode/luxe, racheté Evene.fr, le premier site culturel français et racheté TickeTac, site spécialisé dans la billetterie en ligne. L'objectif est donc d'agréger, de valoriser et de fidéliser les audiences en apportant toujours plus de services aux Internautes. Ce que résume Bernard Morel, directeur général du groupe, « l'idée c'est de se servir de sa marque pour faire venir des gens et leur offrir de l'info et des services » (CB News, 16/07/2007). Les activités Internet contribuent à hauteur de huit à dix pourcent du chiffre d'affaires du groupe (Entretien Bertrand GIE, 06/2007). Par conséquent, le modèle économique du Figaro est moins dépendant de la publicité même si elle génère encore aujourd'hui les deux tiers des revenus du pôle Internet. Cependant, les responsables du pôle prévoient pour 2008 une évolution significative du modèle. 50 % du chiffre d'affaires demeurera issu de la publicité, 25 % proviendra de la vente des contenus produits par le groupe comme par exemple « la conception pour RMC d'une chaîne sport, la création de mini sites à l'occasion de la coupe du monde de rugby » (Entretien, Bertrand Gié) et 25 % issus des partenariats (comme Parship, site de rencontres) et du e-commerce. La vente de contenus peut s'avérer lucrative pour les éditeurs. Ces derniers ont comme client des entreprises (revues de presse spécialisées) ou des agrégateurs et syndicateurs de contenus éditoriaux (Factiva, L'Argus de la presse, l'Européenne de données...). En 2006, lemonde.fr réalisait 20 % de son chiffre d'affaires de cette façon44(*). Autre activité dans laquelle les éditeurs européens de PQN trouvent une importante source de revenus, les annonces classifiées. En France, « un tiers du marché des petites annonces se trouvera sur le Web à l'horizon 2010. Entre 2000 et 2005, le chiffre d'affaires des sites de petites annonces est passé de 27 à 170 millions d'euros. Dans le même temps, les petites annonces dans la presse ont reculé de 1,022 milliard d'euros à 940 millions d'euros45(*) » (Correspondance de la publicité, 30/04/2007). Aussi s'est engagée en Europe une course à la récupération de cette manne publicitaire en ligne. De fait, le secteur est en pleine consolidation. En France, le groupe Figaro est l'actionnaire majoritaire de la société Adenclassfieds, leader sur son marché, qui regroupe Explorimmo (immobilier) Cadremploi et Keljob (offres d'emploi). En Belgique, Roularta Media Group et Rossel (éditeur notamment du Soir) ont annoncé en mai 2007 la mise en commun de leurs sites de petites annonces, respectivement easy.be et vlan.be afin de « créer un site Internet national et bilingue » (Correspondance de la Presse, 24/05/2007). Le groupe norvégien Schibsted possède lui un portefeuille de 21 sites d'annonces classées à travers le monde46(*). Blocket en Suède, Soov dans les Etats Baltes, coches.net en Espagne, leboncoin.fr en France, Barche.it en Italie, fotocasa.com.mx au Mexique... Figure 4 : Composition des profits du groupe Schibsted en 2005 et 2006, en millions de couronnes norvégiennes En 2006, les annonces classées représentent la troisième source de profit du groupe norvégien, juste derrière les journaux en ligne. L'association de ces deux activités en expansion sécurise l'avenir des profits de cet éditeur. Certes, Schibsted est encore loin du jour où il arrêtera ses rotatives, mais il est en passe de réussir la diversification de l'entreprise. Le président du groupe avance un chiffre éloquent : « au troisième trimestre 2006, les activités en ligne représentaient 40 % du chiffre d'affaires et 50 % du profit47(*) ». * 44 http://www.memoireonline.com/12/06/296/m_quel-avenir-pour-la-presse-quotidienne-nationale-francaise36.html#toc247 * 45 Etude Precepta, « Presse gratuite : modèles économiques et stratégies de croissance » * 46 Schibsted, rapport annuel 2006 * 47 Intervention de Kjell Aamot, Pdg du groupe Schibsted, lors du 15eme congrès européen de la presse française, à Strasbourg, le 22/11/2006 |
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