La presse quotidienne nationale européenne peut-elle tirer profit du Web 2.0 ?( Télécharger le fichier original )par Marc LEIBA Institut des hautes études en communications sociales de Bruxelles - DESS de Journalisme Européen 2007 |
3.1.3. L'offre mixteConstatant que la formule du tout payant n'était acceptable que pour des contenus à forte valeur ajoutée, en pratique les informations économiques et financières, et craignant que la stratégie de l'entière gratuité ne suffise pour parvenir à l'équilibre, certains éditeurs se sont orientés vers une solution tierce. L'idée est de proposer des ressources gratuites à côté des ressources payantes dans des proportions variables. L'avantage de cette tarification mixte est de jouer sur les deux versants de la presse papier traditionnelle, c'est-à-dire la contribution des lecteurs et l'apport des annonceurs. Ce faisant, l'entreprise de presse se réserve la possibilité d'engranger des recettes publicitaires conséquentes, si elle est leader de son marché, tout en se permettant de facturer certains de ses contenus à forte valeur ajoutée. Cette option est essentiellement du ressort de la presse qui se positionne sur une information dite « de qualité » (I Kathimerini en Grèce), en opposition à l'information populaire (Super Express en Pologne) ou d'opinion (Correio da Manha au Portugal)38(*). L'internaute est placé devant le choix d'une facturation à l'acte, c'est dire ponctuellement pour un fichier, au forfait, il bénéficie d'un tarif dégressif avec le nombre de fichiers préachetés, ou par abonnement et il accède à toutes les ressources sans limitation de nombre. Reste à définir pour l'éditeur le choix des contenus libres et ceux qu'il souhaite facturer. La pratique révèle deux types de stratégie. Tout d'abord celle initiée par le New York Times et reprise en Europe comme le fait par exemple The Scotsman, quotidien national écossais basé à Edinburgh. Le raisonnement est de considérer que l'information la moins différenciée, c'est-à-dire celle qui se retrouve le plus facilement dans les autres médias, ne peut pas faire l'objet d'une facturation. Autrement, l'internaute se la procurerait d'une autre manière. C'est ainsi que selon Alistair Brown, directeur du Scotsman.com au moment de l'introduction de ce changement en juillet 2005, « vous ne pouvez pas faire payer ce qui est populaire, mais ce qui est unique. Les lecteurs veulent de la profondeur d'analyse et un regard typiquement écossais sur le monde et c'est ce que nos journalistes ont à leur proposer » (Online Journalism News, 20/07/2005)39(*). C'est donc l'analyse des journalistes maison, la marque de fabrication du journal, bref tout ce qui le rend différent du Scottish Daily Express ou du Daily Star of Scotland que les lecteurs sont prêts à payer. L'actif du journal le plus précieux n'est donc plus ses rotatives ou ses locaux comme naguère, mais son image, son influence et sa crédibilité. 10 % du site Internet passent ainsi en accès payant, essentiellement les analyses, les éditoriaux et certaines archives. Une autre stratégie est celle du Monde. Le quotidien français propose l'intégralité de ses contenus du jour gratuitement. Attention, l'internaute serait, comme nous l'avons expliqué plus haut, bien en peine de lire les articles dans le même ordre que celui de la version papier. Les articles sont classés par « urgence » et par thème. L'internaute a également l'accès aux contenus multimédias et la possibilité de participer aux forums, chats et blogs. En revanche, la souscription à l'abonnement lemonde.fr donne le droit à de nombreux services supplémentaires qui peuvent décider le lecteur à franchir le pas des contenus payants (six euros par mois ou deux euros l'archive). Il bénéficie alors du service Desk, fils des grandes agences de presse proposant des contenus texte, image et son, de l'envoi de newsletters (les titres du journal), alerte d'actualité chaude à toute heure du jour et de la nuit, l'accès aux archives, aux dossiers thématiques, aux infographies, quinze jours d'édition du Monde en PDF et d'autres services encore, comme les annales et les résultats des examens nationaux, l'info trafic, l'accès à la partie abonnés de Elpais.es ... Empiriquement, des auteurs40(*) ont pu vérifier qu'un éditeur de site Internet de presse augmente ses revenus si les articles produits pour le journal papier sont disjoints sur le site Internet et agrégés à d'autres articles abordant le même thème au sein d'un dossier. Le savoir faire éditorial du journaliste trouve ainsi de nouveau matière à s'exprimer dans cette hiérarchisation et mise en perspective de l'information. Le chercheur, l'étudiant, le professionnel, l'homme curieux peut donc approfondir la réflexion et dépasser le stade de la consommation rapide d'une information. Pas de modèle économique miracle, mais des formules qui réussissent plus ou moins bien au quotidien en fonction de leur offre éditoriale et de leur savoir faire Internet. D'ailleurs, certains titres changent encore radicalement de cap. C'est le cas de The Irish Times qui a essuyé une chute de 95 % de son lectorat Internet après le passage sans transition d'une version intégralement gratuite à une version intégralement payante. Elpais.com était passé au 100 % payant en novembre 2002 avant de revenir à une formule mixte en juin 2005. Idem, leparisien.fr qui depuis mars 2005 fait payer la consultation électronique des articles du jour au même titre que l'édition papier. « On ne peut plus offrir ce que l'on fait payer par ailleurs. » déclarait à l'époque Benoit Luciani, directeur général d'e-Paris, filiale multimédia du Parisien (01 Net, 18/03/2005). * 38 Pour une description des quotidiens, voir Planète Presse sur le site de Courrier International http://www.courrierinternational.com/planetepresse/planeteP_accueil.asp * 39 http://www.journalism.co.uk/news/story1455.shtml * 40 Cités par Danielle Attias, W. Maass, M.-F. SchÄafer et F. Stahl : Strategies for selling paid content on newspaper and magazine web sites, The International Journal on Media Management, 2004 |
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