2.3.2. David contre
Google
Dans la course à l'audience en ligne, d'autres acteurs
sont mieux positionnés que Métro ou 20
Minutes : les agrégateurs de contenu. « Ce sont
surtout des portails généralistes, produits par des fournisseurs
d'accès à Internet (Orange, Free, Neuf Cegetel...) ou par les
principaux acteurs de la communication interpersonnelle en ligne (Yahoo,
MSN) » (ATTIAS, 2007). Dans tous les cas, il s'agit de pure
players Internet, à l'aise avec les modèles économiques
2.0, d'autant plus qu'ils en sont souvent à l'origine. Les
agrégateurs de contenus exploitent une forte audience initiale, une
audience quasi-captive qu'ils s'emploient à maintenir le plus longtemps
possible sur leurs propres pages Internet afin de maximiser leurs revenus
publicitaires. Dans le cas des fournisseurs d'accès, ces derniers
profitent de ce que leur portail est souvent la page d'accueil de leurs
clients, et dans le cas des « acteurs de la communication
interpersonnelle en ligne », rappelons qu'ils sont une porte
d'entrée incontournable sur le réseau et que « 40 %
des visites quotidiennes d'un site non indexé dans les favoris d'un
internaute viennent du moteur de recherche Google, contre 15% pour un
« grand site » » (FOGEL et PATINO, 2005,
52). Fournisseurs d'accès Internet comme moteurs de recherche
bénéficient donc sur le net d'une excellente
notoriété si bien que le service d'actualités était
le troisième poste d'audience de Yahoo en 2004 (ATTIAS, 2007).
L'information - fournie gratuitement - n'est évidemment
pas le coeur de métier des agrégateurs mais alimente une
chaîne thématique indispensable pour un grand portail. De fait,
ces pure players Internet ne produisent aucun contenu en propre mais prennent
le parti d'agréger des contenus existants, soit qu'ils proviennent
d'agences de presse (Reuters, Belga, AFP), soit qu'ils proviennent
d'éditeurs de presse payante (De Telegraaf, Jornal de Noticias, The
Irish Times). L'agrégateur peut alors proposer aux producteurs de
contenu une rémunération, en l'échange d'une information
reconnue du grand public comme étant de qualité ; ou bien un
contrat dont les termes se résument ainsi : « contenus
contre visibilité ». L'avantage pour les agrégateurs
d'externaliser la fonction éditoriale et de n'avoir aucun coût de
ressources humaines. Pas de journalistes à rémunérer et
pas de conflits sociaux. Danielle Attias s'est penchée sur le
fonctionnement et le modèle économique des agrégateurs.
Ses calculs indiquent que cette catégorie d'acteur emploie en moyenne
2,9 personnes pour proposer une chaîne d'actualité. L'auteur
explique que Yahoo Actualités « mobilise cinq
Surfeurs, supervisés par un producteur et un responsable des
contenus ». Ces derniers « ont pour fonction
d'identifier et de classer les sites qui leur semblent les plus
intéressants afin de les proposer aux internautes ». Ces
tâches ne sont pas effectuées par des journalistes mais les
surfeurs produisent, adapté aux contraintes du Web, un travail qui se
rapproche du secrétariat de rédaction.
Ce n'est même pas le cas de la chaîne
d'actualité de Google, la fameuse Google News. La firme californienne
propose sur une page Web une sélection automatisée de liens vers
des articles parmi plusieurs centaines de sources (des éditeurs de
presse professionnels mais aussi certains sites et blog à forte
notoriété). Pour ce faire, elle a recours à un robot qui
sélectionne les articles, les analyse grâce à des
algorithmes et les classe sur le site. En outre, le service garde en
mémoire les articles même après que l'éditeur les
eût retiré de la partie gratuite de son site. De son
côté, l'internaute a même la possibilité de
personnaliser la disposition de la page et d'organiser l'affichage de
l'information en fonction de ses centres d'intérêts. Aucun
partenariat n'est noué entre Google et les éditeurs qui pour
certains voient d'un mauvais oeil cette concurrence. Une situation qui devient
de plus en plus préoccupante quand on sait que Google est depuis mars
2007, le site le plus fréquenté du monde, selon une étude
du cabinet comScore (Correspondance de la presse, 03/05/2007). En Belgique,
où il existe une version francophone de service depuis 2006,
l'association Copiepresse qui défend les intérêts
d'éditeurs de presse francophone et germanophone a triomphé par
deux fois du géant devant la justice. Confirmant son jugement du 5
septembre 2006, le Tribunal de première instance de Bruxelles a, le 13
février 2007, condamné Google pour violation de la
législation sur le droit d'auteur. Le tribunal avait estimé la
première fois que la chaîne actualités de Google
« est de nature à faire perdre aux éditeurs une part
importante de leurs revenus tirés des recettes publicitaires qu'ils
perçoivent » et que « la vente
électronique d'articles est menacée, ainsi que les ressources
tirées de l'archivage de ces articles, dont la consultation est
payante » (Recueil Dalloz 2006, n° 33). Même si
Google Actualités n'associe pas de publicité à son
service, il court-circuite le schéma de navigation mis en place par les
éditeurs, donc impacte négativement leurs ressources
publicitaires, et comme le souligne Olivier Bomsel, « la fonction
d'agrégation proposée par Google fait de ce dernier l'outil de
navigation, non pas sur un seul site, mais sur plusieurs. Difficile alors pour
un titre de fidéliser l'internaute » (Entretien Olivier
BOMSEL, 07/2007).
Le bras de fer judiciaire remporté par les
éditeurs belges reflète « les difficultés
à articuler le droit contemporain de la propriété
intellectuelle et la nécessaire organisation de l'information sur le
Web. » (Recueil Dalloz 2006, n° 33). Toutefois, il n'est
pas acquis que le retrait par Google des articles des éditeurs belges
soit bénéfique pour ces derniers. En représailles, le
moteur de recherche avait même totalement
déréférencé les membres de Copiepresse,
procédure légal, afin de minimiser leur trafic. Par
conséquent, « Copiepresse continue à batailler
ferme afin de décrocher un accord financier par lequel ses articles
pourront être publiés sur Google News, en échange d'une
rémunération » (Correspondance de la presse,
04/05/2007). L'incertitude juridique dans les autres pays et le coût
financier induit par des batailles juridiques fleuves pousseront sans doute les
éditeurs à rechercher des accords plutôt qu'un arbitrage
judiciaire. Ainsi l'AFP annonçait-elle le 6 avril 2007 la signature avec
Google d'un accord de partenariat qui « prévoit la
fourniture rémunérée d'informations AFP (textes/photos) en
ligne ». Cet accord « met un terme aux actions en
justice lancées par l'agence de presse contre le moteur de recherche aux
Etats-Unis et en France en 2005 » (Communiqué de presse
AFP, 06/04/2007).
A la fois émanation idéologique, alchimie
opportuniste de la technologie et des modèles économiques et
phénomène socio générationnelle auto entretenu, la
gratuité pose un sérieux problème aux éditeurs de
presse payante qui assistent, impuissants, à la
démonétisation de leur travail. Toutefois, la radio n'a pas
achevé l'écrit, pas plus que la télévision n'a
tué ces deux médias. De ces deux exemples, il a été
déduit qu'un nouveau média n'entraînait pas la disparition
d'autres plus anciens. La gratuité est donc une épreuve
économique dont les éditeurs peuvent triompher.
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