Le droit international à l'épreuve de l'emploi d'armes nucléaires aux termes de l'avis consultatif de la Cour internationale de Justice du 8 juillet 1996( Télécharger le fichier original )par Sylvain-Patrick LUMU MBAYA Université de Kinshasa - Licence en droit-Avocat au Barreau de Kinshasa/Matete et Assistant à la Faculté de droit de l'UNIKIN 2004 |
CONCLUSIONDurant la période d'armement nucléaire complet, le monde contemporain a toujours dû faire face à la menace ou à l'emploi d'armes nucléaires. Pendant la longue guerre froide, la menace fut en effet accélérée par la stratégie adoptée par les puissances nucléaires et leurs alliés ; le caractère quasi illimité de sa puissance destructrice ayant permis à l'arme nucléaire d'acquérir la réputation d'être « le dernier recours dissuasif ». Au lendemain des explosions d'Hiroshima et de Nagasaki, elle est ainsi devenue une arme politique, ne devant jamais être utilisée. En effet, les conséquences d'un recours à une telle arme étaient bien trop horribles pour pouvoir seulement être envisagées. C'est ainsi que l'arme nucléaire « a monté la garde pendant toutes les décennies marquées par la rivalité entre les deux blocs, finissant par être perçue comme un « gardien de la paix ».(295(*)) Même après la guerre froide, cette menace ne s'est pas complètement éteinte car, à cause de sa nature extrême, l'arme nucléaire a faussé le débat humanitaire. Alors qu'elle fut pendant longtemps l'objet des discussions au sein des organes des Nations Unies et de la commission du désarmement de Genève, la question de l'emploi de l'arme nucléaire « fut évitée au sein des travaux pour la réaffirmation et le développement du droit international humanitaire »(296(*)) Malgré cela, le CICR, - ému par l'expérience d'Hiroshima et de Nagasaki et par les souffrances rencontrées au cours du second conflit mondial et surtout conscient du potentiel destructeur de l'arme nucléaire - alors que, dans ces années d'après-guerre, le monde était conscient des dangers, mais restait partagé entre l'espoir et la crainte - s'est donné pour tâche d'établir la base juridique qui serait à même d'empêcher que le pire se reproduise. Cette intense activité humanitaire a débouché sur la modernisation et le renforcement des conventions de Genève existantes notamment à travers l'adoption d'une convention relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, le 12 août 1949. Désormais, les belligérants doivent connaître les limites des pouvoirs destructeurs dont ils disposent. Ils doivent en effet savoir qu'ils n'ont pas un droit illimité quant au choix des moyens de combat ; que les civils ne peuvent pas être pris pour cibles, que la puissance militaire ne peut pas être employée de manière indiscriminée; que l'environnement ne peut pas être endommagé au point de mettre en péril la santé et la survie des populations qui y vivent. Malgré cette évolution, la communauté internationale n'a pas pu se résoudre à se défaire de l'arme nucléaire comme elle l'avait fait pour les gaz asphyxiants et les armes biologiques, dont la prohibition avait été formulée en 1925 par le protocole de Genève après leur utilisation sur les champs de bataille du premier conflit armé mondial. Un certain nombre de situation à l'issue incertaine - guerre de Corée et crise de Suez, notamment - ont démontré que le risque de guerre nucléaire totale ne pouvait plus être ignoré. Cette absence de consensus politique sur la prohibition des armes nucléaires, comparable à celui réuni sur la question des armes chimiques et biologiques, fut le problème le plus aigu auquel la Cour internationale de Justice a dû faire face et, en fait, la raison principale pour laquelle, les Etats défenseurs de l'illicéité de l'emploi d'armes nucléaires ont cherché à porter la question devant elle. En effet, l'Assemblée générale des Nations Unies a demandé à la CIJ d'émettre un avis consultatif sur cette pertinente question. Il s'est agi pour elle de dire s'il était « permis en droit international de recourir à la menace ou à l'emploi d'armes nucléaires en toute circonstance ». A l'issue d'une analyse exceptionnellement longue, la Cour a donné sa réponse, le 8 juillet 1996. Cette étude a examiné, en passant par les positions contradictoires des Etats, le chemin emprunté par la Cour dans la perspective de rendre son avis. Dans la première partie, il s'est agi de déterminer le droit applicable à l'emploi d'armes nucléaires. Plusieurs instruments de droit international général ainsi que ceux des matières spécifiques ont été passés en revue pour cette fin. Ainsi, ont été examinés, à ce titre notamment pour les premiers, les dispositions pertinentes de la Charte des Nations Unies, les normes conventionnelles et coutumières de portée générale de protection des droits de l'homme et de sauvegarde du droit de l'environnement. Mais, la Cour n'en trouve « aucun texte [qui interdit] l'usage et même l'initiative de l'usage des armes nucléaires »(297(*)) et que, par ailleurs, « l'apparition [...] d'une [telle] règle [en droit coutumier] se heurte aux tensions qui subsistent entre, d'une part, une opinio juris naissante et d'autre part, une adhésion encore forte à la politique de dissuasion » (298(*)) évoquée par les Etats partisans de la licéité. Il a été, néanmoins, admis qu'au regard des dispositions pertinentes de la Charte des Nations Unies, le recours à la force par un Etat contre l'intégrité territoriale et l'indépendance politique de tout autre Etat, avec l'emploi de n'importe quel système d'armement y compris l'arme nucléaire, est catégoriquement prohibé(299(*)) sans que le raisonnement n'aille jusqu'à « conclure de façon définitive à la licéité ou à l'illicéité de l'emploi d'armes nucléaires par un Etat dans une circonstance de légitime défense ... »(300(*)) Une telle règle n'a-t-elle pas pu être trouvée dans les conventions qui comportent diverses normes de limitation ou d'élimination de l'emploi de l'arme nucléaire dans les espaces déterminées, comme le traité du 1er décembre 1959 qui interdit le déploiement des armes nucléaires parmi d'autres dans l'Antarctique et le traité de Tlatelolco du 14 février 1967 qui crée une zone exempte d'armes nucléaires en Amérique Latine ; ou dans les conventions qui appliquent des mesures de contrôle et de limitation sur l'existence des armes nucléaires, comme les traités de prohibition partielle ou complète des essais nucléaires ou le traité du 1er juillet 1968 sur la non-prolifération des armes nucléaires ? Relevant tout de même que la tendance en matière d'interdiction d'emploi d'une classe donnée d'armes de destruction massive, était toujours « de les déclarer illicites grâce à l'adoption d'instruments spécifiques » (301(*)), la Cour n'a, par ailleurs, perçu ces différents instruments juridiques que « comme annonçant une future interdiction de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires mais ne la comporte pas déjà »(302(*)). A propos de l'applicabilité des règles du droit des conflits armés à l'emploi de l'arme nucléaire, la Cour affirme néanmoins avec vigueur que l'ensemble des ces normes sont applicables en l'espèce car une réponse contraire « méconnaîtrait la nature intrinsèquement humanitaire des principes juridiques en jeu, lesquels imprègnent tous les droits des conflits armés et s'appliquent à toutes les formes de guerre et à toutes les armes du passé, du présent et de l'avenir »(303(*)). La deuxième partie de cette étude a porté, quant à elle, exclusivement sur l'analyse de la question de l'emploi d'armes nucléaires passée au crible de la CIJ dans l'avis consultatif du 8 juillet 1996. Des positions contradictoires des Etats jusqu'aux commentaires de la doctrine, en passant par l'analyse des opinions et décisions de la Cour sur chaque problème, l'on est parvenu à percevoir, dans cet exercice, la quintessence du débat qui s'est déroulé devant l'organe judiciaire principal des Nations Unies. Il lui avait été demandé par l'Assemblée Générale des Nations Unies de dire dans les meilleurs délais s'il est « permis en droit international de recourir à la menace ou l'emploi d'armes nucléaires en toute circonstance »(304(*).) Eu égard aux caractéristiques particulières et uniques aux armes nucléaires, « l'utilisation de ces armes n'apparaît effectivement guère conciliable avec le respect des exigences strictes auxquelles les principes et règles du droit applicables dans les conflits armés, qui reposent essentiellement sur le principe d'humanité, soumettent la conduite des hostilités ». Ainsi sont interdits, les méthodes et moyens de guerre qui ne permettraient pas de distinguer entre les biens à caractère civil et les objectifs militaires, ou qui auraient pour effets de causer des souffrances inutiles aux combattants (305(*)) Il est de regret de constater que la Cour n'ait pas pu aller plus loin dans son raisonnement en l'espèce. Elle déclare, par ailleurs, qu' « elle ne dispose pas des éléments suffisants pour pouvoir conclure avec certitude que l'emploi d'armes nucléaires serait nécessairement contraire aux principes et règles du droit applicables dans les conflits armés en toute circonstance ». Par sept voix contre sept, par la voix prépondérante de son président, l'organe judiciaire principal des Nations Unies parvient à répondre au véritable problème de la demande adressée par l'Assemblée Générale et qui a constitué l'une des questions majeure de cette étude à savoir la licéité ou l'illicéité de l'emploi de l'arme nucléaire dans le contexte de l'exercice de la légitime défense. Il s'agissait pour lui d'interpréter le droit des conflits armés au regard du droit du recours à la force prévu au chapitre VII de la Charte des Nations Unies. La Cour déclare en effet que : « au vu de l'état actuel du droit international ainsi que des éléments de fait dont elle dispose, la Cour ne peut cependant conclure de façon définitive que la menace ou l'emploi d'arme nucléaire serait licite ou illicite dans une circonstance extrême de légitime défense dans laquelle la survie même d'un Etat serait en cause »306(*) De ce point de vue, elle laisse ainsi intacte la question de la licéité ou de l'illicéité de l'emploi d'armes nucléaires dans l'exercice de la légitime défense alors qu'à travers le problème particulier de la légalité de l'emploi ou de la menace d'emploi des armes nucléaires, la Cour devait se prononcer sur la validité d'un comportement qui, pour être resté hypothétique depuis Hiroshima et Nagasaki, n'en constituait pas moins le fondement de la politique de défense des plus grandes puissances de la planète.(307(*)) Son raisonnement en matière d'interprétation du droit international humanitaire, fut pour le moins ambivalent(308(*)), mais surtout hétéroclite. L'apport de son avis quant à la qualification juridique de l'emploi d'armes nucléaires par rapport au droit des conflits armés parait plutôt modeste. Car, de par la récapitulation des différents principes du droit international humanitaire, la Cour ne se livre même pas à leur interprétation dans le cas concret de l'emploi d'armes nucléaires. Or, il est possible de considérer que « causant des maux superflus leur emploi se trouve prohibé de ce seul fait »(309(*)) Peut-être faudrait-il noter que le grand mérite de l'avis est de confirmer que le droit international humanitaire s'applique à l'emploi de l'arme nucléaire (310(*)). Mais s'agit-il vraiment d'un apport propre à la Cour, quand un consensus dans le même sens s'est facilement dégagé parmi les Etats devant la Cour ? Toutefois, l'action de la Cour contenait à diverses reprises des tentatives courageuses de réhabilitation du droit dans un espace déjà extrêmement limité par les contraintes techniques du raisonnement juridique et les limites du rôle du droit dans la société. L'analyse précédente a particulièrement noté une volonté tenace de la part de la Cour de renforcer les moyens du droit face à la force de l'arme nucléaire. La dynamique de négociation des mesures de contrôle de l'existence de l'arme nucléaire, pour atteindre le désarmement nucléaire complet, fournit des éléments susceptibles de réhabiliter le droit face à la force des armes nucléaires et « se présente comme moyen privilégié de parvenir à ce résultat »(311(*)). L'avis de la Cour devait concilier tout le monde et n'aura sans doute satisfait personne, à commencer par les juges eux-mêmes. Du fait de l'absence de conclusion, plusieurs lectures de l'avis ont pu être faites. A considérer seulement les opinions des juges, quatre tendances peuvent être dégagées : 1. Les juges Guillaume, Schwebel et Higgins considèrent que la Cour admet la licéité de l'emploi d'armes nucléaires dans une circonstance extrême de légitime défense. Telle est également l'opinion des juges Shahabuddeen, Weeramantry et Koroma. Mais si les premiers approuvent cette position, les seconds la déplorent ; 2. pour les juges Bedjaoui, Shi et Vereshchetin, l'avis traduit exactement la situation juridique actuelle. Ils approuvent globalement le raisonnement de la Cour et le constat auquel elle est arrivée. 3. les juges Ferrari Bravo, Fleishhauer, Herozegh et Oda considèrent que l'avis comporte des équivoques et n'apporte pas de réponse complète et tranchée. Mais si le juge Oda en déduit que la Cour aurait été mieux avisée de réfuter de rendre un avis quelconque en l'espèce, les juges Ferrari Bravo, Fleishhauer et Herozegh quant à eux estiment que la Cour s'est montrée relativement peu audacieuse et que l'état actuel du droit international aurait permis une réponse plus précise. 4. seul le juge Ranjeva voit dans l'avis de la Cour une confirmation du principe de l'illicéité de l'emploi d'armes nucléaires. A notre avis, la question de la véritable nature du droit de légitime défense, devenue sans doute d'actualité avec les interrogations en matière de l'emploi de l'arme nucléaire, n'a rencontré nullement un consensus approprié. Elle refait surface et demeure une question de perspective. Notre voeu était de voir la Cour, alors que l'occasion lui en était offerte, réaffirmer en termes tranchés et dénué de toute ambiguïté, comme ce fut le cas dans l'Affaire des activités militaires et para militaires au Nicaragua et contre celui (Nicaragua C. Etats-Unis d'Amérique), la « règle spécifique... bien établie en droit international coutumier » selon laquelle « la légitime défense ne justifierait que des mesures proportionnées à l'agression subie, et nécessaire pour y riposter »(312(*)). Si tel était le cas, l'instance judiciaire des Nations Unies aurait pu sans ennui, par l'interprétation des principes de la nécessité et la proportionnalité ainsi que l'ensemble des règles du droit des conflits armés auquel doit satisfaire tout usage de la force, parvenir à la déclaration de l'illicéité de l'emploi de l'arme nucléaire en toute circonstance, y compris en cas de l'exercice de la légitime défense. Elle l'a fait dans les motifs sans y parvenir dans le dispositif de son avis, lorsqu'elle déclare qu : « une arme qui est déjà part elle-même illicite que ce soit du fait d'un traité ou du droit de la coutume, ne devient pas licite du fait qu'elle est emploi dans un but légitime en vertu de la Charte »(313(*)). Quoi qu'il en soit, l'illicéité absolue des effets produits par les armes nucléaires n'est guère contestable.
* 295 KIM (Gordon-Bates), op.cit, p.2. * 296 FUJIKA (Hisakasu), op.cit, p.1. * 297 DJENA WEMBOU (Michel-Cyr) et FALL (Daouda), Droit international humanitaire, théorie générale et réalités africaines, Paris, éd. Harmattan, 2000, p.89. * 298 CIJ, Recueil 1996, p. 256, paragraphe 73. * 299 CIJ, Avis consultatif du 8 juillet 1996 (AG), paragraphe 44 * 300 Idem, paragraphe 105.2 E * 301 CIJ, Recueil 1996, p. 248, paragraphe 58. * 302 Ibid, p. 253, paragraphe 62. * 303 Ibid, paragraphe 86. * 304 CIJ, Recueil 1996, .68, paragraphe 1 * 305 Ibid, pp.262-263, paragraphe 95 * 306 CIJ, Recueil 1996, p.266, paragraphe 105.E * 307 DAVID (Eric), « L'avis de la CIJ sur la licéité de l'emploi des armes nucléaires », RICR, n°823, pp.22-36 * 308 Voir la critique du juge Higgins, CIJ, Recueil 1996, p 592. * 309 DJENA WEMBOU (Michel-Cyr) et FALL (Daouda), op.cit, p.89. * 310 Voir FALK (Richard), « Nuclear Weapons, international law and the world count : An historic Encouter », Die Friedens- Wrate, 71(1996), Vol, pp.235-248, p.238. * 311 CIJ, Recueil 1996, paragraphe 98, p.263 * 312 CIJ, Recueil 1986, p.94, paragraphe 176. * 313 CIJ, Recueil 1996, p.244, paragraphe 39 |
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