C) Sociologie appliquée à l'étude
de L'Aïkiryu :
1. Sociologie de la pratique de l'Aïkido :
D'après Jean Paul Clément1, les
pratiquants d'Aïkido semblent être plutôt des cadres avec une
majorité de travailleurs « intellectuels » et semble
attirer également beaucoup de femmes. On peut remarquer que cette
étude a eu lieu vers 1981 et que certaines choses ont pu évoluer
depuis. Pierre Bourdieu, cité par JP Clément, l'explique par
« on peut poser en loi générale qu'un sport a d'autant plus
de chances d'être adopté par les membres d'une classe sociale
qu'il ne contredit pas le rapport au corps dans ce qu'il a de plus
profondément inconscient, c'est-à-dire le schéma corporel
en tant qu'il est dépositaire de toute une vision du monde social, de
toute une philosophie de la personne et du corps propre ». Cela
précise l'idée que les pratiquants d'Aïkido adhérent
à cette forme de travail car elle correspond inconsciemment à une
culture qu'ils ont en commun, en d'autres termes la classe sociale
détermine les formes de pratiques.
Cette citation de Pierre Bourdieu précise une chose
importante, c'est que les personnes d'une même classe sociale ont
intériorisé des « schèmes » propres à
leurs rangs dans la société. C'est une chose qu'ils ont en
commun, ils ont les façons de se communiquer, ils ont les mêmes
codes que ce soit explicite ou implicite. Et c'est cela qui les rapproche car
ils ont le même rapport au corps, donc un travail à distance sans
corps à corps. Ce que Jean-Paul Clément met en avant, c'est le
principe de distance de garde qui se fait en Aïkido par une mise à
distance du partenaire tout en évitant les
1 Clément, JP. (1981) La force, la souplesse et l
'harmonie in sport et société, approche socioculturelle
des pratiques de Christian Pociello
contacts corporels, par de grands mouvements tournants. De
même que l'explication de Hall1 en 1971, indique des niveaux
différents de distance en fonction de quatre espaces : intime,
personnelle, sociale et publique. L'Aïkido utilise une distance sociale en
mode éloigné.
Sur le plan du travail à deux, la logique de
l'Aïkido n'est pas de s'affronter par une mise en opposition mais
plutôt de se contrôler mutuellement par une coopération.
L'idée est que la technique permet de faire passer un message de respect
de soi et des corps mais aussi pour en revenir à Bourdieu, le fait de se
contrôler est un signe de toute une vision du monde social où
l'individu cherche à contrôler l'ensemble de ce qu'il fait. Ce qui
explique le refus des Aïkidokas d'être reconnu comme sport de combat
mais bien comme arts martial non violent, d'où la non compétition
et l'euphémisation du combat pour ne garder que le principe d'harmonie,
soit la coopération technique à visée esthétique.
Le véritable art étant de ne jamais s'en servir. La fonction
esthétique de l'assaut demeure primordiale et la pureté des
mouvements, la vitesse d'exécution, la volonté de ne pas utiliser
la force pure et le port de l'hakama2 accentuent encore plus la
sensibilisation des pratiquants à la beauté de leurs
mouvements.
Cette esthétisation extrême du combat se
rapproche de la chorégraphie qui attire et inspire des groupes
composés d'artistes tels que « Solaris » présentant un
spectacle intitulé « la modern-dance saisie par l'aïkido
». Cette pratique distancée, euphémisée et
esthétisée satisfait plus aisément les couches sociales
élevées qui peuvent pousser sa stylistique jusqu'à la
limite de la gratuité du geste. Luc Boltanski3
développe l'idée que chaque milieu social définit sa
propre culture somatique ; c'est-à-dire que les cultures des classes
aisées ont une relation plus attentive à leurs corps qui
valorisent le rapport conscient à leur corps avec une perception de
leurs sensations, une valorisation de la grâce de la beauté au
détriment de la force physique. C'est-àdire que dans l'ensemble
des pratiques légitimes à un moment donné elle
apparaît comme socialement et culturellement déterminé car
la pratique contient des normes et des valeurs qui se rapprochent de celles
d'un groupe social élevé.
1 Hall, E. (1971) La dimension cachée, édition
du seuil, Intuition
2 En effet, l'hakama est une jupe qui recouvre les jambes et
masque le déplacement de celles-ci, ce qui donne une impression de
fluidité, de déplacements harmonieux et c'est ce qui permet de
masquer les intentions de déplacement.
3 Boltanski. L, (1971) Les usages sociaux du corps, Annales.
Économies, sociétés, civilisations, 26(1), p.
205-233,
L'exploitation par l'Aïkidoka d'une énergie
extérieure à son propre profit repose sur une gestion subtile de
la gestualité et c'est une rupture culturelle que nous observons chez
les Aïkidokas à travers la description même de leur pratique.
L'Aïkido s'inscrit donc dans ce que nous pourrions appeler une «
contre-culture » et constitue un élément essentiel de tout
un style de vie1. En effet, la pratique véhicule des savoirs
basés sur des influences religieuses, philosophiques et culturelles que
Morihei Ueshiba a introduites en proposant la pratique de l'Aïkido. C'est
une pratique asiatique basée sur des influences également
asiatiques donc lorsque l'Aïkido a du être enseignée en
occident, les occidentaux l'on appréhendé avec leur culture
occidental. C'est ce décalage que l'on considère comme une «
contre-culture » soit l'adhésion à de nouvelles
façons de voir sa culture d'origine.
D'après l'étude de Jean-Paul Clément,
faite en 1981, les grandes tendances des Aïkidokas sembleraient être
qu'ils s'opposent aux interdits sociaux et moraux, ils seraient permissif sur
le thème de l'homosexualité, sur la consommation des drogues
douces, ils seraient favorables à l'abolition de la peine de mort, ils
se sentiraient plus proches des partis écologistes plutôt que des
partis traditionnels. Cela est du à la vision transmise par la pratique
visant à se détacher de la culture occidentale qui est notre base
de développement en France, par acquisition d'éléments
d'une culture asiatique. Aujourd'hui, c'est une pratique riche en enseignement
sur la vie en général. D'un point de vue plus universitaire,
l'étude sociologique de cette pratique permet de pouvoir cerner au mieux
l'état d'esprit dans lequel les pratiquants évoluent, leur
inscription dans un mode de vie et de culture. L'idée de la pratique de
l'Aïkido est que pour comprendre l'ensemble de l'enseignement il faut dans
chaque instant de sa vie le réinvestir.
Tous les éléments abordés
précédemment montrent bien que la pratique d'une discipline issue
d'une autre culture tend à nous proposer une vision différente de
la société. Toutefois, les personnes ayant les capacités
à accepter ces modifications sembleraient être issues de milieu
aisé ou avec un certain capital culturel. Cependant, dans un monde
actuellement tourné vers la mondialisation, c'est-à-dire une
ouverte sur le monde accessible par tous, peut on encore dire que seul les
classes aisées ont la possibilité de pouvoir concevoir autre
chose que la culture dont ils dépendent. C'est pour cela qu'il va
être intéressant d'analyser le contexte dans lequel les individus
évoluent aujourd'hui.
1 Valette-Florence, P. (1994) les styles de vie,
Nathan
1 Weber, M. (2006) Sociologie de la religion, traduit
par Kalinowski, I., Flammarion
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