L'art numérique: médiation et mises en exposition d'une esthétique communicationnellepar Lauren Malka Celsa-Paris IV - Master 2 de Management Interculturel et Communication 2005 |
b) La médiation esthétisée par une mise en scène spectaculaire de la relation au public : le cas de l'exposition de Pierre Huyghe au Musée d'Art Moderne de ParisL'exposition du Palais des Beaux-Arts de Lille semble ainsi choisir une logique d'ouverture scénographique, privilégiant ainsi l'aspect démocratique de l'art numérique sur les possibilités d'expérimentation individuelle des oeuvres. La primauté semble également accordée à la médiation thématique de l'exposition en générale, au détriment de la relation individuelle avec les oeuvres. Un autre procédé consiste alors, au contraire, à privilégier l'actualisation de la mise en scène des oeuvres au moment de la visite. Ce choix communicationnel exige une réflexion approfondie concernant la volonté de l'artiste-médiateur, et la réception du spectateur. .Les oeuvres imposant leurs propres codes scénographiques L'exposition de l'artiste Pierre Huyghe « Celebration Park » au Musée d'art moderne de la ville de Paris63(*) semble suivre ce type de logique en privilégiant l'esthétique des relations interindividuelles et immédiates entre les oeuvres et les spectateurs. Le lien entre l'oeuvre et le public n'est pas créé par une thématique de médiation, caractérisant les oeuvres présentées, et l'argument de l'exposition, mais par la mise en scène spectaculaire de la relation entre les oeuvres et les spectateurs. La médiation artistique, l'orientation interprétative et interactive du spectateur est ainsi assurée et presque ordonnée par l'oeuvre elle-même et non par des procédés communicationnels extérieurs dans la mesure où l'oeuvre impose ses propres codes scénographiques. La mise en scène ne découle plus, comme dans le précédent cas, d'un choix thématique de départ, mais des oeuvres elles-mêmes qui imposent leur propre scénographie et la réception de leurs spectateurs. Le titre de cette exposition, Celebration Park, est d'ailleurs significatif à cet égard dans la mesure où il évoque le nom d'un parc que l'artiste envisage de construire, échappant aux codes muséaux traditionnels pour réinventer de nouvelles modalités temporelles et spatiales. Pour mettre en scène cette esthétique injonctive de la médiation, l'exposition semble avoir totalement organisé son espace en fonction des oeuvres qu'elle y recevrait. L'oeuvre très marquante intitulée « Gates » (2006), présente des portes gigantesques animées, pilotées par un programme, et flottant dans l'espace. Le mouvement lent et continu de ces deux portes entrouvertes engendre l'expérience pour le spectateur d'un sol mouvant et d'une perte de repères presque effrayant. L'immense couloir, au plafond très haut, où ces portes tournoient confère à l'installation une dimension d'autant plus invraisemblable et spectaculaire, et une relation d'autant plus déstabilisante et fictionnelle entre le visiteur et l'espace. L'oeuvre ne prend toute sa dimension que mise en relation avec le visiteur et ne prend toute sa force conceptuelle qu'au travers des réactions d'étonnement, d'enchantement et d'une certaine panique du spectateur. .L'esthétique de la communication rendue spectaculaire par le dispositif scénographique L'oeuvre « One Year Celebration » (2003), correspond à une toute autre esthétique, impliquant le spectateur à un moindre degré, et exige ainsi une toute autre réflexion scénographique. A la demande de Pierre Huyghe, des artistes, musiciens, architectes, chorégraphes ont imaginé la célébration de jours non fériés par la réalisation d'un calendrier réapproprié. Ce calendrier, exposé dans une salle isolée sous la forme d'une série de posters placés les uns à côté des autres dans une grande salle qui leur est consacré, est tout à fait représentatif du projet de cet artiste dans la mesure où il propose à la fois une mise en scène collective, une oeuvre issue de l'inter-créativité, et à la fois un autre agencement des codes conventionnels, une réinvention des rituels. La mise en scène de cette oeuvre, qui devrait se contenter d'amener le spectateur à contempler une création interagie, amène celui-ci à s'infiltrer dans l'espace clos, et à prendre part à cette oeuvre isolée du reste de l'exposition. L'incompréhension première du visiteur face à la multiplication de ces posters, face à l'immensité de ce calendrier, à l'isolement de cette pièce, les interrogations et l'étonnement conceptuel que cette oeuvre engage chez le spectateur font de la mise en scène une véritable spectacularisation de l'oeuvre. L'installation, qui ne contient pas en elle-même de possibilités d'interaction avec le spectateur, est véritablement érigée en spectacle par la pertinence de la scénographie. Le Musée d'art moderne de la ville de Paris est ainsi une institution habituée à recevoir des oeuvres traditionnelles et accepte cependant, pour tenter d'exposer les oeuvres de Pierre Huyghe dans toute leur potentialité esthétique et communicationnelle, de repenser totalement la structure conventionnelle et les dispositifs de son espace de médiation artistique. .Une médiation ponctuelle qui laisse des zones d'hermétisme conceptuel On note cependant que, si les aspects conceptuel et esthétique des oeuvres de cette exposition semblent éclairés, et les relations au public esthétisées d'une manière assez pertinente par une certaine spectacularisation des oeuvres, l'absence de toute trace écrite ou interactive, de tout support d'explication rétrospective semble regrettable. L'on peut en effet affirmer que malgré de nombreux efforts scénographiques, certaines oeuvres ou éléments de cette exposition, tels que le titre qu'elle porte, demeurent opaques pour certains spectateurs. Cette exposition privilégie la mise en scène et la valorisation individualisée de chaque oeuvre isolée mais n'accorde que peu d'importance à la compréhension par le public de la cohérence générale de l'exposition. Le visiteur est ainsi mené d'étonnement en étonnement, et frappé par la mise en scène artistique de sa propre relation aux oeuvres. Mais il ne peut cependant se fier qu'à lui-même quant à la conceptualisation de leur cohérence esthétique générale. Or, les médiateurs de cette forme naissante peuvent-ils se permettre, par l'absence de toute trace rétrospective et de tout support explicatif, de risquer d'entretenir les mythes de ponctualité et d'hermétisme de l'art numérique, et de l'art contemporain en général? * 63 Pierre Huyghe, Celebration Park, Musée d'art moderne de la ville de Paris, 10 mars - 23 avril 2006 |
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