b- Le contrôle du juge constitutionnel, source
d'évolution du droit modèle autonomique espagnol
En tant que juge des conflits de compétences qui
peuvent intervenir entre l'Etat et les C.A., le juge constitutionnel joue un
rôle éminent dans l'évolution du droit constitutionnel
espagnol. En effet, même si le constituant de 1978 a fixé un
certain nombre de compétences que seul
Madrid peut assumer, les C.A., en vertu du principe
dispositif, peuvent
acquérir, comme nous l'avons plus haut, des
compétences croissantes qui seront directement intégrées
dans leur statut d'autonomie et feront donc partie intégrante de
l'ordonnancement juridique.
Le T.C. espagnol a donc la lourde tache de veiller à ce
que cette amplification statutaire des compétences des C.A. ne
bouleverse pas le droit constitutionnel espagnol vers une dérive
fédéraliste du système.
Le T.C. joue donc à ce titre un rôle central dans
l'évolution de la distribution territoriale du pouvoir, en se chargeant
à la fois de veiller à ce que les C.A. puissent assurer, si elles
le souhaitent, les compétences que la Constitution leur laisse ouvertes
et d'autre part à ce qu'elle n'outrepassent pas le seuil de
compétence fixé par la norme fondamentale.
Enfin, la haute juridiction doit également veiller,
comme nous l'avons vu plus haut, à ce que le déséquilibre
constitutionnel institué par l'article 149.3 CE (clause de
prévalence du droit étatique en cas de conflit de
compétence concurrente) soit opportun, en un mot, qu'il joue en faveur
de l'intérêt général de l'Etat espagnol.
Le T.C. constitue donc, en tant que juge des conflits entre
Etat et C.A., une source éminente du droit et sa jurisprudence
s'avère déterminante dans l'évolution de la configuration
autonomique de l'Etat espagnol.
Le nombre de conflits de compétence
présentés devant le T.C. a été relativement
important dans les années 1980. Une des raisons qui a permis la baisse
des conflits depuis les années 1990 a bien été la
jurisprudence même du T.C., qui en résolvant les problèmes
de compétences, en indiquant à l'Etat et aux C.A. l'orientation
à suivre, a permis d'éviter de nombreux conflits. Ce facteur a
été très important dans les premières années
de vie de la Constitution, une époque de grande désorientation
à propos de la distribution des compétences.
Désormais les conflits entre Etat et C.A. se font plus
rares et la jurisprudence constitutionnelle se fait dernièrement,
relativement plus favorable aux C.A..
En atteste la décision n° 165/1994 du 26 mai 1994
du T.C., saisi par le gouvernement central d'un conflit positif de
compétence entre l'Etat et la C.A. du pays basque.
Le T.C. déclare valide la compétence de cette
communauté pour créer un « office de
représentation du gouvernement basque auprès des institutions
communautaires, à Bruxelles ».
Il s'agissait là, pour le juge constitutionnel, de
trancher la question de savoir si la création de cet office,
chargé de représenter la C.A. basque à l'échelle
européenne, rentrait ou non dans le champs de l'article 149.1.3° de
la CE, relatif à la compétence exclusive de l'Etat en
matière de relations internationales.
La position du juge constitutionnel est donc surprenante et
avant tout innovante puisque le T.C. admet que « la dimension externe
d'une affaire ne permet d'effectuer une interprétation extensive de
l'article 149.1.3° de la CE ». Il rappelle également
l'interdiction aux C.A. dotées d'une « autonomie politique,
mais non sujets de droit international, de participer aux relations
internationales et, par conséquent de conclure des traités avec
des Etats souverains et des organisations internationales
gouvernementales » mais souligne néanmoins le caractère
intrinsèque du droit communautaire, dans lequel l'Espagne agit au
travers d'une structure juridique « très différente de
celle traditionnellement utilisée en matière de relations
internationales » et va même jusqu'à considérer
que l'ordre communautaire peut être considéré à
certains égards, « comme un ordre interne » et
légitime ainsi la possibilité pour la C.A. de créer un
office gouvernemental basque à Bruxelles : « la
compétence étatique, en matière de relations
internationales habilite les organes étatiques à gérer et
coordonner les activités à portée extérieure des
C.A. de telle sorte qu'elles ne conditionnent ni n'affectent la politique
extérieure,
compétence exclusive de l'Etat ».
Si le T.C. espagnol semble ici faire une interprétation
plus que restrictive de l'article 149.1.3° CE, il rappelle cependant le
cadre juridique dans lequel, selon lui, les C.A. peuvent user de cette position
doctrinale : « la possibilité des C.A. de mener à
bien des activités engendrant des répercussions à
l'étranger est limitée aux seules activités
nécessaires pour l'exercice de leurs compétences dès lors
qu'elles ne génèrent des obligations immédiates
vis-à-vis d'autres pouvoirs publics étrangers, ni
n'interfèrent dans la politique extérieure de l'Etat, ni
n'engagent la responsabilité de ce dernier à l'égard
d'Etats étrangers ou d'organisations inter ou
supranationales ».
En faisant ici une interprétation restrictive de
l'article 149.1.3° de la CE, le juge constitutionnel admet ainsi la
possibilité pour les C.A. de se faire représenter, de
façon autonome et indépendante de l'Etat, à
l'étranger et en l'espèce, auprès de la Commission
Européenne. Des lors, le TC, sans le prononcer, contribue par cette
décision quelque peu surprenante à dégager du monopole
étatique, dans une mesure certaine, la sphère sacro-sainte des
relations internationales.
On peut ainsi relever le rôle déterminant du
juge constitutionnel dans l'évolution du système autonomique
espagnol, suivant qu'il accorde ou non une autonomie conséquente ou
étendue aux C.A.. On peut dès lors très
légitimement affirmer que de sa jurisprudence dépend, dans une
importante mesure, le devenir de l'Etat des autonomies et de la configuration
de sa distribution territoriale du pouvoir entre C.A. et Etat.
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