CHAPITRE III : LE MULTIPARTISME ET L'ALTERNANCE AU
POUVOIR EN
REPUBLIQUE DE GUINEE :
Section 1 : La naissance des partis politique en
Guinée
En dépit de la controverse entre les auteurs sur le
lieu précis et la date précise de la naissance du
phénomène partisan, il faut noter que ce soit en Afrique ou
ailleurs, la naissance et le développement du phénomène
partisan est lié à la naissance de la démocratie et
à l'introduction du suffrage universel au XIXe
siècle26. Plusieurs études corroborent cette
idée. Par exemple, Ostrogorski, dans son oeuvre, ? Démocratie et
organisation des partis politiques?, argue que l'émergence des partis
politiques en Angleterre et Etats-Unis s'explique par le développement
de la démocratie et l'apparition du suffrage.
Quant à Maurice Duverger, il situe l'origine du
phénomène partisan en occident à partir de la seconde
moitié du XIXe siècle. Pour cet auteur, les partis politiques, au
sens moderne du terme, sont apparu en Amérique en 1850. Il argue aussi
qu'avant cette date, tout ce qui a existé dans les autres
sociétés n'était que des clubs politiques, des
associations de pensée, des groupes parlementaires. Dans la même
logique que ses prédécesseurs, il soutient que l'essor des partis
politiques modernes est lié au développement de la
démocratie et à l'existence du suffrage universel.
Dans le cadre de l'Afrique noire, il est utile de noter que
c'est avec la démocratisation partielle des régimes coloniaux que
le phénomène partisan s'est rependu partout en Afrique au sud du
Sahara. Il est également utile de souligner qu'entre 1945 et 1968, plus
de 148 partis politiques sont établis sur le continent africain.
L'existence des partis politiques était nécessaire à
partir du moment où les peuples se voyaient attribuer le droit de vote.
Sur ce, on peut situer l'origine du phénomène partisan en Afrique
au lendemain de la seconde guerre mondiale. A partir de ces remarques, on peut
déduire que le phénomène partisan en Guinée tout
comme ailleurs en Afrique est lié à l'introduction du suffrage
universel et au développement de la démocratie.
Cependant, si nous disons avec certitude que la
création des partis politiques en Afriques est le résultat de ce
que nous appelons démocratisation partielle des régimes
coloniaux, suivre ce
26 Elleinstein, « Réflexions sur le
marxisme, la démocratie et l'alternance », Revue Pouvoirs, Paris,
Alman Colin, 1977, pp.73, 74 et 84.
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schéma évolutif, peut cacher certaines
réalités importantes de l'histoire du phénomène
partisan en Afrique27. Il s'agit notamment de leurs origines.
Ainsi, une étude très détaillée de
l'histoire coloniale de l'Afrique occidentale réalisée par Albert
Adu Boahen, certifie de l'existence dès après la première
guerre mondiale d'un nombre important d'associations, de clubs, de
sociétés ethniques, littéraires, d'assistance sociale, de
jeunesse. `'L'entre-deux-guerres vit se constituer, dans beaucoup de pays
d'Afrique occidentale, en nombre toujours croissant, une foule d'associations,
de clubs, de sociétés (ethniques, d'assistance sociale,
littéraires, d'anciens élèves, bénévoles et
de jeunesse)».
Cependant, il atteste que durant la période allant de
1919 à 1935, il y a eu un manque relatif d'activités politiques,
nationalistes et syndicales dans les colonies de l'Afrique occidentale
française (AOF) par rapport aux colonies Britanniques. Selon lui, cet
état de fait dans les colonies françaises, dépendait d'une
part, de `'l'attitude plus restrictive de la France à l'égard
des activités et organisations politiques africaines, et (d'autre part),
à l'absence en Afrique occidentale française d'une presse
vigoureuse comparable à celle de la Sierra Léone, de la Gold
Coast et Nigeria».
Dans le cadre des colonies de l'Afrique occidentale
française, il montre que l'essentiel des activités politiques,
nationaliste ou syndicales s'est déroulé à paris entre
1924-1936 ; Elles furent marquées par la fondation de la ligue
universelle pour la défense de la race noire en 1924 à Paris, en
suite, la création du comité de la défense de la race
nègre qui sera plus tard rebaptisé ligue de la défense de
la race nègre. En plus de ces organisations, il faut signaler aussi que
la ligue des droits de l'Homme (organisation humanitaire française)
avait des sections dans beaucoup de colonies françaises. Et, ces
sections servaient par manque d'activités politiques, des instruments de
contestation de l'administration coloniale. Mais, pour le cas de la colonie de
la Guinée, il est utile de noter qu'il n'a existé presqu'aucun
mouvement à caractère politique ou syndical vif dans la
période de l'après première guerre
27 Boahen Adu, « La politique et le nationalisme
en Afrique occidentale, 1919-1935, », Histoire générale de
l'Afrique: vol. VII, édition abrégée, Paris,
UNESCO/Présence africaine, 1998, pp. 427-441.
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mondiale.28 Tout semblait à l'époque
comme si les Guinéens étaient favorables au joug colonial. Selon
Ibrahima Baba Kaké, Emmanuel Mounier, après un voyage à
travers le continent noir, écrivait en 1948 : « Arrivée
en Guinée, vous cherchez le problème guinéen. Vous ne
trouvez rien... Vous vous apercevez alors pourquoi la Guinée est si
reposante au terme d'un long voyage dans l'outrance africaine. C'est un pays
sans obsession. Pas d'agitation sociale, pas d'agitation politique. Il existe
un grand parti guinéen. N'en entend vous pas un nom de bataille : il
s'appelle l'union franco-guinéenne. Son personnage dominant est un homme
raisonnable et pondéré, que tout le monde estime. M. Yacine
Diallo. Les élections se-sont déroulées avec une absence
monotone d'incidents. Comme disait son gouverneur, il n'y a qu'une
exubérassions en Guinée : la pluie pendant l'hivernage
».
Cette brève description de la Guinée par Mounier
au lendemain de la seconde guerre mondiale, certifie davantage l'idée de
l'inexistence d'activités partisanes après la première
guerre mondiale. Pour emprunter l'expression d'Ibrahima Baba Kaké, la
Guinée était comme : «la belle ou bois
dormant».
Cependant, bien qu'il n'y avait pas des mouvements vifs en
Guinée à cette époque, il faut signaler qu'avant la
seconde guerre mondiale et même après la guerre, il existait en
Guinée des organisations et organisations d'entraide cantonale, des
clubs politiques, des associations ethnies. Mais, ces organisations n'avaient
aucune vision politique dans leur programme. Car elles évitaient
à tout moment de rentrer en conflit avec l'administration coloniale.
L'article 14 du statut de l'amicale stipulait : «Dans toutes les
activés de l'amicale, les discussions politiques sont interdites».
La Guinée ne va se réveiller de son sommeil partisan que quelques
années après la seconde guerre mondiale.
Ainsi, en Guinée, on assiste d'abord à la
création des organisations à caractère régional
comme l'union de la basse côte, l'union de la Guinée
forestière, l'union manding, l'amicale Vieillard Gilbert ; ensuite des
mouvements syndicaux comme le syndicat des professionnels des gens et sous
agents indigènes du service de transmission de Guinée, l'union
des syndicats confédérés de Guinée ; enfin des
partis politiques comme le PDG/RDA, le BAG, l'union franco-guinéenne de
Yacine Diallo, le parti progressiste africain de Guinée. Dans un premier
temps, ces partis étaient considérés comme l'extension des
partis métropolitains. Nous avons
28 Ibrahima Baba Kaké, « Partis
politiques et processus de transition démocratique en Afrique noire :
Recherches sur les enjeux juridiques et sociologiques du multipartisme dans
quelques pays de 1 'espace francophone », Paris, Editions Publibook, 2006,
p.773-774
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par exemple l'affiliation du PDG/ RDA au parti communiste
français, de l'union franco-guinéen au parti socialiste
français. Ensuite, ils rompirent avec ces derniers en recourant à
leurs autonomies.
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