Section 2 : Historique du processus démocratique
en Afrique
2-1- Le temps précolonial :
Selon des auteurs comme Jean-François Bayart, Nzue
Prince et François Mpuila Tshipamba, la démocratie dans la
société négro-africaine se manifeste depuis
déjà plusieurs siècles20. Il existe une vaste
littérature sur l'émergence de la démocratie aux
États-Unis, en France ou au Royaume-Uni, littérature reconnue sur
le plan international. Par contre, en ce qui concerne le cas des pays
subsahariens, l'histoire est moins connue ; cependant un regard sur les
systèmes de gouvernance dans ces États nous révèle
une forme de démocratie. Au prime à bord, en partant de la
position géographique des pays de l'Afrique noire, nous voyons une nette
différence avec l'Occident, le désert du Sahara ayant
constitué une barrière naturelle. À l'époque, ce
désert constituait un obstacle de taille pour les échanges avec
les autres pays. Les États africains de l'époque ont donc
dû développer des systèmes de gouvernance inspirés
de leurs propres cultures locales compte tenu de leu ;' isolement. En
étudiant ces cultures, les spécialistes relèvent certains
traits caractéristiques propres aux régimes démocratiques
et estiment aussi que l'avènement de la démocratie moderne a
débuté avant la colonisation effective sur ce continent.
À cet effet, le premier auteur noir, lauréat
d'un prix Nobel de littérature, Wole Soyinka, demanda au
Président Chirac s'il croyait que l'Afrique n'ait jamais
été mûre pour la démocratie. En réponse
à ce questionnement, un expert des relations franco-africaines,
François-Xavier Verchave, souligne « qu'on oublie toujours que
l'Afrique a derrière elle des millénaires de traditions
politiques qui étaient tout sauf des systèmes totalitaires
Quelles sont les caractéristiques des systèmes politiques
d'Afrique qui s'apparentent à celles de la démocratie moderne
?
Tout d'abord, dans les systèmes politiques
centralisés, « il existait souvent des moyens de sanctionner ou
d'empêcher la tendance à l'absolutisme, au despotisme à
travers des mécanismes de participation du peuple au pouvoir ou de
limitation de la liberté d'actions du Chef ». En effet, les
pouvoirs du Chef des diverses sociétés africaines sont
contrôlées par des instances d'opposition. Par exemple, le Chef
« était tempéré soit par le Conseil Royal, soit par
la Cour de la « Reine Mère », soit par des fonctionnaires
religieux, des sociétés secrètes qui jouaient dans
l'investiture du roi.
20 Fall Ibrahima, « Esquisse d'une
théorie de la transition : du monopartisme au multipartisme en Afrique
» Paris, Economica, 1993, pp. 42-53.
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À ce propos, on peut aussi constater l'exercice d'une
forme de démocratie africaine dans des communautés locales
spécifiques. Notons par exemple le cas de l'empire manding de Soudiata
Keita ou l'empire wassoulou de Samori Touré et du fouta Djallon. Nous
pouvons noter que la gouvernance du royaume du Fouta Djallon, de Samori
Touré par exemple, revêtait un caractère
démocratique. Dans le royaume wassoulou de Samori Touré, «Le
conseil du roi n'est pas un organisme familial, les parents étant
écartés au profit de routiniers ou d'hommes de castes».
Cette brève description du royaume de Samori Touré ainsi que
celui du Fouta Djallon et du Mali prouve davantage que les valeurs
démocratiques n'étaient pas absentes dans les
sociétés guinéennes précoloniales.
Nous pouvons également mentionner le cas de l'empire
Mossi de Ouagadougou où le Chef Suprême nommé Mogh'Naba
« avait autour de lui de nombreux fonctionnaires et dignitaires qui
faisaient partie du Conseil des ministres ou du Conseil du Roi ». Ce
Conseil avait pour mandat d'avoir la fonction de tribunal d'État. Il se
prononçait donc sur les verdicts découlant de la volonté
générale. L'auteur Prince évoque quelques proverbes qui
témoignent de la soumission du Chef à un Conseil de Sages :
« le Monarque apparemment puissant doit se soumettre au Conseil des Sages
», ou « le Roi qui n'écoute pas les Sages écoute les
courtisans ». Un autre aspect des formes de démocratie
précoloniale en Afrique subsaharienne consiste en la transition
démocratique.
Même avant tout contact avec la civilisation
occidentale, la tradition africaine proposait (dans bon nombre de cultures
politiques de la région) une limitation de mandat. Pour citer quelques
exemples de cette tradition de transition politique, nous pouvons penser au
peuple Abouré, aux Agni Indéniés et aux Morafoués
où « le règne d'un souverain n'excédait jamais sept
ans ». Dans d'autres communautés traditionnelles, la limitation du
pouvoir et du mandat passe davantage par le jeu des pouvoirs opposés.
Notons que près de la Côte de la Guinée,
les Chefs des confédérations étaient
contrôlés par un collège d'oligarques nommé
Mpanymfo. Cette limitation de pouvoir est aussi constatée dans le
Royaume Ashanti (actuel Ghana) ou les Chefs provinciaux possédaient de
larges pouvoirs qui venaient limiter ceux de l'Asantehene (le Chef
Suprême).
À la lumière de ce bref historique de
l'époque précoloniale sur le continent noir, il nous
apparaît évident que certaines manifestations des attitudes
démocratiques étaient palpables dans la tradition
africaine21. Bien entendu, les principes d'alternance ou de
transition
21 Offerlé Michel, « Les partis politiques
», Paris, PUF, 1997.
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démocratique, de balance du pouvoir, de limitation des
mandats, etc. n'étaient pas des valeurs communes à l'ensemble des
communautés traditionnelles ; malgré tout, bon nombre d'exemples
de sociétés locales de diverses régions africaines nous
démontrent la manifestation d'une forme de démocratie. Voyons
maintenant l'impact de la période coloniale sur ce processus
démocratique.
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